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Gershon Baskin: « On ne peut pas parler de solution à deux États et n’en reconnaître qu’un seul »

Propos recueillis par Cécile Lemoine
22 février 2024
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Gershon Baskin: « On ne peut pas parler de solution à deux États et n’en reconnaître qu’un seul »
Gershon Baskin, chez lui, à Jérusalem ©Cécile Lemoine

Activiste israélien engagé pour la paix, Gershon Baskin a coordonné l’accord de libération du soldat Gilad Shalit avec le Hamas en 2011. Fin connaisseur des rouages de ces négociations et investi pour penser le "jour d'après", il éclaire ce qui est en jeu alors que les discussions autour d’un nouveau cessez-le-feu sont au point mort.


TSM – Qu’est ce qui, selon vous, bloque les négociations autour de la libération des otages?

Gershon Baskin : Il y a eu, dès le départ, un conflit à l’intérieur du conflit pour Israël : éradiquer le Hamas et ramener les otages à la maison, les deux objectifs de la guerre, sont contradictoires. Pendant une brève période, l’accord sur les otages a eu la priorité, parce qu’il a été “facile” à mettre en œuvre. Les otages étrangers, les femmes, les enfants israéliens étaient un poids logistique pour le Hamas, tandis que les 39 palestiniennes et les 190 adolescents relâchés des prisons israéliennes n’étaient ni responsables de meurtres d’Israéliens, ni engagés au sein du Hamas. L’accord aurait dû être conclu deux semaines plus tôt, mais la pression militaire israélienne sur la ville de Gaza l’a retardé. 

Aujourd’hui Israël est convaincu d’être proche de trouver les dirigeants du Hamas dans leurs tunnels, et qu’une fois tués, la chaîne de commande s’effondrera, permettant la libération des otages. Fort de cette conviction, les Israéliens ne sont donc pas intéressés par un accord. Or cela renforce le Hamas et Israël prend un très gros risque. D’une certaine manière, on sacrifie les otages, car il n’est pas dit qu’ils ne soient pas exécutés en représailles de la mort des commandants.

Sur la place des otages à Tel Aviv, une installation artistique compare les otages aux pions d’un jeu d’échec et lance un appel : « Ramenez-les à la maison » ©Cécile Lemoine

Israël devrait-il accepter les conditions du Hamas : la fin de la guerre, le retrait militaire de Gaza et la libération de tous les prisonniers ?

Non, parce que cela laisserait le Hamas au pouvoir à Gaza, et c’est inacceptable pour Israël. À la lecture de la proposition d’accord, j’ai vu une petite fissure qui permettrait d’ouvrir la voie à une solution diplomatique différente. Le plan proposé est en trois parties, étalées sur une période de quatre mois. Avec la première phase, on récupère les otages femmes, les enfants et les malades en échange d’une trêve de 45 jours et la libération de prisonniers palestiniens. Les phases 2 et 3 seraient négociées pendant la trêve pour aboutir à la libération du reste des otages (les hommes et les soldats) contre le retrait militaire de Gaza, la libération de prisonniers palestiniens et la fin de la guerre.

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Ce que j’ai proposé, c’est de séparer la phase 1 des phases 2 et 3 : on accepte l’accord comme tel, mais on utilise le premier cessez-le-feu pour reprendre des forces et trouver une solution diplomatique qui mette fin à la guerre sans laisser le Hamas au pouvoir. Si j’étais médiateur, j’essaierais de négocier pour que le cessez-le-feu commence le plus tôt possible et couvre tout le mois de Ramadan.

D’après votre expérience, quelles sont les clés pour négocier avec le Hamas ?

Tout ce qui était pertinent avant la guerre ne l’est plus. La situation est complètement différente. Négocier pour libérer un soldat est complètement différent de négocier pour libérer 234 personnes, avec la guerre en cours, le massacre de milliers de personnes. La communication avec Gaza est par ailleurs beaucoup plus difficile. À l’époque de Gilad Shalit, j’avais des canaux directs. Aujourd’hui, c’est plus compliqué, même si je ne crois pas que Yahya Sinwar, qui aura toujours le mot final sur les décisions, soit déconnecté, comme beaucoup de militaires l’affirment.

« Il faut rendre la Palestine réelle pour les Palestiniens, afin qu’ils veuillent vivre pour elle, et non plus mourir pour elle. C’est comme cela qu’on vaincra le Hamas. »

Les négociations sont impossibles tant que les deux parties ne sont pas prêtes à conclure un accord. Parce que l’accord, lui, est sur la table. Tristement, c’est le Hamas qui a la main. C’est lui qui pose les termes, car c’est lui qui a les otages, laissant à Israël le choix de décider s’il accepte ou pas. C’est pour cela qu’il a fallu plus de 5 ans pour libérer Gilad Shalit.

234 sièges vides, autant que le nombre de personnes retenues otages à Gaza au début de la guerre. Place des otages, Tel-Aviv, novembre 2023 ©Cécile Lemoine

Autre élément, classique de négociations : le parti le plus faible veut parler des principes, alors que le parti le plus fort veut parler des détails. La discussion est totalement différente. Le Hamas parle de principes : les catégories de prisonniers, les termes de libération ; Israël veut un accord avec des détails : les noms des prisonniers, des otages… C’est pareil dans tous les autres conflits.

Qu’avez-vous appris du Hamas lors de vos rencontres et échanges ?

La paix n’est pas un concept pour eux. Pendant une période, nous avons parlé d’un cessez-le-feu à long terme qui nécessitait également la fin du siège économique de Gaza. Mais il n’y a jamais eu de réels progrès car Israël a assassiné l’un des dirigeants en 2012. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit à communiquer entre Israël et le Hamas. C’est une impasse. Chaque partie est déterminée à tuer l’autre. Ce n’est pas une négociation normale.

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Aujourd’hui, à l’exception de deux contacts, plus aucun dirigeant du Hamas ne me répond. J’ai coupé les ponts avec Ghazi Hamad, l’actuel porte-parole du Hamas à Beyrouth, avec lequel on avait arrangé la libération de Gilad Shalit en 2011, suite à sa glorification des massacres du 7 octobre. Il n’est plus la personne que j’ai connu pendant 17 ans. Il est dans le déni complet de tout droit au peuple juif d’habiter ici, alors qu’il était le seul du Hamas avec qui je discutais de paix. 

À Khan Younis, ville de la bande de Gaza, une fresque dépeint les combattants du Hamas tirant des roquettes, 2022 ©Abed Rahim Khatib/Flash90

La solution à deux Etats, qui semblait morte avant le 7 octobre, n’a jamais été aussi populaire depuis…

Oui, c’est une étrange victoire pour le Hamas, qui s’y est toujours opposé. Ce qui nous sépare de là où on doit aller, ce sont de bons dirigeants. On en manque des deux côtés. Netanyahou est fini : 80% de la population veut son départ. Côté Palestinien, des personnalités comme Nasser Al-Kidwa, neveu de Yasser Arafat et ambassadeur de l’OLP aux Nations Unies pendant 20 ans, ou Marwan Barghouti, prisonnier devenu le symbole de la résistance palestinienne après la Seconde Intifada, pourraient créer l’unité parmi les factions palestiniennes.

Mais il faut aussi de la détermination à l’échelle internationale. Cela fait trop longtemps qu’elle laisse grandir ce mythe de la “gestion du conflit”. Aujourd’hui ça suffit. On ne peut pas parler de solution à deux États pendant 30 ans, en n’en reconnaissant qu’un seul. Les pays occidentaux doivent prendre leurs responsabilités et reconnaître l’État de Palestine. C’est l’étape qui amènera le changement. Il faut rendre la Palestine réelle pour les Palestiniens, afin qu’ils veuillent vivre pour elle, et non plus mourir pour elle. C’est comme cela qu’on vaincra le Hamas.

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