Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

À la Nativité, le spirituel doit primer sur le culturel

M.-A. Beaulieu
1 mai 2011
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Pierbattista Pizzaballa, Custode de Terre Sainte, donne son opinion sur la demande d’inscription de l’église de la Nativité sur la liste du Patrimoine de l’Humanité. Un avis nuancé.

L’Autorité palestinienne a officiellement demandé l’inscription de l’église de la Nativité au Patrimoine de l’Humanité, est-ce une bonne nouvelle ?

Tout d’abord il ne s’agit pas seulement de la basilique de la Nativité mais aussi de la vieille ville de Bethléem. Si l’on considère l’important héritage culturel de la ville, Bethléem comme Jérusalem comme beaucoup d’autres villes mériteraient d’y être inscrites. Mais les lieux saints de ce pays, d’un point de vue religieux comme politique voire historique ne sont comparables à aucun autre lieu saint au monde.

Dans quel sens ?

Dans ce pays non seulement les trois monothéismes portent des revendications fortes, mais nous sommes en présence de deux peuples en lutte l’un contre l’autre. Par ailleurs le pays a de tout temps attiré à lui une importante communauté internationale.

Ce pays et ces lieux sont uniques. Ce ne sont pas seulement des mémoires culturelles du passé ; ce sont des lieux saints où s’exprime une foi vivante. Ces lieux sont des lieux de vie non seulement pour les religieux qui les gardent mais aussi pour les croyants qui s’y rendent.

On vient moins visiter la basilique qu’on ne vient y prier. Il ne saurait donc être seulement question d’un « héritage culturel ». Le point de vue culturel n’est ni la première ni la seule perspective.

Par ailleurs, la situation politique n’est pas aussi sereine qu’ailleurs dans le monde or tout ce qui touche à cette terre affecte des millions de personnes. On l’a vu dans le passé qu’il s’agisse du désir de construire une mosquée près de la basilique de l’Annonciation à Nazareth, du siège de l’église de la Nativité durant la seconde Intifada pour ce qui est des chrétiens, mais on pourrait parler également d’Hébron ou des mosquées sur l’esplanade à Jérusalem. Les autorités si elles peuvent contrôler les lieux saints contrôlent un aspect de la vie locale si important qu’il influence les relations avec la communauté internationale.

Nous sommes au confluent d’un brassage de cultures, d’influences sociales, religieuses et politiques, passant tour à tour de la propriété privée à la propriété universelle.

Nous ne pouvons pas comparer cette situation à celle qui prévaut pour les autres sites culturels dans le monde.

Qu’est-ce qui les distingue encore ?

Ici, nous devons partager des lieux saints non seulement entre croyants qui s’en réclament mais nous devons aussi en partager la propriété. Pour ajouter à cette situation déjà complexe, les autorités avec lesquelles nous sommes amenées à discuter ne sont pas reconnues de la même manière par tous. Ce sont tous ces particularismes qui nous rendent perplexes sur les risques à voir la basilique de la Nativité inscrite sur cette liste.

Sans compter qu’intrinsèquement cette inscription apporterait de nouvelles difficultés potentielles. Nous sommes trois propriétaires dans la basilique. Lequel sera choisi pour être l’interlocuteur ? Tous devront-il l’être ?

Vous n’êtes donc pas très enthousiaste ?

Je comprends l’intention de l’Autorité palestinienne de même que le but des autorités israéliennes s’agissant d’autres sites dans le pays. Mais je considère qu’à l’heure actuelle, dans la situation que nous vivons, cette nomination poserait plus de problèmes qu’elle ne pourrait en résoudre.

Bethléem n’a pas besoin de cette inscription pour exercer son pouvoir d’attraction sur les pèlerins et les touristes, de même Jérusalem ou Nazareth.

Et si le but est de lever plus facilement des fonds en bénéficiant de l’aura de l’Unesco, je pense également que d’autres voies peuvent être envisagées.

Il est certes question de veiller à la conservation du site, mais là encore les gardiens des lieux et l’autorité locale peuvent le gérer en interne.

Nous y tenons pour d’autres sites et comme églises tant au cœur des territoires sous autorité palestinienne comme en Israël, nous ne pouvons pas avoir deux langages différents au sujet des lieux saints.

Notre position comme Églises et notre position comme Custodie c’est : inscrivez la ville de Bethléem mais que le complexe autour de la basilique et la basilique elle-même soient exclus.

Cette demande d’inscription n’est-elle pas une conséquence des lenteurs des Églises à trouver un accord quand nécessaire?

C’est vrai que les Églises n’ont pas fait preuve de la meilleure coordination. C’est une évidence même. Reste que sur place ce sont-elles qui contribuent à maintenir la raison d’être même de ces lieux comme lieux de foi. On ne saurait les exclure d’une façon ou d’une autre de la vie des sanctuaires.

Ces Églises quoi qu’il en soit de leurs limites ont une vision et une visée spirituelles sur ce site.

Rien ne peut ni ne doit changer la nature spirituelle de cet endroit, c’est le problème essentiel, la Nativité ne peut pas être considérée comme un monument national. Elle est avant tout un lieu saint.

Que nous ayons des progrès à faire entre nous c’est une évidence mais nos déficiences n’autorisent personne à se substituer à nos responsabilités. Cette place doit être préservée dans son caractère, lequel est universel. La présence des Églises dans leur diversité le garantit et préserve de toute exploitation. Nous ne pouvons laisser aucun tiers exploiter les lieux à des fins qui ne soient pas spirituelles.

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