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Sauver l’héritage juif éthiopien : l’Université au défi

Christophe Lafontaine
12 novembre 2020
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Sauver l’héritage juif éthiopien : l’Université au défi
La prière du Sigd des juifs éthiopiens veut chaque année célébrer le lien et l'engagement de leur communauté envers Israël. ©Hadas Parush / Flash90

Fin octobre, l’université de Tel Aviv a annoncé le lancement d’un programme d’études supérieures visant à sauver les écritures et la tradition orale des juifs éthiopiens. Une première dans le monde.


« Une mission de sauvetage ». C’est ainsi que le département d’études bibliques de l’école Rosenberg d’études juives et d’archéologie de l’Université de Tel Aviv qualifie le nouveau programme universitaire qu’elle vient de lancer cette année. Un Master d’études et de recherche, explique un communiqué en date du 21 octobre, au secours des trésors culturels de la communauté juive éthiopienne dans tous ses aspects : culturel, historique, linguistique, religieux, spirituel et social.

Les juifs éthiopiens (Beta Israel) qui sont venus en Israël, au cours de différentes vagues depuis 1975 quand le gouvernement reconnut leur judaïté, ont apporté avec eux leurs propres Ecritures, rédigées en Ge’ez (ou guèze). Une ancienne langue sémitique parlée, équivalent en raccourci à ce que le latin est au français. Aujourd’hui, rappelle l’université, cette langue est connue dans la communauté juive des seuls chefs spirituels éthiopiens, les Kesim, qui l’utilisent pour leur liturgie. A travers les âges, coupés pendant de nombreux siècles des principaux centres de la vie religieuse juive, les juifs éthiopiens ont développé à côté du texte écrit, des prières en Ge’ez, ainsi que des traductions et des interprétations des textes bibliques transmises par bouche à oreille par chaque génération de Kesim à leurs communautés, dans des langues qu’ils pouvaient comprendre – l’amharique et le tigrinya.

Un patrimoine « au bord de l’extinction »

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le nouveau Master est intitulé « Tofsé Haorit » (les gardiens d’Orit) d’après le nom éthiopien de la Bible des juifs éthiopiens qui est écrite en Ge’ez. En plus de la Genèse, de l’Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome, cette Bible qui a ses racines dans la Septante, contient les livres de Josué, des Juges et de Ruth.

Dans son communiqué, l’université s’émeut que cet héritage soit « au bord de l’extinction ». La professeure Dalit Rom-Shiloni, spécialiste biblique, initiatrice et directrice du nouveau programme universitaire, explique que les trésors culturels des juifs éthiopiens disparaîtront de fait « si un effort urgent n’est pas fait pour les consigner et les préserver ». Confirmant que c’est là « l’objectif principal » du cursus.

Le constat s’appuie sur le fait que les juifs éthiopiens, aliya après aliya (montée en Isräel) sont de plus en plus assimilés aux modes de vie de la société israélienne même s’ils peuvent encore souffrir de discrimination. Ils seraient environ 150 000 en Israël et les jeunes grandissent sans ne plus véritablement connaître leur héritage culturel, en particulier leurs textes sacrés qui tendent à s’effacer au profit du judaïsme rabbinique, ce qui affaiblit le statut des Kesim et modifie leurs processus de formation séculaires, souligne l’université.

De l’avantage de connaître la langue

« Nous pensons, affirme Dalit Rom-Shiloni, que les projets de recherche des étudiants contribueront à renforcer l’identité juive des Israéliens éthiopiens et à sensibiliser le public à leur culture ». En outre, ce programme vise à donner aussi « du pouvoir » aux membres de la communauté juive éthiopienne et à « renforcer leur statut dans la société israélienne ».

D’après le communiqué, les étudiants attirés par ce master sont quasiment tous, pour cette année scolaire, des Israéliens éthiopiens titulaires d’une licence, « très conscients de leur patrimoine et désireux de participer à l’effort de le préserver ». « Le point important, précise la professeure, est qu’ils sont les seuls à pouvoir faire le travail. Contrairement aux chercheurs qui n’appartiennent pas à Beta Israel, ces étudiants parlent amharique et ont accès aux Kesim âgés ».

L’université ne cache pas sa fierté car son nouveau programme universitaire est « le premier et le seul du genre au monde ». Réservé aux étudiants de deuxième cycle, il devrait inclure dans l’avenir également un premier cycle jusqu’à la licence et une filière doctorale. Avec l’espoir de voir s’imposer l’héritage des juifs éthiopiens comme domaine universitaire d’études et de recherche dans d’autres universités israéliennes et même internationales.

Il n’en demeure pas moins étonnant dans l’annonce de l’Université qu’elle ne juge pas bon de dire que d’autres Ethiopiens connaissent le Ge’ez. C’est en effet jusqu’à ce jour la langue liturgique de l’Eglise orthodoxe tewahedo éthiopienne, majoritaire dans la communauté chrétienne en Ethiopie et présente également en Israël.

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