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Aboud, cœur chrétien de la Samarie

Rosario Pierri ofm
1 avril 2012
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Aboud, cœur chrétien de la Samarie
Vue de la colline de sainte Barbara sur la partie Nord du village, la partie chrétienne. ©MAB/CTS

Non loin de Jérusalem, le village d’Aboud a des origines anciennes et des vestiges byzantins, croisés et musulmans.
Les souvenirs chrétiens sont encore gardés par les familles du village, rassemblées autour de la paroisse, qui dirige une école fréquentée aussi par de nombreux enfants musulmans.


Aboud est un village situé à environ 30 km au nord-ouest de Jérusalem sur la route principale romaine qui reliait Gophna à Antipatris. Le centre de ce village a été habité sans interruption depuis la période romaine, ce qui rend le lieu particulièrement intéressant ; on y trouve ici et là des ruines de l’époque byzantine, croisée, ayyoubide, mamelouk et ottomane. Le père Bellarmin Bagatti a décrit ce lieu dans son livre Antiques villages de la Samarie (1971). D’où l’idée de revenir 40 ans plus tard pour voir ce qui y a changé.
Le village a connu dans le passé de célèbres habitants. Les colophons de certains manuscrits de textes liturgiques mentionnent trois moines syriaques originaires du village : Elias, qui a construit en 1030 le monastère de Deir el-Kaukab entre Aboud et Deir Abou Mechaal (Belfort) ; Mafrij Ibn Abu al-Hayr, scribe du monastère de Sainte Catherine dans le Sinaï (1104) ; et le diacre Surur, qui a acheté un livre avec les tables des canons de l’écriture (des Évangiles), près du Caire. Aboud a également donné naissance à un poète musulman éminent, Taqei ed-Din al-Dari el-Ghazi, connu sous le nom de Kamal ed-Din Abu Ishaq.

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Un riche passé chrétien

Dans le village, plusieurs églises de l’époque byzantine et du début du Moyen-Âge ont été identifiées. Sainte-Marie, que les habitants appellent al’Abudiyah, Sainte-Anastasie, Sainte-Barbara, Sante-Marie1.
Selon Bagatti, l’origine du nom serait syrienne. Aboud signifie « créateur, travailleur ». Le village devait être d’origine juive, comme en témoignent une inscription et quelques manuscrits en syriaque palestinien d’un scribe originaire du village : Mafrij Ibn Abu al-Khayr.
Des explorateurs comme Claude Conder et Herbert Kitchener, décrivant le village d’Aboud, écrivaient ceci : « Un grand et florissant village chrétien en pierre, presque toutes les maisons sont marquées d’une croix peinte en rouge. On y trouve une église grecque large de 30 pieds et longue d’environ 45 pieds avec un porche à l’ouest : l’intérieur est blanchi à la chaux avec soin. En 1873, la population comptait 400 chrétiens grecs et 100 musulmans. On dit que l’église est ancienne ; sur le porche, une vigne a poussé. On peut voir, sculptée sur la surface d’une pierre, insérée dans un mur à sec, une croix de Malte. À coté du village, il y a un lieu dédié à sainte Barbara et une très grande piscine. L’approvisionnement en eau provient de ce bassin. La voie romaine traverse la place. » Les deux savants devaient se référer à cette église lorsqu’ils écrivaient : « L’église actuelle a un aspect moderne, même si le prêtre dit qu’elle est très ancienne. Grâce à une inscription trouvée par R.E. Wilson sur un linteau dans le village, il apparaît évident qu’il devait y avoir là une église plus ancienne » 2.

A la sortie d’Aboud, une nécropole creusée dans une carrière de pierre desafectée ©Rosario Pierri

Sur les pas de Jésus

La première étape de la visite commence par l’« église grecque » justement mentionnée par Conder et Kitchener. J’arrive à la fin de la messe, célébrée dans l’église de la Vierge des grecs orthodoxes Abudiyah. Cette église date du Ve siècle et a été reconstruite de nouveau six siècles plus tard, quand celle en bois fut remplacée par une similaire. Dans la nef latérale sud (l’église a trois nefs), entre le mur et le début de l’arc d’une des petites voûtes, se trouve une inscription en araméen in situ (en caractère syriaque totalement étranger au palestinien, une copie se trouve au Musée du Studium Biblicum à Jérusalem), sur laquelle il est rappelé que l’église a été reconstruite à l’époque fatimide « dans la 450e année des bédouins » (c’est à dire de l’Hégire), soit en 1058. On y fait mention du patriarche Théodose, l’archevêque d’Abraham, le prêtre Pierre.
À cinq minutes de marche on arrive à un petit cimetière, séparé en deux par une route : quelques tombes de chaque côté. Sous ce tronçon de route, il y a des restes de l’église dédiée à Massiah (Messie). La route a été construite sous le mandat britannique. Une tradition locale veut que Jésus, et avec lui ses apôtres, traversaient habituellement ce village il y a deux mille ans, pour se rendre de la Galilée en Judée. L’église fut par conséquent construite pour fixer cette mémoire.L’église de Nastasieh (Sainte Anastasie, VII-VIIIe siècle) est réduite à quelques ruines et rien de plus, le périmètre est intact, un mur est encore debout avec une ouverture et un arc en ogive, on reconnaît l’abside. Comparé à ce qui reste ou à ce qui est visible de l’église de Saint-Théodore (V-VIe siècle) dans la zone du nouveau cimetière, des fragments épars, des pierres, céramiques, et une tombe, c’est déjà quelque chose.
À Saint Siméon (Sim’an), église de la paroisse latine, j’ai été accueilli par le père Samer Haddad, responsable d’une école fréquentée par 70 enfants chrétiens et 200 musulmans. Il nous a montré un ensemble de mosaïques trouvées en 2003 dans une salle adjacente à l’église actuelle, œuvre d’une belle manufacture, suggérant qu’il y avait là une communauté chrétienne prospère.
À quelques pas de sa maison, mon guide local, Khalil, me montre ce qu’il reste de Mar Abadieh (Abdias le prophète), une église datée entre le VIIe et le VIIIe siècle : le périmètre est bien défini et l’abside est reconnaissable ; le site est dominé par les maisons modernes avoisinantes.

Au-dessus de chacune des niches mortuaires on distingue la frise de losanges décrite par les archéologues en 1873. ©Rosario Pierri

Tombes hérodiennes

Après cette étape, nous nous dirigeons vers Mokata Aboud, la grotte d’Aboud, pour visiter les tombes juives de la fin des années hellénistiques-hérodiennes creusées dans la roche. Le site a été exploré en profondeur par Conder et Kitchener. L’inspection de leur expédition à Mokata Aboud a permis d’identifier neuf tombes : « Un groupe de tombes remarquables visitées et dessinées par Wilson en 1866. » Parmi elles, l’une est particulièrement monumentale. Laissons-en la description aux deux célèbres savants : « La troisième tombe est la plus importante du groupe, avec un portique surmonté d’une frise sculptée, probablement soutenu autrefois par deux colonnes, avec des piliers sur le côté. Le porche est large de 19 pieds et profond de 9 pieds et 8 pouces. On y voit une entrée dans la partie postérieure et (une) à droite qui mène à deux chambres. La frise au-dessus est composée de guirlandes, de rosettes et de grappes de raisins, séparées par des triglyphes et semble être du même style que celle de Kabûr es Salatân à Jérusalem. Ce sont les-dits « Tombeaux des Rois », mais ce serait plus probablement la tombe monumentale d’Hélène, reine d’Adiabène, IIe siècle avant J.-C. Le plafond du portique est plat, à environ 15 pieds du sol. La chambre funéraire de derrière est large de 11 pieds, et a une profondeur de 11 pieds et 9 pouces ; l’entrée est voûtée à l’extérieur. Il y a trois kokîm sur chacun des trois murs soit neuf en tout, de 5 pieds et 8 pouces de long, et large de 1 pied et 10 pouces, tous arqués. Il y a des petites cavités à l’arrière et sur le mur de gauche, probablement pour poser des lacrymatoires ou pour mettre quelques cadeaux à la personne décédée. La salle sur la droite comporte la tombe la plus remarquable découverte pendant l’inspection, les murs sont cimentés et peints avec soin. L’ensemble mesure 9 x 9 pieds et 8 pouces et dispose de trois kokîm sur la partie arrière et trois à gauche ; ceux-ci mesurent 6 pieds de long et s’élargissent vers l’intérieur : ils mesurent 1 pied et 6 pouces de large sur le mur de la tombe, et 2 pieds à l’extrémité. lls sont hauts de 2 pieds et de 7 pouces, avec une voute arquée : une cavité semi-circulaire. Entre le haut de la voûte des kokîm et la surface du tombeau il y a 11 pouces de distance, le dessin de la fresque est constitué de quatre losanges noirs, bordés de rouge sur fond blanc, au milieu il y a trois carrés rouges, et au-dessus court une guirlande sinueuse en rouge, jaune et blanc. Entre les kokîm, des panneaux de couleurs rouges. Ce décor n’est pas complet sur ​​le mur de droite, où il n’y a pas de kokîm, il semble qu’on ait voulu peindre des panneaux rouges alternant avec des panneaux blancs, les surfaces sont définies, en outre, sur l’un d’eux, qui devait être complété avec du rouge, il reste une fine couche de peinture rouge. Sur la koka centrale arrière il y a une cavité de 3 pieds et 3 pouces sur 2 pieds de profondeur et 2 pieds et 9 pouces de hauteur. L’entrée de cette chambre latérale est de 2 pieds de large. Il y a une frise grecque sur les côtés et en haut, et au-dessus, une frise haute de 1 pied et 5 pouces, longue de 3 pieds et 10 pouces. Elle représente une vigne avec des grappes de raisins et de feuilles tombant des branches, naïvement conçue et exécutée en bas relief. La grecque est de 4,5 pouces de large, l’entrée est haute de 4 pied ». Les explorateurs ont noté, enfin, que sur le portique, les signes  gravés semblent représenter des symboles de la tribu d’appartenance. En comparant les dessins de Conder et Kitchener avec les actuelles conditions de conservation des frises et des fresques, cela semble un miracle qu’elles soient encore visibles.

La chapelle cosnacrée à sainte Barbara reconstruite ces dernières années. ©MAB/CTS

La tradition de sainte Barbara

Le long de la route qui nous mène au lieu de la mémoire de Sainte Barbara, j’apprends de mon guide que, selon la tradition locale, la sainte serait originaire d’Aboud (!), bien que le Synaxaire byzantin indique Nicomédie comme le lieu de naissance de la martyre, au IIIe siècle. La version abudienne est une évidente mais intéressante transposition de l’histoire de la conversion de la sainte, désormais liée à la coutume qui consiste à préparer un dessert, la « burbara », typique de la région, à l’occasion de la fête de Sainte Barbara. « Le père de Barbara – poursuit-il – était un païen et ne voulait pas que Barbara se convertisse au christianisme. Quand il apprit que sa fille s’était convertie, il voulu la tuer. Barbara s’est alors cachée dans un champ de blé, mais son père réussit à la retrouver. La jeune fille, effrayée, s’enfuit et lorsque son père fut sur le point de la rattraper il fut frappé par la foudre. « Le burbara pris le nom de la sainte et se prépare avec du blé, rappelant le champ de blé dans lequel Barbara a essayé de se cacher. Conder et Kitchener font aussi référence à ces lieux : « Une petite chapelle en ruines, un autre lieu de pèlerinage pour les chrétiens. Il est de bonne maçonnerie, au sol on voit encore les fondations, mesurant environ 10 pieds à l’intérieur et 22 pieds pour la longueur est-ouest. Entre la chapelle et le village d’Aboud on voit un précieux réservoir (que nous n’avons pas vu) entouré de murs, qui était rempli au moment de la visite. » La chapelle de sainte Barbara devait remonter au Ve ou VIe siècle. Le 31 mai 2002, l’armée israélienne l’a dynamitée « par erreur », elle a depuis été reconstruite par les villageois. Le fait que cet endroit soit encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage se voit par les nombreuses bougies que nous avons trouvées dans la grotte associée à la mémoire de la sainte. Non loin de là, à l’ouest, il y a un puits.
Aboud est un village à visiter. Ce n’est pas si loin de Jérusalem et les conditions sont favorables pour s’y rendre –il n’y a qu’un seul poste de contrôle militaire-. Pour ceux qui s’intéressent à la découverte des souvenirs historiques des premiers siècles du christianisme, ce village est un précieux témoignage. Aboud enseigne beaucoup sur ce qui est cher à la mémoire des chrétiens de cette terre. Beaucoup d’entre eux, même si c’est à contrecœur, partent, et ceux qui restent, conservent jalousement les souvenirs de leurs pères. n

1. (H. Taha, « A Salvage Excavation at the ’Abudiyah Church in Abud – Samaria, « LA 47 [1997] 359 -360)
2. (The Survey of Western Palestine, 1882)

Dernière mise à jour: 01/01/2024 15:48

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