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Benyamin Netanyahou obligé de rassurer ses alliés évangéliques, visés par un projet de loi

Cécile Lemoine
23 mars 2023
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Benyamin Netanyahou obligé de rassurer ses alliés évangéliques, visés par un projet de loi
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s'exprime devant le mouvement chrétien évangélique et une mission d'environ 800 membres de l'organisation Christians United for Israel (CUFI) à Jérusalem le 18 mars 2012 ©Amos Ben Gershom/Flash90

Face à la pression généralisée de la communauté évangélique, le Premier ministre israélien a déclaré qu'Israël n'avancerait pas de projet de loi visant à lutter contre le prosélytisme chrétien.


C’est avec un tweet en hébreu et en anglais que Benyamin Netanyahou a mis fin, le 22 mars 2023, à 3 jours de tollé médiatique chez les chrétiens sionistes évangéliques : « Nous n’avancerons aucune loi contre la communauté chrétienne », a affirmé le Premier ministre israélien, faisant référence à un projet de loi présenté par deux députés ultra-orthoxe issus de sa coalition d’extrême-droite. Son objectif : criminaliser les « tentatives de conversion de juifs par des groupes missionnaires essentiellement chrétiens ». Un phénomène qui, selon le document, se serait « multiplié », et qui viserait les « classes les plus faibles socio-économiquement ».

Le projet de loi, baptisé « Interdiction de la sollicitation à la conversion religieuse », est un serpent de mer. Depuis 30 ans, il refait surface à chaque fois qu’un nouveau parlement s’installe à la Knesset. Benyamin Netanyahou en avait retoqué un similaire dès 1999. Dans la version présentée le 9 janvier dernier, par les députés Moshe Gafni et Yaakov Asher, membres du parti ultra-orthodoxe Judaïsme Uni de la Torah,  il est écrit que si quelqu’un « sollicite une personne, directement, numériquement, par courrier ou en ligne afin de convertir sa religion », il sera « condamné à un an de prison » (deux ans si la personne est mineure).

Les évangéliques, ces soutiens politiques et financiers majeurs de l’Etat Israélien

Deux éléments, qui diffèrent par rapport aux textes précédents, ont particulièrement inquiété la communauté évangélique. La première est le mot « sollicitation ». « Qu’implique ce terme ?, s’interroge Erez Soref, président du mouvement juif messianique One for Israel. Est-ce regarder une vidéo sur Jésus correspond à une sollicitation ? Est-ce qu’inviter quelqu’un à lire le Nouveau Testament est une sollicitation ? L’interprétation de ce mot est très subjective », explique-t-il dans un podcast diffusé le 20 mars 2023. Deuxième différence, le contexte politique dans lequel est proposé cette loi. « Le projet a toujours été rejeté. Mais cette fois on est face à un gouvernement extrême qui pousse en ce moment une réforme de la justice qui affaiblirait la Cour Suprême, un des piliers du régime démocratique israélien », poursuit Erez Soref, également docteur en psychologie.

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« Un projet de loi veut interdire de parler de Jésus en Israël », se sont alarmés les premiers une chaîne de TV américaine (Newsmax) et des médias évangéliques (All Israel News), le 19 mars. La nouvelle a provoqué la bronca des évangéliques, directement visés, alors qu’ils sont des soutiens politiques et financiers majeurs de l’Etat Israélien.

Ces protestants (40 millions de fidèles, environ un quart de l’électorat américain), héritiers de la tradition des réveils, sont porteurs d’une religion de conversion prosélyte et missionnaire. Beaucoup sont sionistes : ils voient dans Israël une manifestation des prophéties bibliques et ils soutiennent le retour des Juifs dans leur patrie spirituelle. Selon la théologie du mouvement, une fois qu’ils seront rassemblés en Israël, Jésus reviendra et convertira massivement les juifs au christianisme.

Variable géopolitique

« Bien que cette  « amitié » apparaisse encombrante pour bien des juifs, qui n’ignorent pas que leurs bienfaiteurs évangéliques prient pour leur conversion à Jésus-Christ, elle constitue aujourd’hui une variable géopolitique. Les chrétiens sionistes sont quatre à cinq fois plus important numériquement que la communauté juive aux États-Unis », souligne l’historien et sociologue Sébastien Fath dans son essai Le poids géopolitique des évangéliques américains : le cas d’Israël. 

Tous les ans, des Evangéliques des quatre coins du monde se retrouvent et défilent à Jérusalem lors de la fête juive de Soukkot ©Yonatan Sindel/Flash90

Les organisations évangéliques pro-Israël ont entrepris, depuis 1967, un lobbying politique intense, en particulier au sein du Parti républicain. Plusieurs mesures inspirées par le Congrès résultent de ce lobbying. On peut notamment citer l’American Embassy Act, décision du Congrès (1995) qui prône le déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et qui sera appliqué sous Donald Trump, en 2018.

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Irrités par le projet de loi, les dirigeants évangéliques ont multiplié les déclarations invitant à retirer la loi. « Compte tenu de l’amitié et de l’alliance de longue date du Premier ministre Netanyahu avec les chrétiens et de son engagement solide en faveur de la liberté religieuse et de la liberté d’expression, je prie pour qu’il fasse rapidement savoir que cet inquiétant projet de loi n’entrera jamais en vigueur sous sa direction », a ainsi exprimé le Dr Jack Graham, ancien président de la Convention baptiste du Sud, la plus grande dénomination protestante des États-Unis.

Avec son tweet, Benyamin Netanyahou rassure ses alliés évangéliques américains, mais laisse une rue israélienne de plus en plus furieuse. Même après 13 semaines de manifestations de plus en plus fréquentes et fréquentées, le Premier ministre ne cède rien. Une à une des propositions de lois controversées sont votées dans une opération législative éclaire dont le but est de le sortir de son procès pour corruption. Ce jeudi 23 mars, c’est ainsi la loi l’empêchant d’être déclaré inapte à ses fonctions de Premier ministre qui est entrée en vigueur. Si elle n’est pas le coeur des contestations, elle est révélatrice de l’ambiance qui entoure ces textes : elle rend quasi-impossible la destitution de Benyamin Nétanyahou.

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