Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

La mer Morte un désert vivant

Texte : Pietro Kaswalder ofm Photo : Rosario Pierri ofm Studium Biblicum Franciscanum
30 janvier 2013
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Au moment de leur découverte, les sites du pourtour de la Mer Morte avaient passionné bien des scientifiques. Aujourd’hui encore, ils continuent d’intriguer et laissent des questions en suspens.


Depuis la découverte des manuscrits cachés dans les grottes naturelles près de Khirbet Qumrân, l’attraction pour cette partie du désert a considérablement augmenté. Avant, l’attention des explorateurs se concentrait surtout sur les spécialités de la mer Morte et sur son niveau élevé de salinité, qui atteint les 25 % comparativement au 4 % des autres mers du monde. L’oasis d’Ein Gedi a également toujours attiré les chercheurs notamment pour ses sources pérennes qui en ont fait un lieu recherché depuis l’aube de la civilisation.

Khirbet Qumrân

Le site archéologique de Khirbet Qumrân est situé à 2 km à l’ouest de la mer Morte et à 19 km au sud de Jéricho. La saga de Qumrân a commencé en 1947, lorsqu’un Bédouin du nom de ed-Dhib, de la tribu des Taamireh de Bethléem, a découvert par hasard la première jarre contenant trois rouleaux de parchemin. Il s’agissait du rouleau du prophète Isaïe, du Commentaire (pesher) du prophète Habacuc et du Manuel de Discipline. Depuis, les recherches de manuscrits se sont étendues jusqu’à fouiller 11 grottes. Au total, sept manuscrits complets ont été trouvés. Les dernières découvertes qui ont eu lieu dans la grotte n° 4 ont mis à jour 40 000 fragments de parchemins.

L’importance des rouleaux de Qumrân réside avant tout dans leur ancienneté.

Le savant E. L. Sukenik de l’Université hébraïque a été le premier à comprendre l’ancienneté et la valeur de ces manuscrits. Il en a acheté trois, alors que d’autres doutaient de l’authenticité des fragments trouvés. Après différents événements qui ont parfois pris les allures d’une intrigue internationale, les manuscrits ont finalement été recueillis au Musée d’Israël, au Musée Rockefeller et à la bibliothèque de l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem.
L’importance des rouleaux de Qumrân réside avant tout dans leur ancienneté. Les manuscrits contenant des textes bibliques ont été datés entre le IIe siècle avant J.-C. et le Ier siècle après J.-C. Nous possédons ainsi des témoignages très anciens des livres de l’Ancien Testament. L’autre intérêt de ces manuscrits est que certains proviennent d’une secte (la Règle de la communauté ou le Manuel de Discipline, le Livre des Jubilés, la Règle de la guerre, le Rouleau du Temple, le Document de Damas et d’autres). Ils nous permettent de mieux connaître ce mouvement hérétique du judaïsme qui a commencé au retour de l’exil ve à partir de 450 et a culminé pendant le schisme de Jérusalem au milieu du IIe siècle avant J.-C. Il s’agit là d’une secte différente de celles des pharisiens et des sadducéens qui ont animé la vie de la communauté juive à l’époque du Nouveau Testament. En 154 avant J.-C., Alcime, le dernier prêtre de la famille Sadoq meurt, et à cette occasion Jonathan et Simon Macchabée ont obtenu en compensation, le sacerdoce aux Syriens (cf. I Mac 14,30 à 39). Un marché inacceptable pour certains. Le grand prêtre de Jérusalem devint ainsi le Maître du Mal dans les textes de Qumrân, auquel s’oppose le mystérieux Maître de Justice, le ‘sadoq’ héritier légitime de la fonction sacerdotale.
Les travaux de R. de Vaux, le premier à fouiller à Khirbet Qumrân, ont duré de 1949 jusqu’à 1956, après qu’il eut terminé l’étude de l’installation satellite de Ein Feshqa à 5 km de là. Ses conclusions sont encore aujourd’hui le point de départ de toute discussion, qu’elle soit favorable ou contraire à l’hypothèse des Esséniens de Qumrân. Selon l’hypothèse traditionnelle basée sur les résultats des fouilles et confirmée par l’étude des textes mêmes de la secte des Esséniens, on peut encore soutenir que les textes ont été écrits dans les installations de Qumrân et qu’ils furent cachés dans des grottes voisines par les Esséniens eux-mêmes, à l’approche de la guerre contre les Romains dans les années 70-72 après J.-C.. Les récipients typiques de Qumrân contenant les rouleaux ont été découverts dans des pièces du bâtiment. Les bancs trouvés dans la salle d’écriture sont la preuve de l’activité des scribes de la communauté.
Lors de la visite à Khirbet Qumrân, on peut apercevoir les nombreux canaux et réservoirs d’eau et la tour de défense placée à l’extrémité nord-ouest de l’installation dominant toute la région. L’intérieur du complexe se caractérise par de très grandes salles, adaptées à la vie d’un groupe. Parmi celles-ci ont été identifiés la cuisine, le réfectoire, un four de potier et des bains rituels ou miqwot.

Ein Gedi, la Source du Bouquetin

Ein Gedi est une oasis située à 53 km au sud de Jéricho. Le lieu est favorisé par ses sources pérennes, la Source de David, la Source du Bouquetin et la source de Shelomit. La présence humaine à Ein Gedi remonte au IVe millénaire avant J.-C. C’est de cette époque que date le sanctuaire découvert en 1956 par des archéologues israéliens J. Naveh et Y. Aharoni. Il est situé sur un plateau à 200 mètres au-dessus de la mer Morte, bordé au nord par le Nahal David et au sud par le Nahal Arugot (la rivière des plates-bandes). À l’époque biblique, il existait sur le Tel Goren (Tell el-Jurn) une sorte de ville fortifiée, la capitale de « la région du désert » selon Jos 15,59. À l’époque romaine puis byzantine l’oasis a été utilisée pour la culture des dattes, du baume et pour ses eaux thermales. Ein Gedi est aussi connue pour être le « jardin fermé » du roi Salomon (Ct 1,14 ; 4,12 ; 6,2).
La surprise archéologique d’Ein Gedi est double. On y trouve : le sanctuaire de l’époque chalcolithique (IVe millénaire avant J.-C.) situé à 150 mètres au nord de la Source du Bouquetin. Et en bas une synagogue de l’époque byzantine (IVe – VIe siècle après J.-C.) comprenant un quartier urbain dans lequel des fouilles sont actuellement en cours.
Le sanctuaire a été conservé en assez bon état. Les éléments encore visibles sont le mur d’enceinte, la porte d’entrée, la structure circulaire au centre de la cour, l’édifice sacré (3×20 m) avec une porte et une plate-forme semi-circulaire en face de l’entrée, une entrée secondaire pour le complexe sacré au nord, et une salle secondaire.
La religion commence à être publique à la période chalcolithique, et le sanctuaire d’Ein Gedi est le plus ancien sanctuaire public jusqu’à présent retrouvé sur la terre d’Israël. Les fouilles du sanctuaire ont permis de répondre à certaines questions, mais d’autres restent encore en suspens : qui étaient les fidèles qui se retrouvaient au temple de Ein Gedi au IVe millénaire avant J.-C. ? Peut-être la réponse viendra-t-elle de la découverte du trésor liturgique dans la grotte de Nahal Mishmar située à 6 km au sud, où ont été retrouvées des centaines de pièces de cuivre. Elles n’ont aucune fonction militaire, mais plutôt de représentation. S’il s’agit d’objets religieux du temple d’Ein Gedi, on peut supposer qu’il y avait un culte avec des processions, des bannières et des couronnes. Encore maintenant, on continue à se demander quel genre de culte était pratiqué à Ein Gedi. La structure circulaire (3 m de diamètre) au centre de la cour est interprétée aujourd’hui comme étant le lieu de l’arbre de vie. Cet élément religieux est proposé dans les temps bibliques comme l’arbre de Asherah. L’édifice d’Ein Gedi n’est clairement pas un établissement privé. Une énigme demeure : pourquoi n’y a-t-il aucune installation humaine près du sanctuaire ? On suppose que le culte était pratiqué par des nomades résidant au désert de Judée et à proximité de l’oasis d’Ein Gedi.

La synagogue d’Ein Gedi

La synagogue byzantine d’Ein Gedi est construite selon un plan basilical (10×15 m), avec un narthex, une bemah (estrade) et une petite niche au nord. Le sol est en mosaïque et porte les marques des différentes étapes de la construction. La première phase remonte au IVe siècle, et la dernière au VIe siècle après J.-C. La salle de prière comporte un escalier sur le côté sud. Sur le côté de la niche repose la cathèdre de Moïse. En face de la bamah, trois petites menorot, les chandeliers juifs, sont représentées.
« L’entrée se trouve sur le côté ouest, signalée par la présence d’une inscription remarquable ; 18 lignes en araméen dont le détail est le suivant : les deux premières lignes portent les noms des patriarches antédiluviens d’après le Premier livre des Chroniques 1, 1-4 : Adam, Seth, Enosh, Qenân, Mahalabéel, Yered, Henok, Mathusalem, Lamek, Noé, Sem, Cham et Japhet. Aux lignes 3 et 4 on peut lire les douze noms du zodiaque ; aux lignes 5 et 6 les douze mois de l’année en hébreu. Aux lignes 7 et 8 sont énumérés les noms des patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Shalom (?), puis des trois enfants du livre de Daniel : Ananias, Azarias, Misaël (Dn 3, 88). Aux lignes 9 et 10 apparaissent les noms des bienfaiteurs Yose et Ezron et Hizziqiyu fils de Hilfi, répétés en partie lignes 17 et 18. Au milieu sont écrites des bénédictions et des malédictions. Et le texte est conclu par une dédicace finale. » La mosaïque centrale est magnifiquement stylisée, avec des losanges, des carrés et des cercles. L’objectif est de représenter le cosmos, ou le monde parfait consacré à Dieu. On note l’absence de figures humaines, alors qu’il y a quelques figures d’animaux. Les symboles des saisons et les signes du zodiaque sont rappelés dans l’inscription dédicatoire.

Dernière mise à jour: 30/12/2023 10:29

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