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Quand les réservistes de l’armée israélienne s’opposent au gouvernement

Cécile Lemoine
16 mars 2023
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Quand les réservistes de l’armée israélienne s’opposent au gouvernement
Réservistes lors d'une session d'entraînement dans le Neguev ©Roy Sharon/Flash90

Les vétérans de l'armée israélienne dénoncent le glissement du pays vers une dictature, tout en agitant la menace d'arrêter de servir si la refonte du système judiciaire se produisait. Une fronde inédite.


Sous la tente blanche de « L’avant-poste de la démocratie », l’équipe du matin a une mission : monter les larges panneaux en bois qui portent les slogans du mouvement : « Il faut résister », « Frères d’armes pour la démocratie »… Les volontaires sont d’anciens réservistes de l’armée israélienne. Ils se relaient quotidiennement toutes les deux heures pour assurer une présence, ouvrir un espace de dialogue, maintenir la pression…

A Jérusalem, la localisation de « L’avant-poste » est stratégique. De l’autre côté de la rue : les bureaux du Premier ministre. A gauche : la Knesset, le parlement Israélien. A droite, la Cour Suprême. Des institutions au coeur du projet de refonte du système judiciaire menée au pas de charge par un Benyamin Netanyahou pressé de s’extirper de son procès pour corruption. « Par notre présence, on rappelle au gouvernement qu’on est contre ce projet. C’est un coup d’Etat qui va assassiner le régime démocratique israélien et les valeurs fondamentales de notre pays », explique Gonen, l’un des quatre volontaires de ce 14 mars au matin.

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Quarantenaire athlétique aux yeux clairs, Gonen a effectué les trois années de son service militaire au sein des parachutistes, une des unités d’élite de l’infanterie israélienne. Comme beaucoup, il a ensuite servi dans la réserve. L’armée régulière israélienne ne disposant que d’un contingent relativement restreint (161 000 soldats), son fonctionnement dépend donc largement des réservistes (425 000), qui doivent s’entraîner régulièrement.

 

Pendant près de 25 ans, Gonen a donc repris annuellement les armes à l’occasion d’opérations de terrain qui pouvaient durer jusqu’à deux mois. Trois fois, il a été appelé pour une mobilisation immédiate. C’était au moment de la guerre du Liban. S’il n’est aujourd’hui plus réserviste, celui qui travaille dans le monde de la tech vient en tant que citoyen : « En Israël, l’armée c’est les gens. Tous le monde a servi. Nous nous sommes battus pour ce pays, maintenant nous nous battons pour son âme », lance-t-il en paraphrasant l’un des slogans de ce mouvement qui prend de l’ampleur.

« Opération Netanyahou »

Lancé fin février par Royi Elcabets, président du parti Yesh Atid à Tel Aviv et général de brigade dans la réserve, « L’avant-poste pour la démocratie » n’est qu’une des multiples initiatives qui mobilisent les réservistes de manière inédite. Ce mercredi 15 mars, des vétérans de l’opération Entebbe ont manifesté à l’aéroport Ben Gourion, en marge du départ de Benyamin Netanyahou pour Berlin.

Les anciens soldats ont participé au sauvetage des 247 passagers d’un avion Tel Aviv-Paris détourné en 1976 par des pirates de l’air palestiniens et allemands vers Entebbe, en Ouganda. Si l’opération est un succès, elle laisse quatre morts derrière elle : trois otages et le lieutenant-colonel Yonathan Nethanyahou, le frère de Benyamin Netanyahou.

C’est tout un symbole que les vétérans de cette opération se joignent au blocage de l’aéroport. Et ils n’ont pas lésiné sur le décorum de leur « Opération Netanyahou ». Leur convoi était mené par une vieille mercedes noire. Une réplique de la voiture officielle du dictateur ougandais Idi Amin que le commando israélien a utilisé dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976 pour atteindre l’avion détourné. Sur leurs pancartes, un portrait de Yonathan Nethanyahou, accompagné de ces mots : « Yoni s’est sacrifié pour le pays. Bibi sacrifie le pays pour lui-même »,  ou « Yoni a honte ».

Les anciens de l’opération Entebbe lors du blocage de l’aéroport de Ben Gourion, peu avant le vol de Benyamin Netanyahou vers Berlin, le 15 mars 2023 ©Avshalom Sassoni/Flash90

Semaines après semaines, les lettres ouvertes signées par des anciens combattants d’unités d’élites de l’armée israélienne se multiplient : les Golani, la marine israélienne, la brigade Nahal, ou encore les parachutistes ou l’unité de reconnaissance Maglan… Le site Miluim Nikim, (La protestation de la réserve) en recense 23. Dans chacune des pétitions, la même inquiétude : « le passage à une dictacture », et les mêmes demandes : « l’arrêt du processus législatif », « le dialogue entre toutes les parties du pays »

Effet boule de neige

En plus de se multiplier ces deux dernières semaines, les lettres ouvertes s’accompagnent parfois de menaces. Mercredi dernier, la quasi-totalité des réservistes d’un escadron de l’armée de l’air ont annoncé qu’ils refusaient de s’entrainer pour protester contre la réforme judiciaire, avant de finalement faire marche arrière. Quelques jours avant eux, ce sont les réservistes de l’unité d’élite de renseignement 8200 qui avaient déclaré qu’ils ne se présenteraient pas à leur poste.

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Il y a toujours des dissidences périodiques en Israël : des soldats qui ont refusé de servir au Liban, d’autres qui ont refusé de servir en Cisjordanie, et tous les ans une poignée d’adolescents préfèrent rester en prison en tant qu’objecteurs de conscience plutôt que de servir dans une « armée d’occupation ». Les derniers appels au refus de servir ont une saveur différente. Moins élistes. Plus populaires. Sans chef. Le haut commandement craint un effet boule de neige, qui « affaiblierait les capacités opérationnelles de l’armée », selon le chef d’état-major Herzi Halevi. « C’est une menace réelle pour la sécurité d’Israël », a averti mardi le ministre de la Défense, Yoav Galant, en promettant de réprimer le phénomène.

Dans le même temps, la contestation citoyenne ne cesse de grandir. Si les quatre volontaires qui assurent la permanence dans la tente blanche de « L’avant-poste de la démocratie », viennent y prêter main forte pour la première fois, ils sont dans la rue tous les samedis depuis 10 semaines. La manifestation du 11 mars a vu près de 300 000 personnes battre le pavé dans les grandes villes du pays (500 000 selon les organisateurs). Du jamais vu. Une « journée d’escalade de la résistance » est prévue pour jeudi. En moins de trois mois, le mouvement contre la réforme judiciaire est devenu le plus important de l’histoire d’Israël.

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