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Jordanie: le nouveau Premier ministre calmera-t-il le jeu ?

Christophe Lafontaine
6 juin 2018
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Jordanie: le nouveau Premier ministre calmera-t-il le jeu ?
A gauche, Omar al-Razzaz tandis qu'il était ministre de l'éducation ©Ministère jordanien de l'Education

« Pacifiques » selon le Centre catholique d'études et de médias à Amman, les manifestations en Jordanie persistent malgré l’arrivée d’un nouveau chef de gouvernement. Le roi met garde contre « un saut dans l’inconnu ».


La Jordanie a un nouveau Premier ministre, a fait savoir le Palais royal. Omar al-Razzaz a été choisi mardi 5 juin 2018 par le roi Abdallah II pour diriger le gouvernement et résoudre la crise sociale et économique que connaît en ce moment le royaume. Le Premier ministre sortant Hani Mulki a démissionné la veille, emporté après une semaine d’amples protestations « impressionnantes mais pacifiques », selon les propos publiés sur le site abouna.org, du père Rifat Bader, directeur du Centre catholique d’études et de médias à Amman. Les manifestants lui reprochaient d’augmenter les taxes de manière démesurée.

Dans une lettre désignant Omar al-Razzaz comme nouveau Premier ministre, le roi a écrit que « le gouvernement doit lancer immédiatement un dialogue en coordination avec le Parlement et la participation des partis politiques, syndicats et organisations de la société civile pour finaliser le projet de loi sur l’impôt sur le revenu. »

L’économiste, Omar al-Razzaz, 58 ans, a été formé à Harvard et rejoint les rangs de la Banque mondiale aux Etats-Unis ainsi qu’au Liban en tant que représentant de l’institution. Le nouveau Premier ministre occupait dernièrement le poste de ministre de l’Education, dans le gouvernement démissionnaire.

La Jordanie connaît depuis le 30 mai des manifestations un peu partout dans le pays, les plus importantes depuis 2011. En soirée, après la rupture du jeûne du ramadan, la foule a pris l’habitude d’investir la rue pour dénoncer la réforme fiscale que portait Hani Mulki en envisageant une hausse des impôts de 5% pour les particuliers et de 20 % à 40 % pour les entreprises. Doublée d’une hausse des prix (notamment du pain, de l’électricité et du carburant). Des mesures prises alors que la Jordanie est sous la pression du Fonds monétaire international (FMI) pour mener des réformes et réduire ses déficits. Le pays a en effet obtenu en 2016 un prêt de 723 millions de dollars sur trois ans de la part du FMI, en échange d’un engagement à mener des réformes structurelles et à réduire ses déficits. 

« Les frères musulmans hors jeu » selon le père Bader

Or, le pays sans ressources naturelles, affiche – selon les chiffres officiels – une situation économique des plus critiques avec un taux de chômage qui s’élève à 18,5% quand 20% de la population vit à la limite du seuil de pauvreté. De plus, la dette atteint 95 % du PIB.

Pour le père Rifat Bader, directeur du Centre catholique d’études et de médias à Amman, il convient de souligner que c’est la société civile qui a décidé de sortir dans la rue. Il récuse l’idée selon laquelle des partis politiques ou des groupes radicaux comme les Frères musulmans seraient derrière les manifestations. L’important est « la nature pacifique » des mouvements de protestation. Certains manifestants étaient d’ailleurs venus avec leurs enfants et d’autres avaient apporté des pâtisseries pour les offrir aux forces de sécurité, ont constaté des journalistes de l’AFP.

Les manifestations, selon le prêtre du Patriarcat latin de Jérusalem, ont été organisées par « les syndicats, la société civile », insiste-t-il à plusieurs reprises. C’est un « signe positif de changement », a-t-il expliqué. « En ce sens, les Frères musulmans sont hors jeu. » Dans sa déclaration, il a voulu replacer le contexte des manifestations en estimant qu’elles étaient uniquement « dirigées contre le Premier ministre » démissionnaire et le gouvernement désormais sortant.

« La Jordanie à la croisée des chemins »

Mais la nomination du nouveau Premier ministre sera-t-elle un changement suffisant ? Le souverain hachémite veut y croire. La rue, quant à elle, est redescendue dans la nuit de mardi à mercredi, annonçant un jour de grève aujourd’hui. Le roi a toutefois mis en garde son peuple hier selon des propos relayés par l’agence officielle Petra : « La Jordanie est aujourd’hui à la croisée des chemins: soit elle parvient à sortir de la crise et à offrir une vie digne à ses citoyens, soit, Dieu nous en préserve, elle va vers l’inconnu ». Abdallah II a aussi appelé mardi à « une révision complète » de la réforme fiscale.

La Jordanie, frontalier de la Syrie, de l’Irak, d’Israël-Palestine, est jusqu’à présent l’un des pays les plus stables du Moyen-Orient. Contrairement à d’autres Etats de la région comme l’Egypte, la Tunisie, la Libye, la Jordanie n’a pas été touchée par le printemps arabe de 2011. Mais le royaume subit les conséquences des conflits dans les Etats voisins. Ainsi, des milliers de migrants, principalement d’origine syrienne et irakienne, sont venus chercher refuge en Jordanie qui abrite 10 millions d’habitants dont près de 3 millions sont étrangers, parmi lesquels un tiers sont des migrants économiques originaires d’Egypte ou des Philippines, précise le père Rifat Bader.