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Quand les détenus palestiniens utilisent la faim comme une arme

Cécile Lemoine
1 septembre 2022
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Quand les détenus palestiniens utilisent la faim comme une arme
Des membres de la famille de Khalil Awawdeh, détenu administratif en grève de la faim depuis plus de 180 jours, dans le village cisjordanien d'Idnah, près d'Hébron, le 25 août 2022 ©Wisam Hashlamoun/Flash90

Après 182 jours, le palestinien Khalil Awawdeh a mis fin à la grève de la faim qu'il meniat pour dénoncer sa détention administrative. Une lutte que de nombreux prisonniers ont mené avant lui.


Il a le visage émacié et le corps squelettique d’un homme qui ne pèse plus que 38 kilos. Khalil Awawdeh aura passé 182 jours en grève de la faim, soit plus de six mois en ne se nourrissant que d’eau, de vitamines et de sucre. Il a mis fin à son mouvement au terme après qu’Israël a accepté sa libération.

Originaire du village cisjordanien d’Idna près d’Hébron, ce quarantenaire père de quatre enfants, a été arrêté en décembre 2021 par l’armée israélienne puis placé en détention administrative. Il a arrêté de se nourrir au mois de mars, pour attirer l’attention sur son incarcération qui se fait sans inculpation et sans jugement, au motif que la personne représente un « risque pour la sécurité ».

La détention administrative, censée être préventive, n’a pas de limite de temps. Elle est renouvelable tous les 6 mois, indéfiniment. La personne est détenue sans poursuites judiciaires, sur ordre du commandant militaire régional, sur la base de preuves secrètes qui ne lui sont pas révélées. « Cela laisse les détenus impuissants – confrontés à des allégations inconnues sans aucun moyen de les réfuter, ne sachant pas quand ils seront libérés et sans être inculpés, jugés ou condamnés », explique B’Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains.

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Au 10 août 2022, 670 détenus étaient dans ce cas dans les prisons israéliennes, selon le décompte réalisé par Addameer, une ONG palestinienne qui défend les droits des prisonniers. Dans le droit international, la détention administrative est considérée comme une mesure extrême qui doit être soumise à des dispositions légales strictes et à des mécanismes de contrôle.

Individuelle ou collective

Hospitalisé à l’hôpital Assaf Harofeh, près de Tel Aviv, Khalil Awawdeh souffre de symptômes neurologiques graves et de troubles cognitifs qui pourraient être irréversibles, selon le diagnostic du Dr Lina Qasem-Hassan, présidente de l’association Physicians for Human Rights Israel, qui a rendu visite au prisonnier le jeudi 11 août. Elle a conclu que son état était critique, et sa vie, en danger immédiat.

Le détenu a prévenu qu’il ne mettrait un terme à sa grève de la faim que s’il était libéré. « Mon abstinence de nourriture n’est pas un rejet de la vie, mais plutût un rejet des chaînes« , a-t-il affirmé dans une vidéo filmée pour ses 180 jours de grève. Il a au total passé 12 ans dans les prisons israéliennes depuis le début des années 2000, dont cinq ans en détention administrative. Le Jihad islamique palestinien (JIP) a exigé sa libération dans le cadre des conditions d’un accord de cessez-le-feu du 7 août qui a mis fin au bombardement de Gaza par Israël pendant trois jours, chose ques les autorités palestiniennes ont jusqu’à présent refusé de faire, se limitant à la geler.

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Khalil Awawdeh est le dernier du longue liste de gréviste de la faim en Israël. Il devait être rejoint, le 1er septembre par 1 000 autres « prisonniers de sécurité », pour protester contre la détérioration prévue de leurs conditions de détention, a annoncé le Club des prisonniers palestiniens, le 31 août.

Qu’elle soit individuelle ou collective, « la grève de la faim est utilisée comme un outil par les prisonniers palestiniens depuis le début de l’occupation pour s’opposer aux violations israéliennes », explique Sahar Francis, directrice générale de Addameer, à terresainte.net. La première grève de la faim remonte à 1968, date à laquelle les prisonniers ont dénoncé les conditions de vie à l’intérieur des centres de détention et des prisons. Ils l’ont toujours utilisé pour améliorer leurs conditions de vie ou demander leur libération. »

Les grèves de la faim laissent les autorités israéliennes dans une impasse, largement incapables d’agir contre les prisonniers ou d’empêcher les images de grévistes émaciés de circuler publiquement. « Le corps du prisonnier en grève perturbe l’un des rapports les plus fondamentaux à la violence derrière les murs de la prison, celui dans lequel l’État israélien et ses autorités pénitentiaires contrôlent chaque aspect de leur vie derrière les barreaux et sont les seuls à infliger la violence. Ils revendiquent leur statut de prisonniers politiques, refusant leur réduction au statut de « prisonnier de sécurité » », estime l’antropologue Basil Farraj, spécialiste des prisonniers politique dans un article publié sur le site du think tank palestinien Al Shabaka.

Un record de 266 jours

« C’est un moyen de pression qui a fonctionné jusque dans les années 2010, dans la mesure où le détenu pouvait estimé qu’il serait libéré après 60-75 jours de grève de la faim, relate Sahar Francis. Et puis les autorités ont commencé à refuser toute négociation avec le détenu et c’est ainsi que les prisonniers ont commencé à atteindre 90 jours et plus de 100 jours de grève de la faim, comme c’est le cas de Khalil maintenant. »

La grève de la faim la plus longue aura duré 266 jours. Un record détenu par Samer Issawi, un jérusalémite dont Israël a accepté la libération en avril 2013, alors que les inquiétudes grandissaient quant à un éventuel tollé international en cas de décès et à l’embrasement des Territoires palestiniens. « La grève de la faim seule ne peut pas fonctionner, il faut une pression de la communauté internationale ainsi que de l’ONU sur l’État israélien pour faire libérer la personne. Dans certains cas, les détenus ont été arrêtés de nouveau moins d’un an après leur libération », ajoute la directrice générale d’Addameer.

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Peu de détenus sont décédés au cours de leur grève de la faim. Les années 1980 ont vu la mort de trois prisonniers, suite à la politique de gavage menée par Israël à cette époque. Une pratique qui a par la suite été interrompue sur ordre de la Haute Cour israélienne, avant qu’un amendement l’autorisant soit intégré à la loi sur les prisons israéliennes en 2015. Il était porté par le ministre de l’Intérieur, Gilad Erdan, qui expliquait alors que « les prisonniers de sécurité souhaitent transformer une grève de la faim en un nouveau type d’attaque suicide par laquelle ils veulent menacer l’État d’Israël. Nous ne laisserons personne nous menacer et nous ne laisserons pas des prisonniers mourir dans nos prisons« .

Les normes internationales des droits de l’homme considèrent la grève de la faim comme une forme de liberté d’expression, ainsi qu’un droit civil et politique. Les plus emblématiques sont probablement celle des suffragettes britanniques en 1909, ou celle de Mahatma Gandhi, lors de la révolte contre la domination britannique en Inde.

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