Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Retour à Maaloula

Fulvio Scaglione
26 juin 2018
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Retour à Maaloula
Vue de la partie chrétienne du village de Maloula (sur la pente). Au sommet du piton rocheux, à gauche, se trouve le monastère de Mar Sarkis (Saint-Serge). ©Heretiq

Le petit village syrien de Maaloula n'est plus le même qu'en 2013, lorsque les terroristes de Jabat al-Nusra l'ont investi. Le seul endroit au monde où l'on parle encore le dialecte de Jésus renaît, avec quelques inconnues.


Atteindre les 1 500 mètres d’altitude de Maaloula, et les rochers qui semblent devoir l’engloutir d’une seconde à l’autre, reste un défi. Bien sûr, nous ne sommes plus en 2013, lorsque les terroristes de Jabat al-Nusra se sont installés dans le petit village syrien et, avant d’être expulsés après presque un an par l’armée syrienne, ont tué 200 personnes et dévasté les églises et les monastères. Cependant, des lettres de présentation sont nécessaires, quelques recommandations, quelques petits trucs aux bons endroits et beaucoup de calme pour franchir les checkpoints, encore nombreux et méticuleux sur cet itinéraire. Au point que sur cette route précisément, un soldat a tiré une rafale de Kalachnikov en l’air pour bloquer un automobiliste qui faisait le malin et traçait droit.

Mais ça vaut le coup. Maaloula est un miracle vivant. C’est le seul village, ainsi que deux autres plus modestes et assez proches, où l’on parle le dialecte occidental de l’araméen, la langue de Jésus. C’est un berceau de la chrétienté très ancien, depuis toujours habitué à composer avec une présence « différente » toujours majoritaire et souvent hostile. C’était déjà le cas dans les premiers siècles après le Christ, comme en témoignent les grottes, encore accessibles, qui parsèment les montagnes, autrefois utilisées comme refuges contre la persécution. Et c’est aussi ce qui s’est passé ces dernières années.

Les chrétiens s’étaient à nouveau réfugiés dans ces grottes en 2013, lorsque des terroristes d’Al Nosra postés au sommet de la montagne ont tiré sur le village à l’aide de tireurs d’élite. Postés sur les sommets pendant près d’un an avant d’être chassés par l’armée syrienne, les miliciens ont tué de sang froid plus de 200 villageois.

Et voici encore un autre miracle de Maaloula, dont témoignent aujourd’hui les ouvriers qui travaillent autour de Mar Taqla et Mar Sarkis, le monastère dédicacé à sainte Thècle et celui, situé précisément sur le plus haut sommet, dédié aux saints Serge et Bacchus. Les miliciens les ont occupés dès les premiers jours et à Sainte Thècle on peut encore voir les murs des salles souillés de slogans islamistes. Comme toujours, dans leurs actions se mêlent la haine religieuse et le pur intérêt du voleur. Dans l’église de Serge et Bacchus, qui date du troisième siècle après J.-C., 26 icônes précieuses ont été enlevées tandis que le mobilier le moins « commercialisable » a été détruit sur place. Il va de soi que dans ces balafres et ce vandalisme contre les deux monastères, le but était d’effacer les signes de la présence chrétienne. Certains incendies ont même été allumés, mais les monastères ont résisté, ils sont toujours là. La porte de l’église de Mar Sarkis est même revenue du Liban de façon pour le moins téméraire : un bois de cèdre vieux de deux mille ans.

Les travaux de restauration sont en cours, a-t-on dit. Il sera cependant beaucoup plus difficile de restaurer les esprits et les relations entre les communautés. Il y avait 500 familles grecques-orthodoxes à Maaloula, la moitié s’est enfuie le plus loin possible. Reviendront-ils ? Le pessimisme règne. La guerre n’est pas finie, la reprise économique n’est pas d’actualité et ces régions n’étaient pas riches même avant. Mais la marque la plus profonde, ici comme ailleurs au Moyen-Orient, a été de découvrir que votre voisin, l’homme ou la femme qui vous saluait tous les jours depuis tant d’années, a pu être le premier, selon certaines circonstances déterminées, à se tourner contre vous, à vous montrer une haine que vous n’auriez pu imaginer. Qui sait si le temps suffira à guérir cette blessure…