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Tibériade, cité sacrée et profane

Pietro Kaswalder ofm Studium Biblicum Franciscanum
30 novembre 2012
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Tibériade, cité sacrée et profane

Peut-être avez-vous dormi à Tibériade ou vous êtes-vous embarqué de son port pour un tour sur le lac ? Mais qu’avez-vous retenu de l’histoire de la ville elle-même ? Le père Kaswalder se propose de vous faire une « piqûre de rappel».


Tibériade, la plus grande ville autour du Lac de Galilée, est un important centre touristique. Mais c’est aussi un important centre religieux du judaïsme. La ville actuelle compte plus de 50 000 habitants et s’étend sur deux niveaux bien définis : Tibériade « basse » située sur la rive du lac et Tibériade Illit construite sur la colline occidentale.
La cité de Tibériade doit son nom à l’empereur Tibère, ami personnel d’Hérode Antipas, le tétrarque de Galilée et de Pérée. Au début Hérode avait pensé faire de Séphoris sa capitale, mais il transféra ensuite le centre administratif de la tétrarchie à Tibériade. Le tétrarque Hérode, protégé de Tibère, construisit la ville à laquelle il donna le nom de Tibériade. Il avait choisi la région de Galilée la mieux dotée, située sur le lac de Gennésareth. Non loin se trouvaient des bains très chauds dans un village appelé Emmaüs (Hammat Tibériade), (cf. F. Josèphe, Antiquités 18,36). Falvius Josèphe explique qu’avant de construire Tibériade, il fut nécessaire de purifier le site en raison de la présence de nombreux tombeaux.

Des débuts difficiles

À la mort de l’empereur Claude, en 41 après J.-C., Tibériade fut placée sous le contrôle direct de Rome, avec pour nom Tibérias Claudiopolis Syriae Palaestinae. Puis en 61 après J.-C. Néron céda la ville au roi Agrippa II. Flavius Josèphe écrit que pendant qu’il fortifiait la ville de la Galilée, Jean de Giscala, son plus irréductible adversaire, avait envoyé des sicaires pour le tuer. Josèphe réussit à leur échapper en s’enfuyant par le lac sur une barque (cf. F. Josèphe, Guerre 2,618-619.)
Tibériade n’eut pas à subir de dommages lors de la Révolte Juive parce qu’elle était principalement habitée par des païens. La cité se rendit sans opposer résistance au commandant de la Legio Decima Fretensis, Marc Ulpio Trajan, père du futur empereur. En échange et par respect pour le roi Agrippa, le général Vespasien ne pilla pas Tibériade. Il se fit par ailleurs garant de la fidélité des citoyens de Tibériade qui n’étaient pas juifs (cf. F. Josèphe, Guerre 3,458-461).
À Tibériade, Vespasien fit poursuivre en justice les défenseurs de Tarichées (Magdala). Quelques-uns furent tués, d’autres furent envoyés à Néron comme esclaves. Ce dernier les envoya tailler la roche du canal de Corinthe. Beaucoup d’autres furent vendus comme esclaves et d’autres furent consignés au roi Agrippa II (cf. F. Josèphe, Guerre 3,537-538).

Le mur de défense de la citadelle de Tibériade reconstruit au XVIIIe siècle par l’émir Daher el-Amr. fut gravement endommagé lors du tremblement de terre de 1837. Aujourd’hui il n’est plus visible que par morceaux. Photo Bonfils vers 1880 ?

Tibériade, la cité des rabbins

Mais de cité païenne, Tibériade devint le siège académique des rabbins plusieurs siècles durant. Du IIe siècle au VIIe siècle après J.-C. elle fut le siège du sanhédrin. On peut retenir entre autres les noms de Rabbi Iehuda Haqqodesh, Rabbi Eliezer et Rabbi Meir (IIe siècle après J.-C.), Rabbi Hanina (220-250 après J.C), Rabbi Simeon bar-Lakish (275 après J.-C.) et Rabbi Kahana. Le titre « Patriarche des Juifs » (« nassi » en hébreu) était donné au chef du sanhédrin qui était reconnu par l’autorité romaine. La fonction du patriarcat des juifs a été suspendue au Ve siècle après J.-C. par Théodose II.
C’est à Tibériade que fut écrite la première partie de la Mishna (IIe siècle après J.-C.), et donc le Talmud de Jérusalem (400 après J.-C.). C’est le système massorète dit de Tibériade qui fut choisi pour fixer la tradition (massora en hébreu) de pronociation (vocalisation) du texte biblique, un travail qui a duré du VIe au IXe siècle après J.-C.

Du judaïsme au christiannisme

Selon le Talmud il y avait dix-huit synagogues à Tibériade au IIIe siècle après J.-C. Le pèlerin Willibald (723 après J.-C.) raconte avoir vu à Tibériade quelques églises et « quelques synagogues ». La Chronique de Michel le Syrien, un auteur du XIIe siècle, parle de trois synagogues détruites par le terrible tremblement de terre du 749 après J.-C.
C’est aussi à Tibériade qu’on fait mémoire de Joseph, connu comme «le comte» (komes en grec) qui vécut du temps de Constantin Ier (272-337). Épiphane, originaire de Bet Govrin (Eleuteropolis) et élu évêque de Salamine, fut l’hôte de Josèphe à Scythopolis et reçu ses confidences. Joseph de Tibériade était au départ un disciple du patriarche juif Juda IV, mais il se convertit au christianisme. Devenu influent au sein de la cour impériale, il s’est prodigué pour faire construire des édifices chrétiens en Galilée. À Tibériade, il commença à construire une basilique à la place de l’adrianeum, le temple païen dédié à Hadrien, mais dû par la suite se contenter d’un édifice aux proportions plus raisonnables.
À l’époque romaine-byzantine, il semble que la cité fut exclusivement habitée par des juifs. Épiphane écrit qu’aucun hellène, samaritain ou chrétien ne pouvait vivre dans cette ville. Saint Jérôme reconnaît avoir reçu le texte hébraïque des Chroniques par un rabbin de Tibériade, pour qu’il le traduise en latin.
Vers la fin de l’époque byzantine, Tibériade devint siège épiscopal suffragant à Scythopolis dans la Palaestina Secunda. La liste des évêques commence à partir de la conquête arabe, après l’an 637. On connaît le nom des évêques Isaac, Sévère et Gabriel.

Le théâtre romain au moment des fouilles.

Durant la première période islamique (VII et VIIIe siècles), Tibériade fut la capitale de la province ommeyade Jund al-Urdunn. Pendant la période qui précède les croisés, les mémoires des antiques édifices chrétiens de Tibériade ont été perdus. Quelques-uns de ces édifices ont été récupérés grâce aux fouilles actuelles, tandis que d’autres ont été transformés en mosquées.
Au temps des croisés, Tibériade devint la capitale de la principauté de Galilée, siège de la seigneurie de Tancrède de Hauteville. L’évêque de Tibériade dépendait de Nazareth. À Tibériade, à l’époque des croisés, on faisait mémoire de la sépulture du grand rabbin espagnol Maïmonide, mort au Caire en 1206.
L’église Saint-Pierre qui se trouve sur la rive du lac au nord de la cité moderne remonte à l’époque des croisés. À Tibériade, les croisés faisaient mémoire de tous les événements évangéliques qui ont eu lieu sur le lac de Galilée, parce que Capharnaüm et les autres cités du lac avaient disparu. Les antiquités présentes dans la ville moderne remontent au temps des croisés ou plus tard. Parmi celles-ci, il faut noter l’église des grecs orthodoxes et quelques mosquées désaffectées.

Fouilles dans la cité hellénistique-romaine

Les premières découvertes sont dues aux travaux de construction des édifices modernes. Au centre de la cité croisée, on a découvert près du Plaza Hôtel un édifice défini par les archéologues comme « la synagogue du nord ». Il s’agit d’un édifice carré dont chaque côté mesure 20 mètres et dont l’entrée est formée d’une seule porte sur le mur nord. Cet édifice fut érigé au VIe siècle après J.-C. La synagogue a été reconstruite après le tremblement de terre de l’an 749 après J.-C. C’est à cette époque que remonte le pavement en plaques de pierres posées sur les mosaïques. La synagogue était riche en objets précieux et en matériel liturgique. Les mosaïques nous donnent le nom du donateur : Proculus, fils de Chrispus. Un portail en marbre a été récupéré, il est décoré avec une grappe de raisin.
Les excavations de B. Rabani (1954-1956) ; G. Forster (1973-1974) et Y. Hirschfield sur l’aire de la cité hellénistique-romaine au sud et à l’ouest de la ville moderne ont mis à jour plusieurs structures civiles, parmi lesquelles les remparts, l’aqueduc et le théâtre. Tout d’abord, on a trouvé la porte monumentale au sud, qu’on atteignait par le cardo. La construction de la porte remonte au Ier siècle après J.-C., au temps de la fondation de la cité par Antipas. La porte est protégée par deux tours circulaires ayant un diamètre de 7 mètres. La porte est insérée dans le mur sud de la cité romaine, sur laquelle avait été construit un rempart large de 2,7 mètres à l’époque byzantine. Il se trouve actuellement dans les jardins de l’Hôtel Ganei Hamat.
Parmi les découvertes de B. Rabani, on trouve aussi la présence d’un édifice chrétien très antique qui pourrait être l’église du comte Josèphe de Tibériade, érigée sur le temple de l’adrianeum.
Les thermes sont une autre structure datant de la fin de l’époque romaine ; ils sont construits sur une aire de 31 mètres sur 42 et sont composés de différentes salles dotées d’exèdres. Les murs sont conservés jusqu’à une hauteur de 2,5 mètres. Les thermes romains furent utilisée du IVe au XIe siècle, sans interruption.
Au nord des thermes se trouve le marché public qui s’étend sur une surface de 800 mètres carrés. Plus près du lac se trouve la basilique civile, un carré de 38 mètres de côté. La salle principale de la basilique mesure 12×14,5 mètres. Elle a une abside semi-circulaire à l’est et deux rangées de colonnes. À l’époque byzantine, l’édifice fut transformé en une imposante église mesurant 15 mètres sur 21.
À 100 mètres au sud de la basilique civile se trouve une exèdre gigantesque ayant un diamètre extérieur de 32 mètres et un diamètre intérieur de 23 mètres. L’exèdre était dotée de bancs en guise de sièges et elle pouvait être également servir de théâtre.
Un édifice de l’époque fatimide (970-1099) a été trouvé lors des fouilles de 1998. Il cachait, dans trois grandes jarres, 1000 objets de bronze et 80 pièces de monnaies parmi lesquelles 70 folles (pièces de bronze) byzantines.
Étant donné que la cité a toujours été habitée, les tombes mises à jour à Tibériade sont nombreuses. Un cimetière datant de l’époque turque se trouve au sud, non loin du mur ottoman. Un cimetière plus ancien, en usage depuis la période romaine jusqu’à la période turque, se trouve au nord de la citadelle turque près de la colonie écossaise. Sur ce terrain, B. Rabani (1951-1959) a dégagé des dizaines de tombes, parmi lesquelles 250 ont été identifiées.
En 1976, F. Vitto fouilla le mausolée romain qui se trouve dans le quartier de Qiryat Shmuel, très au nord par rapport à la cité basse. Le mausolée mesure 8 mètres sur 10, et il est précédé par un vestibule décoré avec des plaques de basalte. La porte d’entrée de la grotte mesure 0,8 mètre sur 1,3. À l’intérieur se trouvent deux chambres sépulcrales. Un ossuaire ainsi que beaucoup d’ossements ont été récupérés. Beaucoup de vases et d’objets précieux formaient le trousseau funéraire des sépultures ; des vases, lampes à huile, bouteilles en verre et casseroles. Le mausolée fut utilisé entre le Ier et le IIe siècle après J.-C. En 2003, l’archéologue Y. Stepansky a mis à jour un double mausolée romain en usage du IIe au IIIe siècle après J.-C., près du quartier écossais.

La basilique de l’ancre sur la colline de Bérénice

Les fouilles de Y. Hirschfeld se sont concentré sur la colline sud-ouest appelée le Mont de Bérénice, Qasr el-Bint al-Malik en arabe. À l’époque byzantine, la cité s’étendait jusque-là. Bérénice était la sœur du roi Agrippa II (58-93 après J.-C.). Les fouilles avaient été commencées dans l’espoir de retrouver le palais d’Hérode Antipas, dont nous parle Flavius Josèphe dans une description détaillée (cf. F. Josèphe, Vita 12). L’historien de l’antiquité parle d’une statue et d’ornements en or des plafonds du palais. Cependant, aucune trace du palais d’Antipas n’a été retrouvée. Par contre le rempart qui remonte à l’époque de Justinien fut dégagé, il monte de la ville basse jusqu’à la basilique dite de l’ancre.
La basilique de l’ancre était un édifice long de 48 mètres et large de 28. Cette basilique est datée au VIe siècle après J.-C. Elle se distingue des autres car sous l’autel, à l’endroit où d’habitude sont déposées les reliques des martyres, il y a une ancre de basalte protégée par une dalle de marbre. Le monolithe de basalte mesure 1 mètre de long, 0,5 mètre de large et 0,3 mètre d’épaisseur. Aucune inscription dédicatoire n’a été retrouvée et nous n’avons pas d’informations relatives à cet instrument nautique qu’il n’est pas habituel de trouver dans une église.
Une pièce d’art datant de la fin de la période byzantine a été déposée derrière l’autel de l’église (de l’époque croisée), exactement sur l’ancre vénérée. Il s’agit du portrait d’un saint, une fresque du XIe siècle, semblable à l’Ange de l’Agonie trouvé dans la basilique de Gethsémani.
Des mosaïques illustrant des oiseaux et des fruits (raisin, grenades etc.). décorent toute la pièce sacrée. La basilique a été construite à l’époque abasside, après le tremblement de terre du 749 après J.-C. qui avait détruit toute la ville.

Une lente mais continue récupération

Après la destruction de la citadelle au terme des croisades, Tibériade décline jusqu’au point de n’être qu’un petit village de pêcheurs. Un premier repeuplement de la cité advient à l’époque de Soliman le Magnifique, quand ce dernier confia Tibériade au rabbin Joseph ha-Nassi en 1560. Une seconde impulsion fut redonnée à Tibériade par l’émir de Galilée Daher el-Amr, qui en 1740 s’était rebellé contre le pouvoir ottoman. Les morceaux de remparts, la forteresse en ruines et les tours rondes que l’on aperçoit quand nous passons par Tibériade furent construites au XVIIIe siècle. L’émir appela lui aussi des juifs d’Europe et favorisa leur l’établissement à Tibériade, comme l’avait précédemment fait Soliman.
Le tremblement de terre de 1837 interrompit le développement de la ville, qui retrouva sa prospérité à partir de 1860, l’année des premières émigrations des juifs d’Europe.
L’église Saint-Pierre a été achetée par la Custodie de Terre Sainte en 1641, et elle fut restaurée en 1870 et 1944. Tout l’édifice, qui mesure 6,65 mètres sur 19,90, remonte à l’époque croisée à l’exception de la façade. La particularité de cette église est son abside, qui se termine à l’angle comme le carénage d’un bateau. En 1903, la Casa Nova a été construite à côté du couvent franciscain pour héberger les pèlerins.
Après la fondation de l’État d’Israël (1948), d’énormes investissements ont été faits à Tibériade. Ces derniers ont transformé la cité en un important centre touristique. Des dizaines d’hôtels y ont été construits ainsi que de petits ports, des quais pour les barques. Des kilomètres de plages ont été aménagés.
Tibériade est, aujourd’hui encore, un lieu cher au judaïsme et un passage de pèlerinage pour se rendre aux tombes vénérées de : Iohanan ben Zakkai (Ier siècle après J.-C.), Rabbi Akiva (IIe siècle après J.-C.), Rabbi Meir Baal Hannes (IIe siècle après J.-C.) et Rabbi Moshé ben Maimon (1260). Maïmonide est le dernier des grands rabbins à avoir travaillé sur la fixation de la halacha juive, fixant les 614 prescriptions que tout juif pieux doit observer.

Dernière mise à jour: 31/12/2023 22:55