
Archéologue de terrain, Joseph Patrich, voue ses journées à répertorier et situer sur cartes les bâtiments chrétiens de l’époque byzantine. Ordonner les connaissances est pour les chercheurs aussi précieux que découvrir de nouveaux terrains.
Des églises et monastères à l’époque de Nicée en Terre Sainte ?” L’homme réfléchit un instant. “Il n’y en a pas !”
C’est dans un café de la zone industrielle de Ramat Yishai, au cœur de la Galilée, que Joseph Patrich a donné rendez-vous à Terre Sainte Magazine. L’homme d’un certain âge, coiffé d’une casquette, était affairé sur son ordinateur. Ses yeux bleus au regard perçant s’illuminent en nous accueillant.
Patrich n’est pas un retraité comme les autres. Officiellement retraité depuis 2016, il continue de travailler à plein temps au projet qui nous amène. Avec une équipe d’étudiants, d’assistants et d’autres professeurs, l’archéologue a initié une base de données sur les églises et monastères construits entre les IVe et VIIe siècle en Terre Sainte. Il nous raconte les débuts de cette aventure : “Ces trente dernières années, les découvertes archéologiques touchant les bâtiments byzantins se faisaient à un rythme tel que les publications les recensant n’arrivaient pas à suivre. Des monastères, des églises, des inscriptions épigraphiques sont retrouvés chaque année. On étudie mieux ce que l’on peut comparer. La base de données s’imposait.”
Un outil de recherche
Le projet de Patrich a vu le jour en 2014. “Il fallait une structure pour centraliser ces informations et permettre aux chercheurs d’avoir accès aux données géographiques, architecturales et historiques sur les sites chrétiens byzantins”, explique-t-il. Financé par la fondation israélienne pour la recherche, le professeur Patrich a pu créer un laboratoire pour son projet à l’université Hébraïque de Jérusalem.
Conçu comme une base de données, présenté comme un site Internet, le projet est au service de la communauté scientifique. “C’est un outil dont les données croisées permettent de voir les transformations des lieux, de retracer l’évolution de l’architecture chrétienne, et de comprendre comment ces sites ont répondu aux besoins spirituels et politiques des différentes périodes historiques”, précise-t-il. Ce travail a également permis d’observer des tendances, comme la rareté des églises dans certaines régions, notamment la Galilée et la Samarie, qui étaient principalement habitées par des juifs jusqu’à une époque tardive.

L’un des aspects les plus novateurs du projet est la cartographie interactive qu’il a mise en place. Cette carte permet de visualiser le maillage géographique des sites. Chaque site est lié à des données détaillées, qui expliquent son histoire, son architecture, ses fonctions religieuses et les modifications qu’il a subies au fil des siècles. “C’est un outil de recherche puissant. Chaque site devient un point de départ pour de nouvelles découvertes”, explique Patrich, tout en me montrant la carte sur son ordinateur.
La base de données permet aussi d’apercevoir des tendances comme la diminution du nombre d’églises après le VIIe siècle. “Nous pouvons voir que certaines régions ont vu une diminution importante du nombre d’églises après la conquête arabe, ce qui est un sujet d’étude essentiel pour comprendre les impacts de cette période”, souligne-t-il. “Nous voyons aussi que certains sanctuaires continuent d’être fréquentés par les chrétiens alors qu’un culte musulman s’y est établi.”
La mise à jour de cette cartographie, aujourd’hui presque entièrement prise en charge par Patrich lui-même, repose sur sa lecture des publications académiques récentes. “Je passe beaucoup de temps à analyser les nouvelles publications, à intégrer les nouvelles données que je trouve également dans la presse spécialisée”, dit-il modestement.
Lien liturgie-bâtiment
L’architecture des églises et des monastères byzantins occupe également une place centrale dans ce projet. Chaque type de bâtiment – qu’il s’agisse de basiliques mono-absidales, tri-absidales ou cruciformes, d’églises octogonales, ou de monastères – reflète des pratiques liturgiques et religieuses spécifiques. Ces structures révèlent les dynamiques complexes entre les communautés chrétiennes, les autorités impériales et les populations locales.
L’analyse architecturale réalisée par Patrich et son équipe a permis de mieux comprendre comment ces constructions étaient utilisées dans la vie quotidienne des chrétiens byzantins. “Les basiliques étaient le cœur de la vie religieuse, mais elles ont aussi servi de symboles du pouvoir impérial. L’architecture nous montre comment l’Empire byzantin a façonné son identité chrétienne, contrairement à l’Empire occidental qui a plus tard connu un déclin spirituel”, note-t-il.

Les inscriptions retrouvées sur les églises et monastères sont également un pilier du projet. Ces épitaphes, dédicaces et prières inscrites dans la pierre, souvent laissées par les pèlerins ou les fondateurs des sites, offrent un aperçu précieux des croyances et des pratiques des premiers chrétiens. Les inscriptions témoignent de la relation profonde que ces communautés entretenaient avec leurs lieux de culte et de leur attachement à la Terre Sainte.
Patrich et son équipe ont minutieusement étudié ces inscriptions, les intégrant dans la base de données pour les rendre accessibles aux chercheurs. “Les inscriptions nous aident à mieux comprendre l’évolution du christianisme, et à situer ces lieux dans un contexte géopolitique et religieux précis”, explique-t-il. Elles permettent également de mettre en lumière l’importance de ces lieux de culte pour les premières communautés chrétiennes, qui y voyaient des symboles tangibles de leur foi.
Une ressource pour l’avenir
Aujourd’hui, bien que les financements publics aient cessé (en 2021), le projet continue de prospérer grâce à l’engagement de Joseph Patrich. Il est devenu une ressource précieuse pour quiconque souhaite comprendre l’évolution du christianisme en Terre Sainte.
“Ce projet n’est pas simplement une collection de données. Il est un moyen de préserver et de partager l’héritage chrétien de la région, tout en contribuant à enrichir notre compréhension des racines profondes de la foi chrétienne.” Alors que les découvertes continuent à affluer et que de nouveaux articles sont publiés chaque mois, il reste convaincu que ce travail est loin d’être terminé. “Il y a toujours quelque chose à découvrir, et chaque découverte permet de mieux comprendre la grande histoire du christianisme en Terre Sainte. En consultant la base, vous seriez surpris que les constructions, hormis les trois basiliques constantiniennes ne commencent que vers la fin du IVe siècle. Allez voir !”, conclut-il. 🔴

Des mathématiques à l’archéologie

Joseph Patrich, archéologue de renom et professeur émérite à l’Université hébraïque de Jérusalem, est un spécialiste reconnu du christianisme byzantin et des périodes romaine et nabatéenne.
Né le 11 mai 1947 en Roumanie, il immigre en Israël avec sa famille en 1951. Il commence des études de mathématiques physiques, quand les guerres de son pays vont le mobiliser à l’armée où il rempile volontairement quelques années. Il découvre par hasard l’archéologie, et soutient son doctorat en 1988, il a 41 ans.
Patrich a dirigé des fouilles importantes, notamment à Césarée, Qumrân et dans les grottes du désert de Judée ; il a publié des ouvrages marquants sur le monachisme byzantin. En 2002 il devient professeur titulaire à l’Université hébraïque avant d’être nommé professeur émérite en 2021.