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Le Christ a connu la condition de prisonnier

Par Marie-Armelle Beaulieu
30 mars 2019
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Le Christ a connu la condition de prisonnier
← Le lieu saint Inutile d’entrer dans la chapelle pour vénérer le lieu saint de la prison du Christ. Car LE lieu saint est l’autel à droite de l’entrée sous lequel est exposé un pilori.

Les évangiles n’en mentionnent pas une seule, pourtant à Jérusalem trois prisons s’offrent à la dévotion des pèlerins. La plus connue des catholiques est située dans le sanctuaire de Saint-Pierre-en-Gallicante. Une autre, dans la Via Dolorosa, est un sanctuaire orthodoxe et la troisième se trouve au Saint-Sépulcre.
Des trois, cette dernière passe pour la moins probable, elle n’en a pas moins été la plus vénérée pendant plus de mille ans.


Il est 16 h 08, le drogman du Saint-Sépulcre demande aux touristes de bien vouloir s’écarter du lieu. La procession des frères avance en chantant recto tono “Amóre vinctus vénerat Vincíre nos per grátiam ; hunc vínculis multínodis servus nec horret stríngere. – Enchaîné par amour, il vint nous racheter par la grâce, celui que l’esclave attache par de lourdes cordes.”
Le prêtre qui conduit la procession quotidienne des franciscains du Saint-Sépulcre entre dans la prison et poursuit la prière. “Romps, nous t’en prions Seigneur, les liens de nos péchés pour que libres des liens de ce corps, nous puissions jouir d’une liberté perpétuelle.”
Comme les arméniens lors de leur procession de fin de semaine, les franciscains vénèrent à cet endroit – propriété de l’Église grecque-orthodoxe – ce que la tradition a retenu : “l’emprisonnement du Christ”.
Au Moyen Âge, cette modeste chapelle était le deuxième lieu le plus vénéré dans la basilique après le Tombeau vide et avant le Calvaire.

 

Moins connu que le pilori des mains, le pilori des pieds est beaucoup plus ancien. Il consiste à entraver les pieds du condamné comme le représente l’icône. On voit un carcan identique dans la prison dite du prétoire Via Dolorosa.

 

Luxe de prisons

A lire de près les évangiles, aucun ne mentionne que le Christ ait été mis en prison. Tout au plus peut-on déduire qu’entre son arrestation le jeudi soir et sa condamnation le vendredi matin, il est resté sous surveillance quelque part. Les grecs-orthodoxes estiment que cette incarcération a pu avoir lieu aux abords du prétoire, d’où l’existence d’un “Monastère du prétoire” sur la Via Dolorosa, dans les sous-sols duquel on peut visiter des salles taillées dans le roc et dans l’une d’entre elles ce qui a été identifié comme espace carcéral. D’autres textes estiment que cette nuit d’attente de Jésus se serait plutôt déroulée dans la maison de Caïphe, grand prêtre du temple de Jérusalem, sur le Mont Sion. C’est la tradition de Saint-Pierre-en-Gallicante qui présente aussi des citernes taillées dans la roche qui ont pu servir de prison.
S’agissant du Saint-Sépulcre, et comme pour concilier les traditions, les auteurs anciens, à commencer par Épiphane au Ve siècle, parlent d’une “salle de garde où Christ a été emprisonné et Barabbas”. Tandis que le franciscain Philippe de Savone en 1280 mentionne le lieu “où les juifs l’ont placé jusqu’à ce que la Croix soit érigée”. Le Christ n’aurait donc pas eu à attendre une mais plusieurs fois que l’on statuât sur son sort.

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Une chose est sûre, les études ont montré que cet espace existait déjà dans le plan de la basilique constantinienne du IVe siècle, dans l’enfilade du triportique nord par lequel on y accédait mais à l’extérieur du martyrion. Elle faisait alors face au Calvaire dans un axe nord-sud (voir plan).
Cette chapelle de l’emprisonnement du Christ a connu au Moyen Âge une fortune qu’aucune autre prison de Jérusalem ne peut revendiquer. La plupart des Guides de Terre Sainte médiévaux, et en tous les cas les plus fameux, la mentionnent. Et nombre de pèlerins en parlent dans leurs récits, quand bien même certains se montrent dubitatifs. Les pèlerins y accouraient quoiqu’il en soit de l’interdiction dont voulut la frapper le pape Grégoire IX en 1238, qui reproche aux chanoines du Saint-Sépulcre d’exploiter la crédulité des fidèles en leur montrant – moyennant finance – une “prétendue prison du Christ”(1).

 

État de la chapelle avant restauration.
Un incendie, survenu il y a une vingtaine d’années avait détruit les images pieuses laissées par quelques familles de Jérusalem dans la chapelle, laquelle restait depuis dans un triste état.

 

Une vérité de dévotion

Selon Anthony Bale du Birkbeck College de l’Université de Londres (voir encadré), l’intérêt pour le lieu trouve son origine dans la démarche spirituelle du pèlerin. D’après Bale “au XIIe siècle, dans la chrétienté latine, l’emprisonnement du Christ était devenu une vérité de dévotion dans les récits populaires de la Passion”. La prison n’est alors pas vue comme un lieu d’humiliation mais au contraire de grâces. Une spiritualité qui éclaire le choix de la figure sur l’unique chapiteau figuratif encore visible aujourd’hui qui représenterait Daniel dans la fosse aux lions. Daniel, c’est celui que le roi Darius fit jeter aux lions en lui disant “Ton Dieu, que tu sers avec tant de constance, c’est lui qui te délivrera.” ( Dn 6, 17).
Plusieurs auteurs du Moyen Âge voient en Daniel une figure du Christ, sa délivrance préfigurant alors la Résurrection, et son emprisonnement un purgatoire – au sens de lieu de purification – et l’image de la descente du Sauveur aux Enfers.
Visiter la prison du Christ devient pour le pèlerin lui-même source de grâces. Plus tard, au XIVe siècle, quand les portes de la basilique sont durablement fermées et que le seul moyen de visiter les lieux est de s’y faire enfermer à la tombée du jour, la nuit entière est vécue comme un “joyeux emprisonnement”. Ainsi le dominicain allemand Félix Fabri décrit-il sa nuit au Saint-Sépulcre : “Dès que nous fûmes tous à l’intérieur, les Sarrazins refermèrent immédiatement les portes de l’église et les verrouillèrent à l’aide de verrous et de serrures, comme les hommes ont l’habitude de le faire après avoir poussé violemment les voleurs dans un donjon. Ils s’en allèrent avec les clés, nous laissant ainsi prisonniers dans la plus charmante, légère et spacieuse des prisons, dans le jardin du très précieux sépulcre du Christ, au pied du mont du Calvaire, au centre du monde. Oh, quel joyeux emprisonnement ! Quelle captivité désirable ! Quelle délicieuse incarcération ! Quel doux enfermement, par lequel un chrétien est retenu et emprisonné dans le sépulcre de son Seigneur !” Plus loin le même Fabri décrit la prison puis ajoute : “Dans cette cellule vénérable, nous avons réfléchi, non sans chagrin, à la façon dont le Seigneur Jésus y pleura en attendant la torture de la Croix avec autant de crainte que de désir. Nous y sommes donc entrés l’un après l’autre, avec des soupirs et des gémissements, et chacun à son tour s’est incliné devant la terre et a embrassé les empreintes de pas de notre Sauveur, et nous avons reçu des indulgences.”
Avec les indulgences liées au lieu il est montré combien la visite s’était mue en acte de contrition. “En leur offrant un espace propice à la purification et à une rémission salutaires, la prison du Christ répondait aux besoins des pèlerins subissant un emprisonnement volontaire grâce auquel ils se préparaient au paradis” écrit Bale. L’usage même du mot cellule, communément utilisé pour une chambre de moine, souligne le lien avec la privation volontaire de liberté et le Salut qu’on en espère.
Au Moyen Âge, cette expérience était facilitée par le lieu lui-même. Tous les pèlerins s’accordent à parler d’un lieu obscur, sous des voûtes, sans fenêtre. D’aucuns décrivent des chaînes fixées au mur, et “des magasins(2) dans lesquels ils mirent les pieds de Jésus, et ils sont faits de marbre”.
Les pèlerins d’antan ne s’y retrouveraient plus aujourd’hui. Les récents travaux de restauration, avec ce luxe de lumière et de marbre, ont fait perdre au lieu l’intimité et l’austérité de la cellule que la pénombre prolongeait.
Ne reste plus aux pèlerins qu’à suivre la procession quotidienne des franciscains dont tous les textes de la station perpétuent l’expérience médiévale : “Délivre, ô Jésus, les esclaves des liens du mal ; et les ayant libérés du démon, entraîne-les par les liens de l’amour. Ô douce joie, Jésus, par les liens de ton corps sacré, remets leurs fautes aux coupables, donne-leur ta grâce.”♦

1. in Guide Terre Sainte de Barnabé Meisterman, qui ne cite pas le texte latin que voici “locum conficti carceris sub certo pretio”.
2. C’est la deuxième acception du terme magasin qu’il faut lire ici soit “Partie creuse (d’un appareil) destinée à être chargée”.


Après 10  ans la restauration est enfin achevée

Décidée en 2009, la fin des travaux de la prison du Christ au Saint-Sépulcre a été discrètement célébrée par le patriarcat grec-orthodoxe, début 2019. Ravagée par un incendie dans un passé récent, la chapelle méritait vraiment des travaux. Pour le patriarcat, la restauration devait remettre en valeur les éléments architecturaux de l’époque de Constantin et de l’époque du patriarche de Jérusalem Modeste qui procéda à une reconstruction partielle de la basilique après sa destruction par les envahisseurs perses de 614.
Mais la crise de la dette publique grecque passant par là, le patriarcat grec-orthodoxe hellène se vit obligé de réduire la voilure de ses dépenses. Finalement, les travaux commencèrent sous la direction (et le financement ?) d’une équipe russe. Or un désaccord survint entre cette équipe et le patriarcat orthodoxe de Jérusalem, interrompant les travaux. Ils ne reprirent qu’en 2017 pour être achevés et inaugurés devant la famille ukrainienne qui en assura le financement.


Tout savoir sur la prison du Christ

Cet article doit beaucoup à la très riche étude (35 pages) du professeur Anthony Bale du Birkbeck College de l’Université de Londres intitulé : “La cellule de Dieu : le Christ comme prisonnier et le pèlerinage à la prison du Christ“ (titre original God’s Cell : Christ as Prisoner and Pilgrimage to the Prison of Christ).

Dernière mise à jour: 14/03/2024 10:52

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