Saint-Sépulcre : quand évangile, tradition et archéologie convergent

Quand les pèlerins entrent dans la basilique du Saint-Sépulcre, il leur est bien difficile de se figurer qu’ils sont à l’endroit décrit ainsi par l’évangile de Jean : « À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. » (Jn 19, 41). Où est-il le tombeau neuf ? Où est-il le jardin dans cet enchevêtrement de murs ?

La basilique est de longue date enchâssée dans le tissu urbain du quartier de la vieille ville de Jérusalem. Sa façade ne ressemble à rien. Son architecture décontenance. Le bruit, la foule, le désordre qui y règnent ont souvent raison de la piété des pèlerins. Durant leur séjour, bien des lieux saisissent les visiteurs : le désert, le lac de Tibériade, le panorama de Jérusalem quand le Saint-Sépulcre les rebute.

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Depuis mai 2022, le sentiment de confusion est exacerbé par les travaux en cours. Ils consistent à la restauration du dallage dans toutes les parties communes de la basilique soit près de 1000 mètres carrés. Or, tant qu’à soulever toutes les dalles, autant aller voir ce qu’elles recouvrent. C’est ainsi qu’une équipe d’archéologues, dirigée par la professeure Francesca Romana Stasolla de l’université de La Sapienza à Rome travaille à récolter un maximum d’informations sur l’histoire du lieu.

Ce que raconte l’Arche de la Vierge

Ce n’est pas la première campagne de fouilles conduite dans l’église, mais c’est la plus systématique dans un espace donné. Prévus pour durer 26 mois, les travaux arrivés à mi-parcours, sont réalisés dans le plus grand secret. De hautes palissades se dressent derrière lesquelles s’activent les archéologues. Leur hauteur a été décidée de sorte que bras tendu vers le ciel, pas un appareil téléphonique, pas un smartphone n’aille voler des images. Les informations sont distillées au compte-goutte, dans de rares communiqués. Il faut dire que le temps de l’archéologie n’est pas celui de la communication. Pas de conclusion hâtive ni de scoop.

Elle parle pourtant Francesca Romana Stasolla, et nos collègues de la revue en langue italienne l’ont entendue en conférence à Florence : « Dans la zone de la nef nord, disait-elle, a été réalisée une intéressante séquence stratigraphique qui a permis de retracer les tranchées creusées par le Père Virgilio Corbo dans les années 1960. »

Dans le transept nord de la basilique de la résurrection, connue en occident sous le nom de Saint-Sépulcre, le lieudit Arches de la Vierge ©M.-A. Beaulieu/CTS

L’endroit dont parle Mme Stasolla est communément appelé Arches de la Vierge. D’après la tradition, c’est dans ce secteur de la basilique que Jésus aurait rencontré sa mère, en premier, le matin de la résurrection. La rencontre n’est pas relatée par les évangiles. Dans la tradition occidentale, on la trouve pourtant chez saint Vincent Ferrier (1350-1419), dans les Exercices de saint Ignace de Loyola (1491-1556) [1], ou, plus récemment, chez saint Jean-Paul II qui y a consacré une courte méditation.

Les Orientaux avaient ouvert la voie. Dans les Évangiles de Rabula – un manuscrit syriaque enluminé du VIe siècle – on trouve une représentation de la crucifixion et de la résurrection. Dans les deux dessins, Marie est reconnaissable avec son vêtement bleu et son auréole.

Mais le texte le plus intéressant est un apocryphe copte intitulé Évangile des douze et de saint Barthélemy dont Origène (185-253) pensait que la rédaction était antérieure à celle de l’évangile de saint Luc [2].

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Au chapitre de la résurrection, le texte raconte : « Au matin encore, alors que les ténèbres étaient à l’extérieur, vinrent au tombeau les saintes […] Elles se tenaient debout dans le jardin de Philogène, le jardinier (χηπουρός). » 

Le texte se poursuit en rapportant la rencontre de la Vierge Marie avec le propriétaire du lieu qui lui dit avoir été témoin de la résurrection et il continue : « Voici les choses que disait Philogène à Marie. Le Sauveur vint au milieu d’eux, monté sur le grand char du Père du monde entier. Il interpella […Marie] se retourna. Elle dit : « Rabboni Kathiath Thamioth » dont la traduction est : Fils du Dieu Tout-Puissant, mon Seigneur et mon Fils ».

C’est donc là où se situe ce récit, selon la tradition, que les fouilles archéologiques commencèrent, dans le jardin de Philogène.

Ce mur de pierre sèche qui en dit beaucoup

« La terre que nous creusons – a déclaré la professeure Stasolla – est comme un livre : elle raconte l’histoire des siècles, également à travers des recherches paléobotaniques et bien plus encore. Aujourd’hui, nous, archéologues, sommes assistés en cela par une pluralité de spécialistes tels que des botanistes, des ingénieurs, des géologues et archéogéologues, des historiens, des philologues, des historiens de l’art, des ingénieurs. Tous les domaines qui servent à collecter des données qui nous permettent de relire, penser et reconstruire un contexte pour le restituer à nous-mêmes et à notre histoire. »

En jaune, le lieu de la découverte des murs en pierres sèches. Maquette en polystyrène réalisée par l’archéologue, religieux dominicain de l’Ecole biblique et archéologique, Charles Coüasnon, lors des travaux et campagne de fouille au Saint-Sépulcre 1955-1975 ©Archives/Ebaf/CTS

Mais si la Professeure Stasolla en dit le moins possible aux journalistes, elle se doit de rendre compte de l’avancée de son travail aux chefs des Eglises gardiennes du Tombeau. Parmi eux, frère Francesco Patton, le supérieur des Franciscains de la Custodie.

Lors de la même table ronde il raconte : « Lors d’une des premières visites des fouilles avec les représentants des différentes Églises, on nous a montré un mur de pierres sèches datant de l’époque de Jésus. Un de ces petits murs qui divisaient probablement les parcelles de terre cultivées en légumes dans cette zone située juste à l’extérieur des murs de Jérusalem, près du tombeau de Jésus.»

« J’ai aussitôt repensé à la page de l’évangile où les femmes se rendent au tombeau, le trouvent vide et confondent Jésus avec le jardinier, c’est-à-dire celui qui travaillait ce petit potager, entouré de murets comme celui que j’ai touché. C’est précisément en cela que l’archéologie peut nous aider : comprendre le contexte historique et géographique des événements racontés dans les évangiles ; situer, en somme, le Jésus des évangiles dans un espace réel et dans un temps concret. »

Jésus, jardinier, huile sur toile intitulée « Ne me touche pas ». Ce tableau se trouve au Saint-Sépulcre près de l’autel dédié à la rencontre de Marie-Madeleine avec Jésus le matin de Pâques. peinte en Il a été peint en 1815 par le cubain Juan del Rio et offert à la Custodie en 1855 par le Portugal ©M.-A. Beaulieu/CTS

Intrigué par ce témoignage, le journaliste italien Giuseppe Caffuli est revenu sur le sujet en juillet dernier en interviewant la professeur Stasolla pour l’Avvenire et on lit sous sa plume : « Ce qui est certain, c’est que dans la zone où fut construite la basilique du Saint-Sépulcre, il y avait une carrière désaffectée et des terrains divisés par des murs de pierres sèches (retrouvés lors des fouilles), où l’on pratiquait une activité de type agricole. C’est peut-être pour cette raison que les femmes, en se rendant au Sépulcre le samedi matin, ont pris Jésus ressuscité pour « le jardinier », c’est-à-dire la personne chargée de cultiver le jardin ».

Jésus le jardinier

« Les paléobotanistes de notre université, ajoute Stasolla, travaillent à l’étude du pollen et du matériel végétal trouvés dans les fouilles. Les premiers résultats nous indiquent qu’il y avait effectivement des zones cultivées et plantées d’oliviers dans cette région, qui était déjà utilisée comme cimetière ».

La plus touchante nouvelle de ces fouilles a donc été publiée incidemment, comme si de rien n’était. Dans cette carrière de pierres, où l’on avait creusé, ici ou là à flanc de colline, des chambres funéraires, il y avait bien, à l’époque de Jésus, un jardin cultivé.

Crucifixion et résurrection, enluminure de l’évangile syriaque, signé de son scribe, Rabula. Achevé en 586 au monastère de Saint-Jean-de-Zagba, en Syrie. © Biblioteca Medicea Laurenziana, Cod. Plut. I, 56, fol. 13r

Au lieu où la tradition rapporte la rencontre de Jésus avec sa mère, à côté du lieu l’on trouve un autel consacré à la rencontre du Christ avec Marie-Madeleine, il y a avait bien un jardin.

L’incise dans l’évangile de Jean 20, 15 prend alors tout son sens. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier (kipouros – κηπουρός), elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. »

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A cet endroit, précis, le texte évangélique, la tradition et l’archéologie convergent, pas seulement pour que Marie, la mère de Dieu et Marie-Madeleine rencontrent Jésus le matin de Pâques, mais pour que chacun d’entre nous entende le Seigneur ressuscité l’appeler par son prénom et faire de lui un apôtre.

Il faut bien refaire le dallage, les murets seront recouverts. Le point GPS lui demeure pour que, ici et maintenant, Jésus nous dise encore : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20, 17.)

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[1] Ignace de Loyola, Exercices, Mystères de la vie de Jésus-Christ notre Seigneur, 299 De la Résurrection de Jésus-Christ, notre Seigneur, et de sa première apparition

« Jésus ressuscité apparut premièrement à la Vierge Marie. Quoique l’Écriture n’en fasse pas mention, elle nous le donne assez à entendre, en disant qu’il apparut à tant d’autres. Elle suppose que nous avons l’intelligence, et que nous ne voulons pas mériter le reproche que le Sauveur fit un jour à ses Apôtres : Êtes-vous encore sans intelligence? »

[2] Les apocryphes coptes.. 1, Les Évangiles des douze Apôtres et de saint Barthélemy, Traduction  Revillout, Eugène (1843-1913). Éditeur scientifique. Accessible en ligne sur Gallica.

Dernière mise à jour: 13/03/2024 15:59