La nouvelle grille des salaires dans l’enseignement public libanais, censée s'appliquer aux institutions privées, compromet leur stabilité financière. La présidence a promis ce week-end une solution d’ici la fin janvier.
Au Liban, depuis quatre mois, le torchon brûle entre les écoles privées, leurs enseignants et les parents d’élèves. Le week-end dernier a été l’occasion de plusieurs rencontres, samedi à Baabda, chez le chef de l’Etat, Michel Aoun, et dimanche à Bkerké, chez le patriarche maronite pour étudier (en vue d’une solution) les répercussions de la nouvelle grille des salaires sur les institutions privées libanaises qui représentent près de 70 % du secteur éducatif au Liban. Pour avoir un ordre de grandeur, la moyenne mondiale des scolarités assurées par le privé ne dépasse pas 19,7 %. Preuve de l’enjeu, s’il en est, au pays du Cèdre.
Au cœur de la crise : la loi 46, dite « nouvelle grille des salaires », promulguée à quelques jours de la rentée des classes, le 21 août 2017 (après plusieurs années de tergiversations et sans que l’enseignement privé ne soit consulté). La loi apporte aux enseignants du privé au même titre que ceux du public des améliorations substantielles de salaire et d’échelon (grades en fonction des diplômes et de l’ancienneté). De ce fait, les enseignants se sont vu annoncer des majorations de salaire s’élevant pour certaines à 50 % de leurs salaires antérieurs, rapporte L’Orient-Le Jour (L’OLJ). Mais, si les écoles publiques sont subventionnées par l’Etat, ce n’est pas le cas des établissements privés, qui doivent intégralement payer les salaires de tout leur personnel, enseignant et non enseignant.
« Unité de législation implique unité de financement »
Cette hausse des salaires est une mesure que les établissements scolaires privés affirment ne pouvoir endosser hormis l’augmentation des charges scolaires. Concrètement, d’après les calculs – relayés par L’Orient-Le Jour – du père Boutros Azar, secrétaire général des écoles catholiques, il faut compter sur « une augmentation moyenne (ndlr : des frais de scolarité) de 24 à 36 % au niveau des écoles catholiques. » Pour les sauver de la faillite, il a invité l’Etat à assumer les coûts de sa décision et à subventionner l’école privée. Ne serait-ce que pour l’année scolaire 2017-2018. Et ce, sur la base du principe « unité de législation implique unité de financement. » D’après L’OLJ, le secrétariat des écoles catholiques estime à 400 millions de dollars le montant de la subvention que l’Etat doit assumer pour l’année en cours. Un défi pour l’Etat libanais qui a les caisses vides.
Ainsi, « près de 350 établissements sont menacés de fermeture », avertit dans les colonnes du journal, le père Azar. Pour lui, plus l’établissement sera petit (moins de 400 élèves), plus l’impact de la grille sera grand.
Le milieu rural serait le plus concerné et verrait ses familles, aux moyens souvent modestes voire très limités, ne plus assurer les frais de scolarité de leurs enfants. Et ces familles seraient donc conduites à les retirer des écoles privées. La question qui se pose est de savoir si l’Etat pourrait être en mesure de fournir une instruction aux jeunes qui basculeraient dans le public. Par ailleurs, le nombre croissant de réfugiés syriens qui demandent que leurs enfants intègrent l’enseignement libanais ne fait qu’accroître les besoins…
Les écoles catholiques, on l’aura compris, dans leur grande majorité refusent les dispositions de la loi. Les enseignants, quant à eux, forts de leur droit, réclament de toucher leurs salaires selon les nouveaux échelons reconnus et promis par le gouvernement. N’en démordant pas, ils agitent le chiffon rouge de plusieurs recours à la grève. Notamment pour le 24 janvier, et pour les 5, 6 et 7 février prochains.
Risque d’une perte d’autonomie budgétaire et pédagogique
De leur côté, les parents d’élèves se mobilisent pour lutter contre la hausse des frais de scolarité. Jusqu’à présent, les comités de parents invitaient les parents à s’abstenir massivement de les régler et à prévenir tout mouvement de grève des enseignants qui compromettrait l’année scolaire de leur progéniture. Ceci dit, récemment rassurés par les engagements du chef de l’Etat samedi, les comités de parents ont décidé de « surseoir à toute escalade », rapporte L’Orient-Le Jour, « pour donner au président le temps » de mettre en œuvre la solution la plus équilibrée. Un Conseil des ministres portant sur le dossier doit avoir lieu « très prochainement », fait savoir le quotidien libanais. Car la médiation lancée en septembre par le ministre de l’Education, Marwan Hamadé, a fait chou blanc tout comme sa proposition d’étaler dans le temps les effets de la grille des salaires.
Le chef de l’Etat, en lien avec les instances représentatives des écoles privées et le ministère de l’Education, songe à une double solution : la subvention des majorations des salaires par l’Etat, en échange d’un droit de regard sur les finances des établissements scolaires privés, et l’étalement dans le temps du paiement des échelons supplémentaires. Un point d’achoppement pour les écoles privée qui appréhendent une perte de leur autonomie budgétaire et à plus long terme, pédagogique.
Contre « le dépérissement progressif de l’école privée »
A Noël, dans son homélie, le patriarche Bechara Raï avait mis en garde contre « le dépérissement progressif de l’école privée, l’un des piliers du Liban. » Le chef de l’Eglise maronite avait alors réaffirmé que les parents « ont le droit de choisir pour leurs enfants l’école qui leur convient, et qu’il est donc nécessaire que l’Etat subventionne les traitements des enseignants des écoles privées et, par conséquent, avoir un droit de regard sur les tarifs scolaires, faute de quoi, nous perdrons progressivement l’un des piliers du Liban, à savoir l’école privée connue pour sa discipline et son niveau scientifique. »
Au Liban, la population scolaire du Liban se hisse à 1 060 000 élèves (chiffres 2016-2017) et se répartissent dans quatre types d’écoles. L’école privée en scolarise près des deux tiers (560 000 élèves dans le privé payant, soit 52,5 % du total, et 142 000 dans le privé gratuit, soit 13,4 %). L’Unrwa (L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine en scolarise) 35 000 (3,4 %) et le reste, 315 000 (30,3 %), est assuré par l’école publique.