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Joute politico-théologique autour de la notion de « guerre juste »

Marie-Armelle Beaulieu
5 juillet 2024
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Al-Khansaa, à l'est de la ville de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 27 juin 2024. ©Abed Rahim Khatib/Flash90

Le 30 juin, la Commission Justice et paix de Terre sainte a publié un texte sur la notion théologique de « guerre juste » critiquant vivement l'utilisation qui en est faite dans la sphère israélienne pour justifier la violence en cours à Gaza. Un texte qui ne rend indifférent ni Israël ni la diplomatie vaticane.


Alors que la guerre entre Israël et le Hamas entre dans son neuvième mois, la Commission Justice et paix a publié un texte en début de semaine pour clarifier la notion de « guerre juste » dans la théologie catholique. Une clarification rendue nécessaire de son point de vue à cause de l’usage qu’en font les autorités israéliennes « pour justifier la violence en cours à Gaza ».

Dans leur document, les membres de la Commission expriment leur inquiétude quant à la manipulation de cette théorie par des acteurs politiques pour légitimer des actions militaires. Ils renvoient les belligérants dos à dos soulignant que ni les attaques du Hamas le 7 octobre ni la réponse militaire d’Israël ne satisfont aux critères de la « guerre juste » tels que définis par la doctrine catholique.

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Les théologiens chrétiens ont eu l’occasion de se pencher sur cette notion avec notamment saint Augustin (354-430) et saint Thomas d’Aquin (1225-1274), rappelle le texte qui donne la synthèse de cette pensée telle que présentée dans le catéchisme de l’Église catholique (n. 2309) qui après avoir énoncé les critères d’une guerre juste, note que « le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations doit être durable, grave et certain ; tous les autres moyens d’y mettre fin doivent avoir été jugés impraticables ou inefficaces ; il doit y avoir de sérieuses perspectives de succès ; et l’emploi des armes ne doit pas entraîner de maux et de désordres plus graves que le mal à éliminer. »

 

Des membres des familles des victimes visitent le site du massacre du festival de musique Nova, six mois après, dans la forêt de Re’im, près de la frontière entre Israël et Gaza, le 7 avril 2024. © Chaim Goldberg/Flash90

Le texte insiste sur le fait que, s’agissant de la guerre entre le Hamas et Israël, aucun des deux camps ne saurait justifier ses actions sous couvert de cette notion : « Plus important encore, les guerres justes doivent clairement différencier les civils des combattants, un principe qui a été ignoré dans cette guerre par les deux parties avec des résultats tragiques. Les guerres justes doivent également employer une utilisation proportionnée de la force, ce qui ne peut être facilement dit d’une guerre où le nombre de morts palestiniens est de dizaines de milliers de personnes plus élevé que celui d’Israël, et où une nette majorité des victimes palestiniennes sont des femmes et des enfants. »

Pour autant, la commission souligne, comme le pape l’a déjà fait dès le 11 octobre lors de l’audience générale, que : « Il est du droit de ceux qui sont attaqués de se défendre », exprimant aussi son inquiétude sur la proportionnalité des représailles. Sur ce point, le texte cite les propos de l’archevêque Gabriele Gaccia, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, affirmant au Conseil de sécurité de l’ONU le 24 janvier 2024, que « toute action prise en légitime défense doit être guidée par les principes de distinction et de proportionnalité et respecter le droit international humanitaire. »

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La commission Justice et Paix de Terre Sainte justifie son intervention : « En tant que catholiques en Terre Sainte, qui partagent la vision du pape François pour un monde pacifique, nous sommes indignés que des acteurs politiques en Israël et à l’étranger mobilisent la théorie de la « guerre juste » afin de perpétuer et de légitimer la guerre en cours à Gaza. »

Quand la commission écrit : « Nous devons exprimer notre vigilance à l’égard de ceux qui manipulent le concept de guerre juste pour répondre à leurs besoins », on imagine qu’elle vise entre autres Benjamin Netanyahu, à trois semaines du discours que le Premier ministre israélien doit prononcer devant le Congrès américain à Washington le 24 juillet. Durant ce discours à l’audience décuplée et tandis que les relations entre Netanyahu et l’administration Biden sont au plus bas, le Premier ministre israélien va vouloir convaincre le peuple américain du bien-fondé de sa guerre alors même que sa politique rencontre une contestation grandissante en Israël auprès de son peuple.

Des manifestants protestent contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le gouvernement israélien actuel et pour la libération des Israéliens retenus en otage dans la bande de Gaza devant la base Hakirya à Tel Aviv, le 22 juin 2024. Sur la banderole en anglais l’expression « Bibi le défenseur d’Israël » devient avec les lettres barrées « Bibi le finisseur d’Israël » ©Tomer Neuberg/Flash90

 

L’administration israélienne l’a bien compris qui est montée au créneau en faisant publier un communiqué par son ambassade près le Saint-Siège le 2 juillet.

Le texte en quatre points justifie les objectifs de la guerre « mettre fin à la domination du Hamas », estime qu’Israël fait de son mieux pour respecter les civils, « contrairement au Hamas qui utilise délibérément les civils comme boucliers humains », estime que la notion de « guerre juste » telle qu’utilisée par la commission n’est pas compatible avec le droit international « qu’Israël respecte », et déclare que « le conflit actuel est une guerre contre l’existence d’Israël ».

Alors que tous les immeubles sont rendus inhabitables, la destruction de toutes les canalisations entraine la formation ici ou là de cloaques insalubres où se développent toutes sortes de maladies. Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 1er juillet 2024. ©Abed Rahim Khatib/Flash90

La conclusion du communiqué israélien s’achève sur une tonalité maintes fois entendue depuis le début du conflit supposant de l’antisionisme dans la démarche de la commission : « Il faut déplorer qu’un groupe de personnes de l’Église catholique ait décidé de publier un document qui, sous un prétexte religieux et par des artifices linguistiques, ne fait rien d’autre que s’opposer de facto au droit d’Israël de se défendre contre les intentions déclarées de ses ennemis de mettre un terme à son existence ».

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D’après Vatican News, s’exprimant en marge de la remise d’un prix à un livre intitulé « L’Église peut-elle arrêter la guerre ? Une enquête soixante ans après Pacem in Terris », le secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal italien Pietro Parolin, interrogé par les journalistes au sujet du texte de la commission Justice et Paix de Terre Sainte a déclaré : « Nous savons que le concept de guerre juste fait l’objet de nombreuses discussions aujourd’hui, et que la guerre juste est la guerre de défense. Mais aujourd’hui, avec les armes à disposition, il est très difficile d’opter pour ce concept. Je pense qu’il n’y a pas encore de position définitive, mais c’est un concept en cours de révision ».

Le site américain catholique Cruxnow rapporte de son côté : « En ce qui concerne la guerre actuelle à Gaza, déclenchée après qu’Israël a riposté à une attaque surprise du Hamas le 7 octobre 2023 qui a tué 1 200 personnes et qui a jusqu’à présent coûté la vie à plus de 30 000 Palestiniens, Parolin a déclaré : « Ce n’est jamais une guerre juste, dans ce sens. »

 

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