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Il y a 215 ans, le Saint-Sépulcre était en flamme

Arrangements Cécile Lemoine
30 septembre 2023
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prise depuis le Calvaire, les hauteurs de l’entrée de la basilique étaient encore noires de la suie de l’incendie jusqu’aux travaux des années 1950 ©Photos Archives de la Custodie de Terre Sainte

L’incendie du Saint-Sépulcre en 1808 a été un tournant dans l’histoire de la basilique. Au-delà des dommages, cet événement eût des conséquences importantes sur les relations entre les communautés gardiennes du lieu saint le plus important de la chrétienté. Le récit qui suit est l’adaptation d’un texte composé à partir de deux manuscrits anonymes publiés par le franciscain Antonio Aracil y Pons, en 1932.


De grands cris brisent le silence d’un Saint-Sépulcre endormi. Il est aux alentours de 3 heures du matin, le 12 octobre 1808, quand les franciscains découvrent avec stupeur que l’autel de la galerie arménienne est en feu. Pas assez d’eau, trop de combustible – à l’époque une grande partie des éléments de la basilique sont en bois – l’incendie se propage rapidement : les flammes gagnent la charpente de la grande coupole, puis le chœur et la chapelle des Grecs, ainsi que le Calvaire et une partie de la galerie des franciscains.

« Agissant sans réflexion », les religieux Grecs, Arméniens, Coptes et Syriaques, dont les cellules sont en bois, s’enfuient par une fenêtre, note un récit anonyme publié par le franciscain Antonio Aracil y Pons, en 1932, qui souligne à l’inverse la « vivacité » des franciscains.

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Ceux-ci se dépêchent de sauver ce qu’ils peuvent : les lampes d’argent de l’édicule, celles du Calvaire, des vêtements liturgiques, le tableau de la Résurrection qui était au-dessus de la porte de la Chapelle de l’Ange, et les deux tentures (dont l’une en velours) qui entourent l’édicule. Beaucoup d’objets précieux et d’œuvres d’art disparaîtront malgré tout dans les flammes.

Fin du XIXe siècle, les représentants des églises gardiennes du Saint-Sépulcre prennent la pause.

 

Tout est entreposé dans la sacristie, quand un frère s’exclame : “Mince ! Nous avons oublié le tableau de la Vierge des douleurs au Calvaire !”, relate ce même récit anonyme.
Ni une ni deux, le sacristain s’empresse d’aller décrocher l’œuvre d’art. “Mais il monte avec difficulté l’escalier du Calvaire qui est en flamme, est-il relaté dans l’ouvrage de 1932. Il s’empare du tableau. Mais au moment de redescendre, le feu est devenu trop fort. Il tente alors de prendre l’escalier grec, c’est pire. Ne sachant que faire, il se précipite dans les flammes. Mais ni lui ni le tableau de la Vierge ne furent atteints par le feu. Ceci parut miraculeux.” Voyant que l’incendie se rapproche de la sacristie, les franciscains décident de déplacer leur butin dans les recoins protégés du couvent. Puis, cernés par les flammes, les frères finissent par s’échapper par une fenêtre.

Dégâts considérables

Un peu avant 7 heures du matin, les franciscains s’en reviennent, et constatent l’ampleur des dégâts. La coupole est réduite en cendres, les quintaux de plomb qui la recouvraient ont fondu. Des colonnes de la rotonde se sont effondrées : onze côté grec, et cinq sur la galerie arménienne. Les autels du Calvaire ont entièrement brûlé, tout comme la porte de l’édicule. À l’intérieur, tout est miraculeusement intact. “Même enfouies pendant plusieurs heures au milieu d’une fournaise des plus violentes et des plus voraces, et exposées à une chaleur si active qu’elle a consumé les marbres les plus durs, enflammé le fer et fondu tous les autres métaux, les chapelles sacrées du Tombeau et de l’Ange auraient dû être réduites en cendres, ou du moins sérieusement endommagées”, s’étonne le père Clemente Perez, Procureur de la Custodie de Terre Sainte à l’époque de l’incendie, dans le récit qu’il fait des évènements, publié en 1973 (1).
Si le feu s’est répandu jusque dans les cellules grecques, arméniennes, coptes et syriaques, celles des franciscains ont été épargnées. Même chose pour leur sacristie, la chapelle de l’Invention de la sainte Croix, et la chapelle de Sainte-Hélène. La pierre de l’onction, et le tombeau des rois croisés sont également intacts.
Le Saint-Sépulcre n’avait pas connu un tel incendie depuis 1000 ans. Qui, ou quoi, en est à l’origine ? L’enquête, menée par le mufti de Jérusalem (chef religieux musulman) et les responsables ottomans de la Justice, commence dès le matin du 12 octobre 1808. Convoqués, les représentants des différents rites chrétiens donnent leur version des faits : “Les franciscains déclarèrent qu’ils savaient avec certitude que le feu avait commencé depuis l’autel des arméniens dans la galerie, mais qu’ils ignoraient comment il était apparu. Les arméniens dirent que la cause du feu était une chandelle que leur sacristain avait laissée sur l’autel. Les grecs confirmèrent que le feu avait commencé à l’autel des Arméniens, mais ils prétendirent que c’est le gardien arménien qui l’y avait mis et qu’il s’était échappé.” De fait, il était introuvable. Les Ottomans crurent les grecs. Pour calmer le jeu et éviter une punition trop sévère, les arméniens leur versèrent des pots-de-vin.

L’autel de Marie-Madeleine et son pavement de l’époque croisée.

 

Jeu d’influence

Pendant ce temps, la basilique est fermée aux visiteurs et sécurisée : il faut reprendre les processions, temporairement arrêtées la journée du 12 octobre. Les franciscains installent une tente au-dessus de l’édicule pour le préserver des pluies
et du mauvais temps. Les autorités turques récupèrent les clés aux portiers musulmans.
Six semaines plus tard, alors que le sacristain franciscain nettoie les décombres de la maison turque voisine de la chapelle copte, il tombe nez à nez avec un cadavre. Les arméniens l’identifient comme leur gardien disparu. “Ils furent heureux de pouvoir dire qu’il n’avait pas fait escapade”, s’amuse le texte de 1932.
Il s’agit désormais de reconstruire le Saint-Sépulcre. Les trois églises gardiennes de la basilique doivent prendre des décisions communes. Ou pas. Un jeu d’influence commence pour prendre la main sur le chantier. Auteurs de l’incendie, les Arméniens n’ont pas voix au chapitre et laissent grecs et catholiques se livrer à une guerre latente quant au financement des travaux.

La Custodie, “accablée d’usure et de dettes”, selon les mots du père Clemente Perez, doit se financer auprès des nations catholiques mais se heurte à l’indifférence d’une Europe aux prises avec les guerres de Napoléon. Rien n’arrive. Les grecs en profitent : ils envoient leurs évêques à Constantinople et leurs moines dans les pays avec des communautés orthodoxes avec pour mission d’“obtenir des sommes d’argent suffisamment importantes pour leur permettre d’acheter les responsables turcs des différents niveaux et obtenir de la Sublime Porte des firmans qui leur sont favorables”, est-il expliqué dans l’ouvrage du Père Antonio Aracil y Pons.
En 1809, les grecs sont chargés de la reconstruction. Les latins ne se laissent pas faire. Pendant 2 ans, du 12 mai 1809 au 9 juin 1811, le duel est continuel. Tantôt les firmans sont favorables à la Custodie, tantôt les grecs, à coups de pots-de-vin, obtiennent du gouverneur local de Jérusalem ou d’un baja (gouverneur d’une province) ou même du grand vizir (vicaire du Sultan) une annulation de ce firman ou au moins une non-application. “Le procureur de la Custodie est obligé d’intervenir plus d’une dizaine de fois auprès des gouverneurs de rangs plus ou moins importants, par des pressions diplomatiques des nations catholiques et par des dons d’argent qui devaient égaler ou surpasser les dons des grecs à ces mêmes responsables.”
Il fallut patience et obstination de la part du custode et du procureur pour qu’enfin, le 9 juin 1811, les franciscains retrouvent leurs droits d’avant l’incendie, grâce à une décision ferme du cadi (juge dont la dignité participe du civil et du religieux) de Jérusalem.♦

1. L’incendie du Saint-Sépulcre. Récit du père Clemente Perez, Miscelanea de Tierra Santa, Tome II, A. Arce, ofm. Jerusalem Franciscan Printing Press, 1973.


Reconstructions

Chargés des travaux en 1809, les grecs enrobèrent le tombeau dans un nouvel édicule de style baroque-ottoman, la colonnade de l’Anastasis fût noyée dans d’énormes piliers carrés, et le déambulatoire divisé en réduits multiples. Un dôme en bois couronna le tout en 1810. Cette même année, profitant de leur pouvoir sur l’édifice et de l’absence des frères franciscains, qui prenaient leur repas au réfectoire, les grecs retirèrent les cénotaphes des rois de Jérusalem (Godefroy de Bouillon et Beaudoin Ier) de la chapelle d’Adam. Vénérés par les latins, ces monuments funéraires n’ont pas refait surface.

 

Dernière mise à jour: 22/05/2024 11:46

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