Quand de jeunes chrétiens palestiniens découvrent leurs racines dans le désert
Les jeunes chrétiens de Terre Sainte portent un désir de Dieu très intense mais fragile. Pour frère Abiel, cette fragilité tient au manque de racines. Aussi, invite-t-il des petits groupes de jeunes
à découvrir le désert comme lieu de la rencontre, de la contemplation, à la suite des premiers moines palestiniens.
Une matinée ensoleillée d’automne à Jérusalem, devant l’hôtel Notre-Dame, près de la Porte neuve de la Vieille ville, un groupe de jeunes Palestiniens, hommes et femmes de 8 à 30 ans, se rassemble. Le frère Ayman, franciscain et vicaire de la paroisse Saint-Sauveur, les a invités.
Lire aussi >> Aux origines de la vie monastique du désert de Jérusalem
À ses côtés, frère Abiel, moine errant, comme il se définit, proche des Petits frères de Bethléem et organisateur de l’activité, accueille chacun d’un grand sourire. “J’espère que nous ne sommes pas trop nombreux, ça pourrait dénaturer l’expérience.” Un cortège de 9 voitures s’engage vers le wadi Prat, en Cisjordanie. À la tête surprise des gardes du kibboutz qu’il faut traverser, on devine que ce n’est pas habituel. Frère Abiel, connu pour son caractère affable et sa relation avec les gardes du parc naturel, rassure les hommes de la sécurité. “Ils me prennent pour un gentil fou, je ne représente pas une menace.” Des bouteilles d’eau et des pains au za’atar sont distribués avant qu’on entame la descente vers le fond de la vallée.

Au sommet du wadi, frère Abiel s’arrête. Dans un arabe courant, il s’adresse au groupe : “Vous êtes plusieurs à venir pour la première fois dans le désert. Vous comprendrez ici ce que les premiers chrétiens venaient chercher : un face-à-face avec Dieu dans le silence. Dans les Écritures, le désert est souvent le lieu de la rencontre avec Dieu.” Il désigne le mont Nébo, le Jourdain et Jéricho, en énumérant les occurrences dans les Écritures saintes où Dieu parle aux hommes dans le désert.
Et pour que chacun se mette dans les dispositions de l’entendre lui parler, il demande à tous de ranger son téléphone.
Au pied du monastère de Chariton, où une source jaillit des rochers, tous les participants sont invités à enlever leurs chaussures, suivant frère Abiel qui asperge en riant les plus réticents. Autour du père Ayman, le groupe écoute l’Évangile de saint Jean sur le puits de Jacob (Jn 4). “Cette source, choisie par Chariton pour survivre, symbolise aussi l’eau vive de Dieu qui nous désaltère à jamais. Le désert, rude et silencieux, nous permet d’entendre sa voix.”
Lire aussi >> Frère Abiel, fou de Dieu et du désert
Le groupe se dirige ensuite vers une corniche dans les hauteurs en chantant “Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, prends pitié de nous pécheurs” entonné de bon cœur par frère Abiel. Au sommet, le moine distribue à tous un texte sur les premiers moines au désert et une dizaine de questions permettant de penser au Seigneur, de considérer sa propre relation au monde et réfléchir à ce que l’on aimerait tirer de cette journée au désert. Chacun part méditer seul en silence pendant que frère Ayman prépare un autel improvisé sur un rocher afin de célébrer la messe en plein air. Après l’eucharistie, chacun retourne méditer un moment avant de reprendre le chemin de Jérusalem.
De retour au couvent Saint-Sauveur, un thé réunit les participants. Tous ont le sourire aux lèvres et racontent à leur manière leur expérience. Certains ne cachent pas leur émotion. Ceux qui venaient pour la première fois expriment l’envie de recommencer en prenant plus de temps encore. Les expéditions de frère Abiel se font habituellement sur le temps d’un week-end.
La Galilée si loin de Jérusalem
Daoud, un Galiléen de Tibériade, un des plus expérimentés, raconte les larmes aux yeux : “La première fois que je suis allé au désert, j’étais au fond d’un gouffre dans ma vie, je vivais dans le péché. C’est l’expérience du désert qui m’a permis de me reconnecter à Dieu et maintenant j’accompagne les jeunes avec Abiel pour essayer de leur transmettre ce que j’ai reçu.”
Le témoignage de Faras, un autre Galiléen est similaire. Il ajoute : “Chaque nuit, depuis que j’ai découvert le désert pour la première fois avec Abiel, un moine toque à la porte de ma chambre dans mes rêves. Je me lève et me mets à prier.”
Au cours des échanges, deux jeunes, eux aussi de Galilée, disent n’être jamais entrés au Saint-Sépulcre. Frère Abiel est stupéfait. “Vous êtes chrétiens de Terre sainte et vous n’êtes jamais allés au Saint-Sépulcre ? Il faut réparer cela immédiatement”. Un groupe d’une dizaine prend aussitôt la direction de la basilique de la Résurrection pour une visite qui durera plus de deux heures. Elle permettra de prier mais aussi de rencontrer des religieux des différentes communautés, tous heureux d’accueillir frère Abiel, connu pour perpétuer la tradition des moines de Palestine.
Après la dispersion, frère Abiel confie. “C’est la première fois que j’emmenais des jeunes de Jérusalem. J’avais un peu d’appréhension.” Ni israélienne d’Israël, ni palestinienne de Cisjordanie, la communauté chrétienne de Jérusalem est singulière et sa jeunesse réputée pour n’être pas facile. Et frère Abiel de poursuivre, tout heureux et comme reposé de la fatigue du jour, “Par la grâce de l’Esprit saint, ils ont repris contact avec leur terre, leur héritage et le Seigneur. Ils reviendront, j’en suis sûr.” Mission accomplie. 🔴