
Une vaste opération antiterroriste de l’armée israélienne est toujours en cours dans une ville du nord de la Cisjordanie, entraînant des morts et le déplacement du quartier où vivent les réfugiés. Témoignage du curé, le père Amer Jubran.
Des tirs de l’armée israélienne se font entendre dans le camp de réfugiés de Jénine. On les entend jusque dans la maison d’Abuna Amer Jubran, le curé de la petite communauté catholique locale, alors qu’il nous raconte l’atmosphère qui règne ces jours-ci dans cette ville du nord de la Cisjordanie.
Le 23 janvier, l’armée a ordonné l’évacuation du camp (bien que l’armée israélienne ait nié qu’un ordre officiel ait été émis). Le camp de réfugiés est une partie de la ville construite dans les années 1950 pour accueillir les réfugiés de la Nakba (Catastophe) de 1948, où vivent aujourd’hui au moins 15 000 personnes. Le père Amer nous explique que l’ordre devait être effectif à partir de 17 heures. D’après les ordres israéliens « les gens doivent quitter leurs maisons, après cela, on ne sait pas ce qui va se passer. Peut-être auront-ils la permission de rentrer lundi, mais ce n’est pas certain. »
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Cela fera une semaine demain que les militaires sont entrés dans le camp pour tenter d’arrêter les responsables d’une attaque terroriste perpétrée à Funduq, causant la mort de trois Israéliens le 6 janvier dernier. Si, dans la bande de Gaza, les combats ont pour l’instant cessé, en Cisjordanie, les violences ne s’arrêtent pas, et particulièrement à Jénine et dans les villages environnants. L’offensive militaire, que les Israéliens ont appelée « Mur de fer », entraîne des morts et des arrestations. Ce lundi 27 février, le bilan d’après les sources palestiniennes est de 16 morts, dont une enfant de deux ans, et une cinquantaine de blessés.
« Jénine est en quelque sorte le centre de la résistance palestinienne, c’est pourquoi l’armée israélienne cherche à la détruire. Fin août 2024, l’armée était déjà entrée dans le camp pendant une dizaine de jours, détruisant les routes principales, y compris la voie d’accès à l’hôpital, et endommageant des bâtiments et des commerces. Ici, la vie était déjà devenue très difficile après le 7 octobre 2023, avec la fermeture de nombreux check-points et la suspension des permis de travail pour les Palestiniens employés en Israël. Cela a causé d’énormes problèmes économiques. »
Le père Amer raconte que, depuis des mois, il est devenu impossible de se déplacer : il faut cinq heures de route pour atteindre Jérusalem (à 80 km à vol d’oiseau), autant pour rejoindre Nazareth, qui n’est pourtant qu’à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau. Mais comme les postes-frontières sont fermés, il faut faire un détour de 100 à 120 kilomètres.

Que s’est-il passé lors de cette nouvelle offensive contre le camp de Jénine ?
« Les gens sont restés enfermés chez eux, les fournitures d’électricité et d’eau ont été coupées, et pendant ce temps, il pleut et il fait froid. On entend continuellement les attaques de l’opération militaire. » À un peu plus d’un kilomètre du camp se trouve l’église Saint-Sauveur, qui abrite la communauté catholique au centre de la ville. Dans le camp de Jénine, la population est entièrement musulmane, mais aux alentours vivent une quinzaine de familles chrétiennes avec lesquelles le père Amer reste en contact. « Certaines de leurs propriétés ont aussi subi des dommages et des destructions, nous explique-t-il. J’ai parlé avec des habitants du voisinage qui m’ont raconté les destructions. Les routes d’accès sont tellement endommagées que les ambulances peinent à passer. »
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D’après le maire de la ville Mohammad Jarrar, cité par l’agence Anadolu, dimanche 26 janvier quelque 15 000 personnes avaient déjà été contraintes de fuir leurs maisons et certaines zones du camp en raison des attaques israéliennes.
La communauté chrétienne locale est dispersée entre la ville et certains villages environnants, comme Burqin, où vivent une vingtaine de familles chrétiennes de rite oriental, et où l’ancienne église Saint-Georges rappelle le miracle des lépreux raconté dans l’Évangile de Luc. Environ 75 familles composent la communauté catholique de rite latin de Jénine. « Les relations avec les musulmans sont en général bonnes. Il y a un sentiment de lassitude face à la situation, et cela peut parfois créer des tensions. Les chrétiens sont forts et courageux, et malgré le manque de travail, ils ne veulent pas quitter leurs maisons. »
La suppression des permis de travail pour ceux qui se rendaient chaque jour en Galilée, en Israël, a un impact sur la vie des familles. « En tant que paroisse, nous essayons d’apporter de l’aide, mais nous n’avons pas les ressources pour répondre à tous les besoins. » Le père Amer raconte que l’église soutient les étudiants en payant leurs frais de scolarité et universitaires, et qu’elle a également fourni une aide financière pour l’achat de médicaments et parfois de nourriture. La paroisse fait partie du Patriarcat latin de Jérusalem, et le cardinal Pierbattista Pizzaballa avait visité Jénine en septembre dernier après les affrontements armés d’août. Il reste en contact constant avec la communauté.
Le curé tient à souligner que la mission de la paroisse ne peut pas se limiter à l’aide économique. Abuna Amer est arrivé à Jénine il y a seulement quelques mois, après avoir passé plusieurs années en Jordanie puis à Beit Jala. Il observe que les fidèles ont soif de la Parole. « L’église est pleine pour la messe dominicale, qui est célébrée en soirée. Environ cent personnes y assistent. Il y a aussi une participation dans les villages voisins. J’accomplis ma mission avec mes faiblesses, confie-t-il. Mais je m’en remets au Seigneur, et cela me rend serein. Je répète aux fidèles, surtout maintenant que l’Année sainte a commencé, que le Seigneur donne de l’espérance. Car le Christ a vaincu la mort. »

Dimanche 26 janvier, le père Amer a célébré la messe dominicale seul. Aux places de ses paroissiens empêchés de venir, il avait disposé le feuillet du 3e dimanche du temps ordinaire de l’année C et a posté les photos sur facebook assurant ses paroissiens que la messe avait été dite à leur intention.
Il espère aussi que sa communauté ne sera pas oubliée et que les pèlerins qui reviendront en Terre Sainte sauront qu’il y a aussi des chrétiens à Jénine, qui ont besoin de soutien, alors que la ville subit un nouveau siège.