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« Inch’Allah peut-être » : six jeunes Palestiniens face caméra

Christophe Lafontaine
11 juillet 2019
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« Inch’Allah peut-être » : six jeunes Palestiniens face caméra
La websérie documentaire brosse le portrait de jeunes palestiniens aux aspirations et destins différents © Abed Rahim Khatib/Flash90

Diffusée sur FranceTV Slash, « Inch’Allah peut-être » est une websérie documentaire qui compile les portraits de six jeunes Palestiniens, dont quatre musulmans et deux chrétiens. Un zoom sur leurs doutes et leurs rêves.


« J’te dis bonjour à la palestinienne où je te fais la bise comme en France ? », s’amuse le jeune Hamza en retrouvant dans les rues de Ramallah sa meilleure amie à la fac, Asmahan. « C’est bizarre, répond-elle, de pas s’embrasser, non ? » Ces deux jeunes Palestiniens rentrent de France où ils ont été assistants d’arabe. Le premier à Nice, la seconde à Lille. Le retour en Cisjordanie à Hébron pour Hamza et à Jéricho pour Asmahan n’est pas facile. Tiraillés entre leurs racines dont ils sont fiers et la soif de (re)partir.

Même dilemme pour leurs amis rencontrés sur les bancs de la fac en licence de français à Ramallah : Farah, la tuniso-palestinienne née à Gaza et qui adore Ramallah, Dana et Lourd, les deux chrétiennes du groupe habitant à Bethléem, et Diaa qui, lui, est originaire de Tullkarem, à 15 km de Netanya en Israël. Mais Israël a élevé le mur de séparation en 2002 pour lutter contre le terrorisme palestinien. Depuis, Diaa n’a pu aller qu’une seule fois à Haïfa, en 2014. Pas facile pour un célibataire d’obtenir un visa.

Francophones et francophiles, les six sont issus de la classe moyenne et ont tous la vingtaine. « On est nés à l’époque de l’Intifada, en 2001 », raconte Diaa, actuellement jeune prof de français à Ramallah, qui compare le sort de sa génération à celui des élèves à qui il enseigne : « Eux, ils sont nés alors que la situation politique était stabilisée. » Aussi, « les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, ça les influence. » Et Hamza de réagir : « ils connaissent des chansons japonaises, tout sur le monde. » Farah donne son avis : « on a l’impression qu’ils ont déjà envie de partir. » Cet échange comme une dizaine d’autres ont été capturés dans l’œil de la caméra de la française, Sophie Vernet. La journaliste reporter d’images et réalisatrice de 33 ans les a compilés dans une websérie qui évolue entre télé-réalité et documentaire : ʺInch’Allah peut-êtreʺ. Pour dire que le quotidien de ces jeunes Palestiniens se conjugue au conditionnel ou à tout le moins, au présent.

Les neuf épisodes (d’une quinzaine de minutes en moyenne) de la mini-série coproduite par France Television et Gedeon Programmes, en partenariat avec l’Institut du Monde arabe, seront en accès libre pendant trois ans (jusqu’au 25 avril 2022) sur France TV slash (*). A noter que le service français de coopération et d’action culturelle à Jérusalem et l’Institut Français de Jérusalem, antenne de Ramallah, sont mentionnés dans les remerciements du générique.

Sophie Vernet a rencontré la petite bande, il y a trois ans, en 2016 à l’université de Birzeit (Ramallah) où elle animait alors un atelier – « l’écriture du réel » – pour documentaires audiovisuels, proposé par le Consulat général de France à Jérusalem dans le cadre du mois pour la francophonie.De là est né le projet de les suivre, caméra à la main, pendant 18 mois. « J’ai voulu raconter les choses à leur hauteur, sans dramatiser, ni dédramatiser » confie la jeune réalisatrice à Télérama.

Une jeunesse authentique

A l’heure de s’envoler de la fac, certains vont vouloir partir étudier en France, d’autres rester. « Grâce à leurs smartphones, ils vont partager rires et galères du jour en effaçant les frontières qui les séparent. Entre la remise des diplômes, les soirées à l’abri des regards et les premiers boulots, ils se racontent avec autodérision et sans tabou pour dévoiler une Palestine intime », résumele synopsis de la série.

Ainsi la caméra de Sophie Vernet s’est baladée dans les rues de Ramallah, de Hébron, de Bethléem et même du Puy-en-Velay ou de Foix, pour suivre Hamza, Farah, Diaa, Lourd, Dana, et Asmahan. Comme tous les jeunes de leur âge, ils ont leurs rêves, leurs audaces (parfois rebelles) et leurs doutes existentiels sur leur avenir. A ceci près qu’ils sont Palestiniens. Ce qui change beaucoup et en même temps pas grand-chose. « Leurs questionnements sont les mêmes que les nôtres, mais les leurs s’inscrivent dans un territoire plus complexe », analyse Sophie Vernet pour Télérama. « Ici, on sait jamais combien de temps ça va prendre. Un checkpoint, une route fermée, alors on vit au présent ! », explique Hamza. Alors, « Inch’Allah » (« Si Dieu veut ») comme disent les six copains de fac. « Insh’allah, c’est pas religieux, c’est culturel », précise Lourd, 23 ans et catholique. Elle connaît un peu la France pour être allée un mois à Bordeaux dans le cadre d’un programme d’échange. Elle avait une possibilité de repartir et au dernier moment n’a pas réussi à partir : « quitter mon pays pour longtemps, j’avais peur, pas envie. » Et en plus, fiancée, elle va bientôt se marier avec Eli, lui aussi chrétien. « Les mariages mixtes sont encore rares en Palestine », dit-elle. On la voit s’interroger sur le mariage, la maternité. Elle est aujourd’hui prof et enseigne le français dans un collège catholique à Bethléem.

Hamza qui porte les cheveux longs au grand dam de son père, lui, veut rester indépendant. Il a d’ailleurs du mal à reprendre ses marques à Hébron après son année à Nice « J’ai du français en moi. Parfois j’me sens pas très heureux ici. J’me dis que j’pourrais plus vivre ici. Après l’année que j’ai vécue en France. Le mieux c’était la liberté. Ici aussi j’suis libre de faire ce que je veux mais là-bas c’était quand et comme je voulais. » Et d’un autre côté, il s’interroge : « nous, la jeunesse éduquée, si on part, qui ici va pouvoir servir la cause du pays et l’aider ? Qui va travailler au pays ? Qui va lui donner de nouvelles idées ? Finalement on hésite. »

« On passe vraiment du rire aux larmes, ça peut paraître bizarre mais c’est normal ici »

Asmahan, native de Jéricho et qui ne porte plus le voile, elle, semble catégorique. Pétillante, dansant la zumba en France, déroutée par le froid de l’hiver ariégeois de Foix comme par les instituts de beauté pour chiens, se montre convaincue : « une seule raison me motive à partir, changer les choses ici. (…) J’ai compris qu’on pouvait et qu’on devait tout faire pour développer le tourisme en Palestine. » Mais les doutes l’assaillent peu à peu aussi. Partir ou rester. La question est une ritournelle sans fin.

Farah, barmaid (en boulot d’été) et musulmane, « peut-être la seule de Ramallah ou de toute la Palestine », dit-elle, est devenue prof de français dans l’école catholique St Joseph de Ramallah, après avoir débarqué quelque temps au Puy-en-Velay au lieu de Paris. Elle ne connaîtra donc pas les chambres de bonnes dont elle venait de découvrir « le concept ʺPlacard wc intégréʺ ». Et ne sait pas encore si elle va postuler au master d’interprète en France. Nullement résignée, elle s’écrie « face à 60% de chômage on préfère rire. » Analysant la vie palestinienne telle qu’elle est aujourd’hui au cœur des tensions politiques et de la vie estudiantine qui bout, Farah explique : « on passe vraiment du rire aux larmes, ça peut paraître bizarre mais c’est normal ici. On peut pas et on veut pas vivre toujours dans le conflit. »

Une jeunesse face à son destin

Diaa, aussi musulman, est également prof dans une école chrétienne à Ramallah. Il revient de Mantes-la-Jolie où il a été assistant d’arabe. Il n’a pas aimé « le stress et l’égoïsme » de Paris mais a aimé les librairies de la capitale française. D’ailleurs, depuis qu’il est rentré, il regarde toujours dans le rayon français des bibliothèques. Il lit Simone de Beauvoir, fredonne les chansons de Maître Gims et Joe Dassin, et espère construire son avenir en Palestine. Peut-être en tant que traducteur ? Pourquoi pas aussi, après l’espagnol apprendre l’hébreu. Inch’Allah !

Si Diaa connaît la France, il n’est jamais allé à Jérusalem. Contrairement à Dana, chrétienne orthodoxe de Bethléem, dont le père fait partie de l’équipe de restauration des colonnes de la Nativité avec pour ligne de mire 2020, l’année où Bethléem sera la capitale arabe de la culture. Dana enseigne dans une école de la ville sainte. Elle jurait qu’elle ne serait jamais prof de français. Après un an à Toulouse elle voulait rejoindre le secteur touristique palestinien pour le développer, mais pour travailler elle n’a pas eu le choix, confie-t-elle. Elle se lève tous les matins à 5h pour être à l’école à 8h. Jérusalem n’est pourtant qu’à 8 km, souligne-t-elle. Mais le mur de séparation, les check-points sont passés par là. « Ça fait partie de notre vie », dit-elle. « Contrairement aux musulmans, les chrétiens ont un permis pour visiter Jérusalem. On s’inscrit dans notre église et tous les trois mois, on en reçoit un nouveau. Ça m’énerve, ça nous divise. » Reste-t-il encore de l’espoir chez Dana ? « L’espoir on aimerait l’avoir, mais je n’ai jamais eu cette chance je crois. On est la génération après Oslo. Nos parents ont cru aux accords de paix. Ils ont été déçus. Quand je suis née ils n’y croyaient plus », témoigne-t-elle.

Tout au long de ces portraits brossés dans leur quotidien, le web-spectateur passe de l’un à l’autre au fil des épisodes et des échanges WhatsApp. Surfant entre l’arabe et le français (courant comme familier).

Dans ʺInch’Allah peut-êtreʺ, il y a de l’amitié, de l’authenticité et de l’intimité, de l’humour au premier degré comme au second, plus de rires que de larmes, des chansons d’amour, le mur, l’occupation, les attentes, les inquiétudes, les usages de la société et de la famille, et en miroir la France. Des scènes qui donnent à voir une jeunesse authentique, soudée aussi, les yeux rivés sur ses smartphones et sur les oliviers de Terre Sainte. « Qu’ils soient féministes, conservateurs, timides ou exubérants, ils s’apprêtent à prendre des chemins différents », annonce le synopsis. Face à leur destin d’adultes, tous ne savent pas encore s’ils enseigneront toute leur vie, travailleront dans le secteur culturel ou touristique. Ailleurs ? Ou chez eux ? Inch’Allah peut-être.

 

(*)A regarder sur : www.france.tv/slash/inch-allah-peut-etre/

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