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Dima Ezrohi : Le couloir étroit des chrétiens hébréophones

Cécile Lemoine
15 mars 2022
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Dima Ezrohi : Le couloir étroit des chrétiens hébréophones
Dima Ezrohi ©DR

Dima a 27 ans. Israélien, il fait partie de la petite communauté catholique hébréophone de Jérusalem. Une identité à la croisée des chemins dans cette Église de Terre Sainte majoritairement arabe.


Êtes-vous impliqué dans l’Église, et si oui comment ?

Je suis né en Ukraine où ma mère m’a baptisé selon le rite orthodoxe. Ma famille n’est pas du tout religieuse. Mon grand-père était juif, ce qui a permis notre arrivée en Israël, mais ma famille n’est pas religieuse. Vers l’âge de 16 ans j’ai commencé à m’intéresser aux autres religions. Je suis allé au vicariat de la communauté hébréophone. Messes après messes, semaines après semaines, ma foi a grandi de manière assez organique. J’ai fait un peu de traduction pour le vicariat, avant de devenir professeur de catéchisme pour la centaine d’enfants de la communauté des migrants et des demandeurs d’asile à Tel Aviv.

Je suis également animateur de groupes de jeunes. Les gens comme moi sont une minorité. Devenir catholique quand on vient du monde juif et hébréophone, c’est une transition difficile. Beaucoup se rapprochent plutôt des juifs messianiques. C’est moins étranger.

Vous sentez-vous membre de l’Église de Terre Sainte ?

Oui, mais c’est compliqué. Il y a du travail à faire sur la façon dont nous pouvons exister en tant qu’Église unifiée malgré les divisions politiques et sociales. Le fait que j’ai servi dans l’armée pendant 5 ans sera une barrière, même si nous sommes tous catholiques et que nous appartenons au patriarcat latin. Je me sens membre de cette Église. Mais je ne pense pas que les autres, la communauté arabophone notamment, me voient comme tel. Je le comprends. Je comprends que quelqu’un puisse se sentir mal à l’aise en entendant de l’hébreu à l’intérieur d’une église. Ils entendent l’hébreu aux checkpoints, ou dans d’autres contextes problématiques. Il serait logique qu’ils disent : “Laissez-nous au moins nos églises”.

Ressentez-vous ce genre de réaction à votre égard ?

Ce n’est pas que je le ressens, c’est juste que nous nageons dans deux couloirs séparés. Chacun s’occupe de ses histoires, nous nous serrons parfois la main, nous avons le même patriarche. Mais il n’y a pas assez de dialogue. La paroisse de la communauté hébraïque est à 15 minutes de la paroisse latine de Jérusalem. Je n’ai aucune idée de qui sont ses fidèles. Et c’est la même chose pour eux. La communauté catholique hébréophone est minuscule à Jérusalem : nous sommes peut-être une centaine.

Comment était-ce, pour le catholique que vous êtes, de servir dans l’armée Israélienne ?

C’était finalement assez facile. Si je m’étais promené avec un énorme crucifix et un drapeau disant “Vive le pape”, cela aurait été plus compliqué (rires). Lorsque vous êtes suffisamment confiant dans votre identité, les gens la respectent. J’ai par ailleurs effectué mon service militaire dans un environnement particulièrement laïc. Pour mes camarades c’était le fait que je sois pratiquant qui était étrange. Pas que je sois catholique. Je pense aussi qu’à un niveau individuel, le dialogue est plus facile. S’asseoir avec quelqu’un et discuter est plus simple que lorsque vous arrivez en tant qu’institution et que la politique est impliquée. L’expérience a été formidable. J’ai eu de la chance car ce n’est pas partout comme ça.

Qu’est-ce qui vous dérange dans la façon dont l’Église fonctionne aujourd’hui ?

Beaucoup des dysfonctionnements de l’Église sont liés au cléricalisme. La face la plus visible, ce sont ces prêtres qui conduisent des BMW. Mais le fond du problème c’est le pouvoir institutionnel qu’on leur donne, alors même qu’ils n’en ont pas les compétences. Quand vous êtes au séminaire, vous n’étudiez pas l’éducation ou la manière de gérer un hôpital. Pourtant des prêtres se retrouvent à la tête de ce genre d’établissements. L’autre point, c’est le manque d’espace et de parole donné aux femmes. Il n’est pas accepté ici, au Moyen-Orient, que les femmes deviennent des figures de pouvoir. Très bien. Alors défiez la société dans laquelle vous vivez ! Les problèmes de l’Église sont les mêmes depuis 30 ans. Nous les connaissons tous. Depuis l’époque de Jean-Paul II ils n’ont pas changé. Ce que j’attends, c’est un changement concret.

Avez-vous un rêve pour l’Église ?

Je vais parler pour la communauté hébréophone, car c’est la réalité que je connais. Jusqu’à présent, nous avons fait profil bas, à cause de l’Histoire, de l’Holocauste, des sensibilités… Il est possible pour l’Église d’être plus prophétique, et de commencer à prendre position, mais pas de manière impérialiste. Nos fidèles sont sur le point d’être expulsés parce qu’ils n’ont pas de papiers. L’Église doit dire quelque chose, et cesser d’avoir peur.

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