Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Amnon Ramon: « La raison de la montée du mépris envers les chrétiens ? Le sionisme-religieux »

Interview par Cécile Lemoine
1 septembre 2023
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Amnon Ramon: « La raison de la montée du mépris envers les chrétiens ? Le sionisme-religieux »
Amnon Ramon est un chercheur israélien spécialiste des relations entre Israël et les chrétiens à l'Institut de Jérusalem pour la recherche politique © Hadas Parush/Flash90

Chercheur israélien spécialiste du christianisme, Amnon Ramon revient sur les relations qu'entretiennent Israël et les Eglises alors qu'une série de rencontres entre les responsables religieux et les autorités israéliennes pour tenter de mettre fin aux actes anti-chrétiens en Terre Sainte, ont marqué l'été.


Quel regard portez-vous sur la dégradation du comportement de certains juifs à l’égard des chrétiens ?

Les crachats, le vandalisme… Ces gestes sont loin d’être un phénomène nouveau. L’explication de leur augmentation tient en deux mots : le nouveau gouvernement. Cette coalition radicale et religieuse dirigée par Benyamin Netanyahu depuis 9 mois. On y observe deux courants de pensées

Le premier est incarné par Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité publique, et disciple du kahanisme. Selon ce mouvement sioniste-religieux, le christianisme serait l’un des pires ennemis des juifs et de l’Etat juif. Cette idée prend ses racines dans les relations conflictuelles entre les deux religions depuis le Moyen-Âge, qui ont abouti à la Shoah. Mais ces personnes ne connaissent pas les évolutions de la position de l’Eglise catholique vis-à-vis des Juifs. Elles restent sur leur ligne, qui se décline en une série de convictions : Jérusalem doit être une ville juive dans laquelle il n’y aurait pas de place pour les non-juifs ou les juifs non-observants.

Lire aussi >> Faut-il parler d’une augmentation des actes antichrétiens en Israël ?

L’autre courant, c’est celui des ultra-orthodoxes nationalistes, incarné par des personnalités comme le rabbin Tao et le député Avi Moaz, président du parti Noam et membre de la coalition gouvernementale. Ce dernier supervise les programmes scolaires au sein de l’Autorité de l’identité juive, et il tente d’influencer les programmes éducatifs des écoles séculaires. Ces personnes rejettent toute idée de progrès. Un concept qui vient selon eux du christianisme. La Cour Suprême, dont ils veulent limiter les pouvoirs ? C’est du progrès. La tendance à la pluralité dans la société israélienne ? Du progrès aussi. Les gays ? Un blasphème. Pour eux, l’Etat juif ne peut pas séparer l’Etat de la religion. Leur vision du pays est très étroite.

Les auteurs d’actes de haine sont donc encouragés par ces courants de pensées ?

Nombre d’entre eux sont de jeunes « haredim » qui s’ennuient, qui cherchent de l’action. Et c’est facile de lancer des pierres contre des monastères, ou de venir en groupe prier devant le monastère Stella Maris de Haïfa. Personne ne sait vraiment d’où ils tiennent l’idée que la tombe du prophète Élisée s’y trouve, mais par ces actions collectives, ces adolescents veulent montrer qu’ils prient plus, que leur dévotion est plus grande. C’est un peu un mouvement de contre-civilisation : ces jeunes se rebellent contre le courant dominant. C’est de leur âge, et en même temps révélateur des aspirations d’une société. Et ici, ils sentent qu’ils ont un soutien, ou du moins que personne ne les en empêche vraiment.

Pourquoi sont-ils si peu jugés et condamnés ?

Il y a eu une rencontre importante en août entre les chefs des Eglises de Jérusalem et la police pour évoquer le sujet. Je pense que la police est maintenant plus au courant des enjeux, qu’elle va s’emparer du sujet et mener des enquêtes. Le fait qu’Isaac Herzog, le Président israélien, soit venu à Haïfa exprimer son soutien aux chrétiens, c’est aussi important. Pour la symbolique du moins, car il ne peut pas faire beaucoup plus.

Lire aussi >> À Haïfa, le président israélien aux côtés des communautés chrétiennes

Les Israéliens ne sont pas vraiment au courant de ce phénomène. Seule une élite, plutôt de gauche, s’y intéresse. Avec tous les problèmes qui agitent actuellement la société, et le fait que les chrétiens restent une minorité, le sujet peine à se faire une place. Le formulaire et la ligne téléphonique mis en place par Yisca Harani sont très importants, car pour la première fois, on peut faire des analyses quantitatives du phénomène, même si le recensement des gestes anti-chrétiens ne pourra jamais être exhaustif.

Comment décririez-vous la politique d’Israël envers les chrétiens aujourd’hui ?

Y en a-t-il seulement une ? Elle n’est pas claire. Il faut plutôt la deviner. Les agendas des décideurs politiques sont concentrés sur d’autres sujets, et personne n’est vraiment responsable de cette question au sein du gouvernement. On le voit bien, la politique israélienne envers les Églises est toujours influencée par l’hostilité historique du judaïsme envers le christianisme. Le peuple juif a vécu pendant des siècles en tant que minorité à la merci des souverains chrétiens et musulmans.

Au moment de la fondation d’Israël, cette position s’est inversée : les dirigeants israéliens se sont retrouvés dans le rôle d’empereur en charge des affaires des communautés chrétiennes locales. Celles-ci étaient alors considérées comme partie intégrante du monde arabe et aspirant à détruire l’État d’Israël. Au cours des 5 ou 6 années qui ont suivi 1967, les relations se sont améliorées. Israël a voulu prouver au monde occidental que les lieux saints et les institutions chrétiennes pouvaient s’épanouir sous son contrôle. 

En août, un pèlerinage chrétien orthodoxe au mont Tabor a été interdit à la dernière minute, pour des raisons de sécurité. Faut-il y voir un interventionnisme plus fort de l’Etat d’Israël dans la gestion des évènements chrétiens ?

Ce qui s’est passé au Mont Tabor n’a rien à voir avec les chrétiens. La décision est liée à la catastrophe survenue au Mont Méron, un pèlerinage juif où 40 personnes ont trouvé la mort en avril 2021 suite à un mouvement de foule. Ça a créé un précédent dans la gestion des foules lors de grands évènements et pèlerinages. Au Mont Tabor, c’était avant tout un problème administratif, de services qui ne communiquent pas entre eux. C’est à la fois le fait d’un gouvernement qui, parce qu’il concentre tous ses efforts autour de la réforme judiciaire, fonctionne mal sur d’autres niveaux ; mais aussi le fait de la faiblesse du département chargé de la coordination avec les institutions chrétiennes.

Certaines parties de la société israéliennes comprennent bien l’importance des chrétiens pour la Terre Sainte et dans l’histoire de Jérusalem. C’est notre responsabilité de les faire prospérer, parce qu’ils sont une grande ressource pour tout le monde. Certains Israéliens sont réellement intéressés par le christianisme et tentent de faire de leur mieux, en se renseignant, en aidant. Cette ligne téléphonique est le symbole d’une société civile qui agit pour ses minorités, et qui, par cela, convaincra peut-être le gouvernement d’appuyer sur l’accélérateur.

Sur le même sujet