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Sous le manteau protecteur de la Vierge à Aïn Karem

Par Laurent Guillon-Verne
30 janvier 2023
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Sous le manteau protecteur de la Vierge à Aïn Karem

Dans la verdure, à une encablure de Jérusalem, se trouve Aïn Karem, en hébreu “la source du vignoble”. Lieu saint commémorant la visite de Marie à Élisabeth et le Magnificat. D’autres traditions y situent la maison de Zacharie et le rocher où Jean-Baptiste aurait été caché. Le premier aménagement religieux date de l’époque byzantine. Et l’on doit aux Croisés l’église actuelle. L’ensemble du site a été restauré par les franciscains qui en sont les propriétaires depuis plusieurs siècles.


En 1726 les franciscains creusent une tombe dans leur domaine de Aïn Karem. Soudain, une petite pièce souterraine apparaît. Par peur du gouvernement musulman, ils rebouchent la découverte. Ce n’est qu’en 1861 qu’on pénètre enfin dans la crypte. On y découvre un canal relié à la source et ayant servi à la maison sans doute occupée au Ier siècle av. J.-C. ; le tunnel et la mosaïque aménagés par les Byzantins pour faire de l’espace un lieu de culte ; le rocher vénéré par les Byzantins ; des fresques médiévales (remplacées par les peintures modernes) ; une porte croisée qui menait à l’église supérieure (emplacement de l’autel).
Depuis l’époque byzantine on localise la maison de Zacharie, père de Jean-Baptiste, au niveau de la crypte actuelle. Mais il n’existe pas de texte pour confirmer ou infirmer cette tradition. Il est vrai que les fouilles ont révélé les restes d’un habitat ancien, probablement occupé à l’époque de Zacharie, mais rien ne prouve qu’il s’agissait de sa maison. D’autant plus qu’une autre tradition situe la naissance de Jean-Baptiste sur une colline voisine, emplacement qui aurait également pu correspondre à la maison paternelle du Baptiste.
Lorsque les Croisés s’installent, pour eux, il s’agit du lieu de la Visitation et non du rocher cachant saint Jean-Baptiste lors du massacre des Innocents (à lire dans les Évangiles apocryphes). C’est un épisode clef qui met en lumière la foi de Marie : lorsque Gabriel lui annonce à Nazareth qu’elle va enfanter le sauveur, il lui précise aussi que sa cousine Élisabeth est enceinte, “elle qu’on appelait la stérile” et déjà fort âgée. Marie, qui n’a pourtant aucun moyen de savoir si elle-même est enceinte, ne doute pas de cette double annonce et se rend en hâte chez sa parente qui s’écrie “Heureuse, celle qui a cru !” Leur rencontre provoque une reconnaissance mutuelle de leur vocation. Les Croisés construisent une église commémorative de l’événement au-dessus de la “maison de Zacharie” qui devient la crypte.
Dans l’église supérieure les fresques latérales sont une catéchèse mariale en réduction. Chaque panneau exprime l’une des spécificités de la Vierge. Il faut lire depuis le centre jusqu’aux extrémités.

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Au centre, Marie à Cana se fait médiatrice entre Dieu et les hommes. Puis, ce sont des images de Marie protectrice de l’humanité. À droite, elle prend les hommes dans son manteau, symbole de miséricorde. Le panneau de gauche commémore la bataille de Lépante : en 1571, l’Occident chrétien est menacé par les Turcs musulmans. Le pape fait dire la prière du rosaire. L’Occident victorieux considère qu’il a été sauvé par Marie. Enfin, aux extrémités de la fresque, deux dogmes. À gauche, le concile d’Éphèse qui proclame en 431 Marie comme mère de Dieu. À droite, le franciscain Jean Duns Scot soutient, au XIIIe siècle, que Marie est immaculée, c’est-à-dire conçue sans la tache du péché d’origine. Dogme qui ne sera promulgué qu’en 1854, peu avant les apparitions de la Vierge à Lourdes.

La femme de l’Apocalypse

Au-dessus de l’orgue, la femme de l’Apocalypse. “Un signe grandiose apparut au ciel : une femme ! le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte…”
Cette vision de saint Jean rapportée dans l’Apocalypse est souvent interprétée par les chrétiens comme une image de Marie. À partir du Moyen Âge elle est à l’origine des représentations de la “Vierge de l’Apocalypse”. L’artiste franciscain a repris ici les attributs traditionnels de la lune et du soleil. Puis, il a inséré des traits originaux : les collines d’Aïn Karem en arrière-plan ; le manteau de la femme se transformant en rayons de soleil ; la présence de l’enfant (la femme n’est plus enceinte).
Tous les éléments sont des clefs de lecture. Le soleil, la lune et la femme nous projettent à la fin des temps. La femme est Marie, mère du Fils de Dieu : elle tient Jésus dans ses bras. S’il est représenté enfant c’est pour montrer que sa venue, proclamée lors de la Visitation (évoquée par les collines d’Aïn Karem), s’est réalisée. Il est aussi le prince de gloire revenu à la fin des temps. Le mouvement ascensionnel montre que l’humanité est invitée, par l’intermédiaire de Marie, à l’accueillir comme source de la vie éternelle.
Que l’on soit dans l’église supérieure, dans la crypte, dans le jardin ou devant le mur des panneaux en céramique où se trouve écrit le Magnificat en soixante-huit langues, nous sommes tout naturellement invités à écouter et à redire, les mots que Marie chante en laissant éclater sa joie sous la forme d’un hymne de louange lors de sa rencontre avec Élisabeth. Le Magnificat. Ses mots font écho à ceux du cantique d’Anne, mère de Samuel dans l’Ancien Testament. Marie l’a prononcé en araméen. Chaque jour l’Église propose de le redire lors de la prière du soir (les vêpres).♦

Les textes de la Visitation : Lc 1, 39-56 ; le cantique d’Anne : 1S 2, 1-10 ; la femme de l’Apocalypse : Ap 12, 1-6.

Dernière mise à jour: 22/04/2024 16:22

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