
Il n’aura pas échappé à la sagacité des lecteurs de Terre Sainte Magazine que cette photo est surprenante pour illustrer un dossier sur le défi du dialogue 60 ans après Nostra Ætate.
Nous sommes Porte de Damas, l’entrée nord de la Vieille ville débouchant sur le quartier musulman. La journée a beau être ensoleillée comme elle l’était en ce mois de mai, non seulement la rue est déserte, mais tous les magasins ont baissé leurs rideaux de fer.
Nous sommes le “Jour de Jérusalem”, quelques heures avant que ne déferlent sur la Vieille ville des hordes de jeunes Israéliens, tout droit venus des colonies et de toutes les écoles et familles qui en Israël revendiquent la ville sainte pour eux seuls. Des hordes oui, car cette journée qui pourrait être si belle, qui devrait être si belle si elle célébrait en effet Jérusalem, est devenue une journée d’une tristesse infinie. Hurlant des slogans racistes à l’adresse de tous ceux qui ne sont pas juifs, s’en prenant particulièrement aux arabes à la face desquels ils éructent leur haine, protégés par des bataillons de soldats, ces jeunes gens accumulent les provocations pour revendiquer la souveraineté israélienne sur la Vieille ville. Courageux mais pas téméraires, protégés par l’armée qui n’intervient que pour les protéger, ils s’en prennent à dix, à vingt à quiconque s’aventure sur leur chemin.
Cette année, des activistes israéliens qui tiennent pour une honte ces comportements, vêtus de gilets floqués du logo de l’association Standing together – Être debout ensemble – s’interposaient, quitte à prendre les coups et subir les avanies et autres “mort aux gauchistes” de cette masse chauffée à blanc.
Quelques heures avant, comme chaque année, d’autres activistes les avaient devancés, les bras chargés de bouquets pour leur “Marche des fleurs”. Ils avaient parcouru les ruelles de la Vieille ville pour les offrir et distribuer les sourires.
C’est ainsi que Nawa Hefetz, rabbin et militante infatigable de la paix, tendit une rose à cette femme incrédule et encore méfiante. On le serait à moins. Les Palestiniens n’ont pas l’habitude qu’on leur jette des fleurs encore moins que des Israéliens leur en donne dans un geste d’amour et de réparation.
Rien ne nous dit qu’un long dialogue interreligieux va s’en suivre. Mais la rose passa d’une main à l’autre.
Alors vous me direz, une femme juive, une autre musulmane, qu’en est-il de Nostra Ætate, un texte issu du Concile Vatican II, pour le dialogue des chrétiens avec les croyants des autres religions ?
On mesure trop peu, combien ce texte a influencé au-delà des seuls catholiques. Combien il a mis en marche des croyants d’autres religions et finalement conforté jusqu’ici, et 60 ans après, des activistes de la paix à aller au-devant des autres.
Le dialogue interreligieux a existé avant Nostra Ætate et existe sans lui depuis.
Mais son souffle continue d’inspirer et d’encourager. Et si le dialogue n’est momentanément pas possible, il reste le moyen de le dire avec des fleurs.

