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Les fouilles ont commencé aux abords des tombes croisées du Saint-Sépulcre !

Olivia Jeanjean
21 janvier 2024
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Les fouilles ont commencé aux abords des tombes croisées du Saint-Sépulcre !
Début janvier, les travaux de restauration du pavement de la basilique du Saint-Sépulcre ont commencé autour de la pierre de l'onction à l'entrée de l'édifice. C'est dans cet espace que se trouvait la nécropole des rois croisés. ©Nadim Asfour/CTS

Une nécropole royale de l’époque croisée ensevelie sous les dalles du Saint-Sépulcre ? Après tout, le royaume d’Angleterre avait bien Westminster et celui de France Saint-Denis, alors pourquoi les croisés n’auraient-ils pas eu leur propre nécropole ? Le souci, c’est qu’il n’en reste plus trace. Les travaux en cours dans la basilique permettront-ils d'en savoir plus ?


Les travaux de renouvellement du pavement des parties communes dans la basilique du Saint-Sépulcre avancent et les palissades qui cachent le chantier se déplacent à mesure. Depuis le 5 janvier, elles ont fait leur apparition à l’entrée de la basilique. C’est là que se trouvent peut-être encore, mais sous les dalles, les sépultures de certains des rois de l’époque croisée. De quoi faire rêver les passionnés d’histoire médiévale.

⇓ Album photos : Les aménagements de l’entrée pour les travaux ⇓

 

Un Sépulcre ou des sépulcres ?

Pour des chevaliers qui venaient sauver la Terre Sainte des conquêtes musulmanes, quel meilleur lieu que l’église de la Résurrection pour reposer en paix ? C’est ainsi qu’au XIIe siècle, le Saint-Sépulcre est devenu le lieu de célébration de la monarchie du Royaume latin. Les premières sépultures établies dans la basilique furent celles des deux fondateurs  Godefroy de Bouillon (1099 à 1100) et son frère Baudouin Ier (1100-1118). Situées à l’intérieur de la chapelle d’Adam (qui n’est pas concernée par les travaux en cours), elles furent rejointes par celles de leurs successeurs, Foulques d’Anjou (1131-1143) et son beau-père Baudouin II (1143-1162), qui se trouvent au pied de la chapelle du Calvaire, à droite de l’entrée.

Les lettres c,d,e,f désignent avec les chiffres 3 et 4 certaines des tombes de la nécropole royale. Dessin du franciscain Ladislaus Mayr, publié dans Beschreibung der Reise in das Heilige lande Palaestina, P. Ladislaus Mayr, osf 1779 © Collection du Commissariat de Terre Sainte en Allemagne

 

À ce premier groupe venaient s’ajouter quatre autres tombeaux, alignés sous la mosaïque du Chorus Dominus, derrière la pierre de l’Onction. Ils renfermaient les corps de Baudouin III (1143-1162), Amaury Ier dit aussi Almaric (1162-1174), Baudouin IV (1174-1185) et son jeune neveu Baudoin V (1177 – 1186).

Mais à quoi ressemblaient ces fameux tombeaux ?

Cénotaphes, tombeaux ou sarcophages ? Le lexique varie d’un chercheur à l’autre. Giuseppe Ligato, professeur d’histoire médiévale spécialiste des croisés, parle de sarcophages : « Les reconstructions érudites attribuent au sarcophage de Godefroy et à celui de son frère une forme ressemblant à celle d’un temple classique, avec les superficies latérales en pente et quatre petites colonnes de soutien ».

D’autres historiens contemporains des rois, tels William de Tyre, ou des pèlerins comme Theodoric et Wilbrand d’Oldenburg, relatent la présence de tombeaux royaux en marbre. Un vocabulaire qui évolue donc avec le temps, et qui se confronte à une même réalité : la disparition de ces monuments funèbres.

 

La nécropole royale du Saint-Sépulcre avec 1. Philippe d’Aubigny – 2. Foulques d’Anjou – 3. Baudoin II – 4. Godefroy de Bouillon – 5. Baudoin Ier – 6. Baudoin III – 7. Amaury Ier – 8. Baudoin IV – 9. Baudoin V ©Terre Sainte Magazine/CTS



Cette absence est néanmoins corrigée par les dessins, écrits et témoignages oculaires laissés par les pèlerins, qui permettent de reconstituer l’apparence que devaient avoir ces édifices. Un facsimilé du tombeau de Godefroy de Bouillon réalisé en 1899 et inspiré de dessins d’époque est par exemple exposé dans la crypte de la cathédrale de Boulogne-sur-Mer. Les annotations des pères franciscains Francesco Quaresmi, Eléazar Horn et Sabino De Sandoli, datant du XVe, XVIe et XVIIe siècles, représentent des sources précieuses qui offrent une minutieuse description de ces sépultures royales.

Si celles de Godefroy et Baudoin Ier semblaient avoir une architecture similaire, caractérisée par quatre colonnes de marbre soutenant un toit en croupe, elles n’égalaient pas la beauté de celle de Baudoin V. Tous s’accordent à dire que le sépulcre du jeune roi, appelé aussi Baudouinet et décédé à l’âge de huit ans, était un joyau de l’art funéraire du XIIe siècle. P. Eléazar Horn, qui l’a observé de ses propres yeux, décrit la splendeur de son ornementation : « L’édifice de marbre est un magnifique chef-d’œuvre, soutenu par des colonnes entrelacées, décoré de dessins floraux, d’oiseaux, d’anges et d’une gravure de la tête du Christ ».

Parmi les quelques fragments qui subsistent de ces édifices (conservés dans le musée privé du Patriarcat grec orthodoxe et publiés par Zehava Jacoby de l’Université de Haïfa – voir album), se trouve une décoration représentant un aiglon mort, au cou baissé et aux pattes inertes, qui figurait probablement sur le sépulcre du petit monarque.

Lire aussi >> Une réplique du tombeau du croisé Godefroy de Bouillon à Boulogne-sur-Mer

À propos des épitaphes, elles connaissent différentes versions. Les plus retenues sont celles relatées par Francesco Quaresmio. Exaltant les exploits des chevaliers, elles louent la grandeur de leurs victoires et encensent leur gloire. La plus élogieuse demeure celle relevée sur le tombeau de Baudoin Ier : « Lorsque le roi fut mort, le pieux peuple des francs duquel il avait été le bouclier, la vigueur et le soutien pleura. Il fut une arme pour les siens et cause de crainte pour les ennemis. Valeureux commandant pour la patrie, il retira aux terribles ennemis indigènes Saint Jean d’Acre, Césarée, Beyrouth et ajouta à la domination les terres arabes et celles qui touchent la mer rouge. Seize fois Phoebus avait vu l’astre du bélier lorsque s’éteignit le noble roi Baudoin ».

Une inscription qui n’aurait sûrement pas déplu à Hérode ou Alexandre le Grand.

⇓ Album: Dessins des tombes par les pèlerins au long des siècles ⇓

 

De mystérieuses disparitions

Concernant la cause, ou les causes qui auraient provoqué la disparation de ces monuments royaux, les historiens n’arrivent pas à se mettre d’accord. Trois hypothèses sont toutefois retenues. Selon la première, leur dégradation aurait débuté au XIIIe siècle, lors de l’incursion des turcs khwarezmiens qui firent irruption à Jérusalem en 1244, massacrant les chrétiens et profanant leurs sépultures. Mais il semble que si les sépulcres des rois ont partiellement fait les frais de ces dévastations, ils ne furent pas entièrement détruits.

Les pèlerins des siècles suivants attestent en effet leur présence, le dernier d’entre eux n’étant autre que l’illustre Chateaubriand ! L’écrivain relate sa visite en 1806 et mentionne dans sa description les tombeaux de Godefroy et Baudoin Ier : « Je ne sortis point de l’enceinte sacrée sans m’arrêter aux monuments de Godefroy et de Baudouin : ils font face à la porte de l’église, et sont appuyés contre le mur du chœur ».

⇓ Album photos : La nécropole aujourd’hui ⇓

 

Une deuxième possibilité renvoie à l’incendie qui s’empara de la basilique en 1808. Encore une fois, les avis divergent, en particulier ceux des partisans de la dernière théorie, qui accuse les Grecs d’avoir démoli ce qui restait des édifices lors des travaux de restauration de la basilique. Le pèlerin Jacques Mislin, qui était à Jérusalem lors de l’incendie, raconte ce qu’il a vu : « Les flammes ont respecté les tombeaux royaux, tout comme les Musulmans l’ont fait durant sept siècles. La jalousie des Grecs était plus destructive que les flammes. Plus intolérable que le barbarisme ».

Les Orthodoxes quant à eux affirment que les tombeaux après l’incendie étaient si dégradés que leur restauration était impossible. Pour les Latins, l’incendie a été un prétexte utilisé par les Grecs pour se venger du colonialisme croisé.

Lire aussi >> Il y a 215 ans, le Saint-Sépulcre était en flamme

Les fouilles du Saint-Sépulcre permettront certainement d’en savoir plus sur ce qui reste des tombes croisées, car la disparation in situ des monuments funéraires ne signifie pas pour autant que les sépultures qu’ils recouvraient aient elles aussi disparu. Il se murmure cependant que le mur de béton construit par les grecs-orthodoxes fin des années  80 pour supporter la grande mosaïque réailisée en 1990 par l’artiste Vlasios Tsotsonis, aurait pu leur être fatal, le supérieur grec de l’époque n’y ayant pas trouvé d’intérêt. Que trouveront les archéologues ? A quel niveau ? Dans quel état ? Une nouvelle page de l’histoire chrétienne de Jérusalem est peut-être sur le point de s’ouvrir ? Nous ne manquerons pas de vous informer.

-- (mise à jour MAB)

Dernière mise à jour: 21/01/2024 11:34

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