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Réflexions sur la question antisémite, de Delphine Horvilleur

Par Claire Riobé
1 janvier 2020
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Réflexions sur la question antisémite, de Delphine Horvilleur

Quelles sont les sources de l’antisémitisme ? Et comment la tradition juive et les rabbins interprètent-ils la haine millénaire envers le peuple juif ? Dans son ouvrage, la rabbin du mouvement libéral de France, Delphine Horvilleur, revient aux sources de la littérature juive et embarque ses lecteurs dans une véritable (en)quête des origines.


Qui est-il vraiment, ce juif ? Dès les premières pages de Réflexions sur la question antisémite, la question est posée. Pour ses détracteurs, explique Delphine Horvilleur, le juif aurait toujours été vu comme “celui qui a ce que je n’ai pas”, et qui est “celui que je ne suis pas.” Nous reprochons en fait aux juifs d’être trop : trop exubérants, trop riches, trop puissants. Et d’en faire trop, aussi : le juif excéderait en tout, jusqu’à dans l’expression de sa souffrance. En cela, l’antisémitisme diffère du racisme, lequel voit en l’autre un inférieur, celui qui n’a pas ce que j’ai : ma couleur de peau, mon langage, ma culture…

Si la haine des juifs défend toute logique, il est peut-être vain et immoral de lui chercher des explications, suppose Delphine Horvilleur. À moins de chercher à comprendre ce que l’antisémite haït chez le juif, et pourquoi il le déteste. Prenons la figure d’Abraham, le tout premier des Hébreux : son identité hébraïque se bâtit “par un arrachement à sa terre de naissance, la Chaldée.” “Le judaïsme est dans la Bible un produit d’exil, et l’identité juive est toujours une affaire de séparation, dès les origines”, écrit-elle.

De même pour les héros juifs, vantés dans la Torah : de Moïse, qui était bègue, à Isaac qui était aveugle, tous ont construit leur leadership sur une vulnérabilité domptée. Dès le départ, l’identité juive s’est ainsi construite autour de cette ambiguïté. Là réside un des secrets de la pérennité juive, pour Delphine Horvilleur : “Le manque sur lequel le juif se construit est indestructible, à condition qu’il accepte de ne pas le combler.”

Le juif est porteur de la coupure que chacun refuse de voir en soi.

Le juif, qui est “coupé” de sa terre, de ses ancêtres et se construit sur un manque, nous rappelle donc tout ce qui, dans notre monde, est coupé aussi. Le juif est porteur de la coupure que chacun refuse de voir en soi… et l’antisémite, qui veut vivre sans vide et sans béance, fait du juif un coupable devant rendre compte de son crime.

Une autre des originalités de Réflexions sur la question antisémite  réside dans un chapitre, L’antisémitisme est une guerre des sexes. Horvilleur y aborde l’idée que la haine du juif ne peut pas être appréhendée sans une réflexion de fond sur la place du féminin dans le Talmud et dans l’Histoire. Freud, explique-t-elle, établit un lien direct entre antisémitisme et misogynie. La femme comme le juif incarnent tous deux une peur de la castration, du vide et de la séparation. Pour de nombreux hommes, ils sont signes de manque, ou d’impossible totalité. Le juif est ainsi régulièrement féminisé dans l’espace public et politique, et accusé tour à tour de faiblesse, d’hystérie et de manipulation. “Haïr les juifs, c’est d’abord haïr sa propre faille identitaire”, dit ainsi Horvilleur.

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Réflexions sur la question antisémite
Auteur : Delphine Horvilleur
Préface : Mgr Claude Dagens
Éditeur : Éditions Grasset
Janvier 2019, 62 pages

Au fil des pages de son livre, Horvilleur immerge son lecteur (sans jamais le lâcher !) dans l’univers passionnant de la tradition rabbinique des origines. Jouant avec les mots, usant avec légèreté de l’humour juif qu’elle affectionne particulièrement, pour mieux révéler la gravité de l’antisémitisme, elle pousse tout un chacun à se questionner sur sa propre condition et ses origines.

Et la rabbin de conclure : “Je ne crois pas que mon judaïsme soit entièrement défini par ce que l’antisémitisme en a fait. Mais s’il me fallait dire ce qui constitue l’essence authentique de ma judéité, son irréductible spécificité, son noyau dur libre de toute contingence historique, je serais bien en peine de le définir. Et cet indicible est peut-être la meilleure définition que je puisse donner, l’authentique et impossible énoncé de ce que c’est d’être juif, de ce que c’est d’être soi.”

 

Née en 1974 à Nancy, Delphine Horvilleur effectue des études de médecine à Jérusalem, avant de se tourner vers le journalisme. Elle intègre quelques années plus tard le séminaire rabbinique du mouvement réformé à New York, et reçoit son ordination rabbinique en 2008. Figure majeure du judaïsme libéral français, « Madame la rabbin » est aujourd’hui directrice de la rédaction Revues de Pensée(s) juive(s) Tenou’a.

Dernière mise à jour: 01/03/2024 15:14