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Esplanade des Mosquées: le cadenas de la discorde

Christople Lafontaine
25 février 2019
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Esplanade des Mosquées: le cadenas de la discorde
Abdel-Azeem Salhab, chef du Conseil palestinien du Waqf de Jérusalem, à l'initiative de la réouverture d'une section de l'esplanade des Mosquées, fermée depuis 2003 par Israël © Yonatan Sindel / Flash90

Suite à une récente recomposition, le conseil du Waqf qui supervise la gestion des biens musulmans à Jérusalem a décidé de réinvestir, sur l’esplanade des Mosquées, une zone fermée par Israël en 2003. Non sans heurts.


Le statu quo sur l’Esplanade des Mosquées (Mont du Temple) a de nouveau fait les gros titres des journaux israéliens et palestiniens ces derniers jours. Avec pour point d’orgue, la brève arrestation dimanche d’Abdel-Azeem Salhab, nommé par la Jordanie chef du conseil du Waqf à Jérusalem, l’organisme chargé de la gestion des biens musulmans. A sa libération, lui et son adjoint Najih Bakirat auraient reçu l’ordre leur interdisant d’entrer sur l’esplanade des Mosquées pendant une semaine.
Leur arrestation a entraîné une condamnation ferme du ministère jordanien des Affaires religieuses – dont dépend le Waqf de Jérusalem. Ce dernier a récemment été élargi, à la mi-février, par le gouvernement jordanien. Il est passé de 11 à 18 membres et pour la première fois, il compte des responsables politiques et des chefs religieux palestiniens alors que l’organe a toujours été composé de personnes proches de la monarchie jordanienne. Rappelons que la Jordanie dispose d’un statut spécial sur l’esplanade dans le cadre du Traité de paix signé en 1994 avec Israël, qui oblige l’Etat hébreu à « respecter le rôle spécial du Royaume hachémite de Jordanie dans les sanctuaires musulmans de Jérusalem. » Par ailleurs, en 2013, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le roi Abdallah II ont signé un accord reconnaissant le rôle de la Jordanie en tant que gardienne des Lieux Saints musulmans à Jérusalem.

Réuni pour la première fois le 14 février, le conseil élargi du Waqf de Jérusalem s’est rendu pour prier dans une zone controversée sur le côté Est de l’esplanade des Mosquées en face de la Porte Dorée, à l’intérieur du Lieu Saint.

La section en question est fermée sur ordre de la justice israélienne depuis 2003 (lors de la seconde intifada palestinienne). A priori parce que le groupe qui gérait cette zone à l’époque avait des liens avec le Hamas et aussi pour empêcher des travaux diligentés par le Waqf qui auraient pu mener à la destruction d’antiquités juives sur place.

Quelle qu’en soit la véritable raison il y a quinze ans, la récente initiative du conseil du Waqf d’y venir prier a mené la police israélienne la semaine dernière à cadenasser l’accès à cette zone. Israël accusant le Waqf de tenter de modifier le statu quo sur le site. Le Waqf estimant de son côté que la zone réouverte, faisait partie intégrante de l’esplanade des Mosquées. Des responsables du Waqf ont par ailleurs affirmé que l’organisation à l’origine de l’interdiction n’existait plus, a rapporté l’AFP. D’où la contestation du Waqf qui veut réaffirmer son autorité compétente sur l’ensemble de l’esplanade des Mosquées.
C’est ainsi qu’après la pose du cadenas israélien, les Palestiniens ont organisé des manifestations quotidiennes sur le site ces huit derniers jours – faisant sauter serrure et chaînes. Lors d’échauffourées avec la police israélienne, cinq personnes ont été arrêtées lundi et 19 autres, mardi. Le moindre incident pouvant dégénérer vite, et l’esplanade des Mosquées abritant le troisième lieu le plus sacré de l’islam et considéré comme le lieu le plus saint pour les juifs : le mont du Temple. L’esplanade est donc, on le sait, l’un des points les plus sensibles du conflit israélo-palestinien. Israël considère de fait tout Jérusalem, y compris sa partie orientale, comme sa capitale indivisible. Les Palestiniens veulent quant à eux faire de Jérusalem-Est la capitale de leur futur Etat.

C’est pourquoi, pour le 22 février, un vendredi, jour de prière le plus important pour les musulmans, les forces de l’ordre israéliennes, au vu de la volatilité de la situation et donc en prévention de troubles autour du Lieu Saint, ont interpelé 60 personnes.

D’autant, indique Reuters, qu’Abdel-Azeem Salhab, le chef du conseil du Waqf à Jérusalem, avait rouvert vendredi la porte menant à la section controversée de Bab al-Rhama permettant à des centaines de musulmans d’entrer à l’intérieur pour prier pour la première fois depuis des années. D’où son arrestation dimanche.

Quatre leçons à tirer

Que faut-il retenir de ces derniers développements ? Il faut d’abord replacer la reconfiguration du Waqf de Jérusalem dans le sillage de l’attaque terroriste de juillet 2017 aux abords de l’esplanade des Mosquées où des hommes palestiniens armés avaient tué deux policiers israéliens gardant le Lieu Saint. Dans la foulée, Israël avait installé des détecteurs de métaux aux entrées du site, provoquant des manifestations palestiniennes violentes. Les musulmans refusant de pénétrer sur l’esplanade via ces portiques de sécurité. Finalement, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait ordonné le retrait des installations de sécurité. Les dirigeants palestiniens qui ont dirigé les manifestations à cette période ont vu leur influence grandir. La nouvelle composition du conseil du Waqf en est la conséquence. Les Palestiniens de Jérusalem se voyant accordés un rôle plus important dans l’administration des institutions musulmanes sur l’esplanade des Mosquées.

De là, découle un deuxième point qu’Israël Hayom énonce dans ses colonnes. Pour le journal, les Palestiniens et les Jordaniens auraient mis en place un conseil conjoint pour gérer l’esplanade des Mosquées afin de « torpiller » le « deal du siècle » de l’administration Trump pour la paix. Les Jordaniens et les Palestiniens craignant que l’administration américaine ne cherche à changer le statut actuel à Jérusalem-Est, et notamment le statu quo sur l’Esplanade des mosquées. Ainsi, le nouveau waqf montrerait aux Etats-Unis et à Israël que la Jordanie ne renoncera pas à son statut spécial à Jérusalem et qu’elle coopérera, coûte que coûte, avec l’Autorité palestinienne pour administrer le Lieu Saint. D’après un responsable de l’Autorité palestinienne, cité dans le Jerusalem Post, la Jordanie espère également empêcher d’autres pays musulmans, notamment l’Arabie saoudite et le Maroc, de jouer un rôle important dans l’administration des sanctuaires sacrés musulmans à Jérusalem.

Troisième point à retenir, comme en 2017 où les Israéliens avaient finalement renoncé aux détecteurs de métaux à l’entrée de l’esplanade des Mosquées, les observateurs considèrent la réouverture de la section de Bab al-Rhama comme une victoire pour les Palestiniens. Mohammed Shtayyeh, membre du Comité central du Fatah, a déclaré – cité dans le Jerusalem Post – que ce qui s’était passé lors de la prière du vendredi « prouve que toutes les décisions et mesures israéliennes visant à judaïser Jérusalem ont échoué. »

Enfin, le différend aurait été – pour l’heure – résolu à haut niveau entre la Jordanie et Israël. Et comme le souligne Ofer Zalzberg, analyste pour International Crisis Group, cité par l’AFP, « d’un côté, le fait que les deux gouvernements prennent la question au sérieux est positive, mais on peut craindre que ça devienne un enjeu électoral israélien et rende plus difficile la situation. » Comprendre que dans le cadre des législatives israéliennes programmées au 9 avril, la modération ne sera peut-être pas aisée à tenir pour le gouvernement actuel.

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