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Les ponts du Ramadan

Chiara Cruciati
8 juin 2018
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En Palestine, comme dans d'autres parties du monde, le mois musulman du Ramadan - avec son appel au jeûne et à l'aumône - implique aussi dans une certaine mesure les chrétiens...


Cela se passe depuis des années, depuis qu’Israël a fermé la Cisjordanie dans une jungle de checkpoints militaires : au coucher du soleil, durant le mois sacré du Ramadan, les jeunes chrétiens palestiniens se présentent aux postes de contrôle et au moment de la rupture du jeûne, ils distribuent de l’eau et des bonbons aux chauffeurs musulmans, coincés dans les bouchons et seulement désireux de rentrer chez eux pour le repas de l’iftar.

Cette année à nouveau, les images immortalisées par les passants et publiées sur les réseaux sociaux ont fait preuve d’une vérité que beaucoup tentent de réfuter : ici, avant d’être chrétiens et musulmans, on se sent palestinien. Une question politique, qui sous-tend pourtant une réalité historique : depuis des millénaires, l’Asie et l’Afrique ont été le berceau de différentes cultures, ethnies et religions, religions qui ont coexisté et coexistent malgré les tentatives de division et le sectarisme de leadership internes ou de pouvoir externes.

Depuis des siècles, le Ramadan est l’occasion de se le rappeler. Neuvième mois du calendrier islamique, commémoration de la première révélation de Dieu au prophète Mahomet, célébré par près de deux milliards de Sunnites et Chiites dans le monde ; il commence avec la demie-lune qui apparaît dans le ciel et se termine avec la fête de l’Aïd al-Fitr, qui marque le début du mois suivant. Dans les 29 (parfois 30) jours du Ramadan, le corps se purifie par le jeûne, de l’aube au crépuscule, et l’âme par la zakat, l’aumône aux plus pauvres. Les rues des villes et des villages s’ornent de lumières colorées et de lanternes, et au coucher du soleil, ils se rassasient pour l’iftar, le repas de rupture du jeûne, souvent consommé ensemble en dehors des mosquées ou sur les places de la ville.

Une tradition islamique à laquelle les autres communautés ne sont pas complètement étrangères, de par leur proximité, leur cohabitation, leur désir de participer. Et il arrive qu’aux checkpoints israéliens ce soit des chrétiens qui rompent le jeûne avec des musulmans assoiffés. Ou l’an dernier, dans la mosquée Zine el Abidine de la ville palestinienne de Taybeh, dans l’État d’Israël, c’est un jeune chrétien, Nael Ghantous, qui a lancé l’appel à la prière à la place du muezzin. Il l’a fait en solidarité avec la communauté musulmane après les tentatives du parlement israélien de contraindre les minarets au silence.

Cela arrive aussi en Egypte, où les traditions se transforment parfois : dans le quartier d’Hadayek Al-Maadi au Caire, il y a quelques années, c’est une femme, Dalal Abdel Kader, qui réveillait les habitants à l’aube pour manger le dernier repas avant le jeûne (le Suhur). Quarante-six ans, quatre enfants, cette dernière a pris en main le tabla (un tambour d’origine indienne) après la mort de son frère, mesaharati avant elle. Elle chante, joue, appelle au lever, en gardant vivante une tradition ancienne, souvent étouffée par les sons stridents des réveils électroniques.

C’est à Shubra, un autre quartier de la capitale égyptienne, que dans la première semaine de ce Ramadan, l’Association copte pour la Paix a distribué des cartons de nourriture aux familles musulmanes pauvres, pendant une période de crise économique profonde. Ce n’est pas la première fois, mais la 49ème fois : depuis 1969 à l’entrée de l’hôpital Marjerjis, les coptes offrent l’iftar à ceux qui n’en ont pas les moyens. Cette année la cérémonie s’est clôturée par une deuxième distribution : des exemplaires du Coran et de l’Evangile pour tout le monde.

À Lahore, au Pakistan, ce sont des chrétiens et des sikhs qui ont apporté la table pour la rupture du jeûne : des douzaines d’étudiants des deux confessions se sont assis avec des jeunes musulmans et leur ont préparé le dîner de l’iftar. Ce qu’ils ont à combattre ensemble, c’est la pauvreté qui touche tant de familles, mais aussi l’ignorance : les sikhs, racontait un volontaire de 20 ans Dawood Ali, ont découvert qu’ils partageaient la même tradition avec les musulmans : la zakat, la charité.

En Mauritanie, dans la capitale Nouakchott, les tentes mises en place par un groupe d’organisations non gouvernementales sont ouvertes depuis des semaines : au moins 300 personnes y font une pause chaque jour. Les paysans, bergers, sont arrivés des zones rurales durement touchées par la sécheresse de cette année – la pire depuis cinq ans – qui a provoqué un effondrement de la production et la faim de communautés entières. Selon la Croix-Rouge, au moins 14% des 4,3 millions d’habitants de la Mauritanie n’ont pas assez de nourriture : des milliers de personnes quittent les communautés agricoles pour se rendre dans les zones urbaines en quête de soutien. Et pour beaucoup, ces tentes où les volontaires se relaient dans la cuisine et le nettoyage, sont devenues indispensables.

D’autres voient l’iftar comme un signe de réconciliation : c’est le cas de Yashpal Saxena, un hindou de Delhi. La chaîne de télévision al-Jazeera raconte son histoire : son fils Ankit a été tué il y a quelques mois par les parents d’une jeune musulmane avec qui il était fiancé depuis trois ans. Yashpal, cette année, a ouvert sa maison à plus d’une centaine de musulmans qui sont venus prier avec lui et manger ensemble : « Ses meurtriers étaient musulmans, mais cela ne signifie pas que je devrais nourrir une rancune envers toute la communauté ». Un geste de grande valeur dans un pays gouverné par l’ultra-nationaliste hindou, Narendra Modi.

L’acte de Yashpal est, à sa manière, un acte politique. La campagne mondiale lancée pendant le Ramadan par l’organisation américaine World Hijab Day a également une portée politique : l’association a invité les femmes de toutes confessions à porter le voile pendant le mois sacré en solidarité avec les musulmanes qui, dans un monde occidental toujours plus islamophobes, sont discriminées parce qu’elles portent un hijab.

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