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Témoignage: « À Gaza, on cherche tous les jours un moyen de survivre »

Recueilli par Cécile Lemoine
8 janvier 2024
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Témoignage: « À Gaza, on cherche tous les jours un moyen de survivre »
L'école primaire de l'UNRWA à Rafah où Amal et sa famille sont réfugiés depuis le 4 décembre ©Amal Abuhajar

Amal Abuhajar est professeure de français à l'école catholique des soeurs du Rosaire de Gaza. Après deux évacuations, elle est désormais réfugiée dans une école de l'UNRWA à Rafah avec son mari et ses six enfants. Elle raconte l'enfer d'un quotidien fait de manque, de file d'attente, de peur, et d'insalubrité.


« Le 7 octobre fut un jour noir. On n’a pas décidé cette guerre et depuis, on vit les jours les plus terribles de nos vies. » C’est par ce message daté du 22 décembre et écrit en français, comme tous ceux qui suivront, qu’Amal Abuhajar, professeure de français à l’école du Rosaire de Gaza, débute le récit de ces trois derniers mois, ceux qui ont bouleversé sa vie.

La maison dans laquelle Amal et sa famille venait d’emménager avant la guerre, à Khan Younis ©Amal Abuhajar

« J’avais une grande maison à l’est de Khan Younis, avec un grand jardin. Très joli et très vert. Avec des roses de toutes les couleurs, des arbres qui donnent des olives, des dates, des goyaves, des oranges, des citrons, des raisins et des clémentines.

Tous les voisins sont partis dès le 7 octobre. Moi, je n’ai pas voulu quitter ma maison. Mais j’ai vécu la pire nuit de ma vie à cause des bombardements. Les enfants n’ont fait que pleurer. On est finalement parti à 7h du matin, le 8 octobre pour rejoindre mon ancien appartement à Khan Younis. C’était un déchirement de quitter cette maison.

Je cherchais du calme, mais là-bas, tout était plus dramatique, plus tragique. Mon garçon de 7 ans m’a dit : “Ici, on écoute et on regarde la mort, alors qu’à la maison, on l’écoutait seulement.” Et c’est vrai. L’après-midi du 8 octobre, l’occupation israélienne a tué des dizaines d’enfants et de femmes devant nos yeux. Une maison de 7 étages est tombée en miettes.

Je suis sûre que j’ai perdu mes roses…

Les cris, les ambulances, les bruits de la mort et de la peur, des gens qui couraient… Tout ça devant nos yeux, devant nos enfants. Je me suis sentie impuissante. Que pouvais-je faire ? J’avais peur, je pleurais tout le temps. J’avais l’impression que chaque nuit allait être la dernière.

Depuis le 7 octobre, il n’y a plus de sens à la vie. J’ai tout perdu : ma maison, mon travail, mes élèves… Je suis sûre que j’ai perdu mes roses… À quoi ressemble ma maison ? Comment vont mes oiseaux ? Cette guerre, c’est comme une pièce de théâtre horrible qui n’en finit pas. C’est notre quotidien, ici à Gaza. Le matin est noir comme la nuit. La nuit est un cauchemar.

Pas d’électricité, pas d’eau, pas d’internet… On cherche tous les jours un moyen de survivre, de sauver nos enfants. Mon mari va chez le boulanger dès trois heures du matin pour avoir du pain… Il fait la queue 10 ou 15 heures et récupère à peine de quoi nourrir les enfants. Après, il prend son vélo pour aller acheter de l’eau. Là aussi, il doit faire la queue pendant des heures avant d’en ramener. »

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Trois jours après la fin de la trêve, le 4 décembre, Amal et sa famille reçoivent l’ordre d’évacuer du quartier où ils sont, à Khan Younis.  

« Chaque matin il faut préparer le pain parce qu’il n’y jamais de riz ni de pâtes dans les magasins » ©Amal Abuhajar

« On est allé à Rafah. On a dormi dans notre voiture, faute de place ailleurs. Après deux jours de recherche, on a trouvé une place à l’école primaire « B » de l’UNRWA, celle pour les filles. On partage depuis notre souffrance avec 2 000 inconnus. On partage les files d’attente de la vie quotidienne : celle pour charger le portable à la bibliothèque, celle pour faire sa toilette, celle pour récupérer les conserves … » 

Trois conserves et trois bouteilles d’eau par semaine

« À Rafah, il n’y a pas assez de nourriture par rapport au nombre de personnes. Tous les gens du nord et de Khan Younis y sont réfugiés. Comme j’ai six enfants, on a le droit chaque semaine à trois produits en conserve et trois bouteilles d’eau. Ça nous suffit à peine pour un jour. Alors il faut compléter ailleurs mais tout est trop cher. On n’a pas de salaire depuis le 7 octobre. Les gens vendent le bois des arbres qui longent la route pour alimenter les fours où l’ont cuit un peu de pain.

« Le moindre détail de notre quotidien, même les besoins les plus simples, tout est compliqué », écrit Amal, qui n’a pas eu accès à une douche correcte depuis qu’elle est arrivée à l’école.

« J’ai besoin de pleurer, de crier. Parfois, je vais à la mer seule et je pleure jusqu’au matin. Je suis fatiguée, je suis triste, je déteste le soleil du matin, parce qu’il est synonyme de nouvelles souffrances. La nuit, il n’y a pas de lumière, sauf celle des bombardements. Le bruit des femmes et des enfants qui pleurent. Le bruit des blessés qui souffrent du froid et de la maladie.

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Amal et sa famille ont trouvé refuge dans une tente, dans la cour d’une école primaire de l’UNRWA à Rafah ©Amal Abuhajar

Franchement, je prends des médicaments pour pouvoir dormir deux ou trois heures par nuit. Tu sais comment on a peur du son des avions ? Tu sais comment on se sent en entendant les bombardements ? Les menaces quotidiennes qu’on vit ? Ici à Gaza, on attend la mort. On attend la fin, et on prie pour mourir ensemble. » 

Le 26 décembre, Amal reprend le clavier : « Hier, les Israéliens ont menacé de bombarder la librairie qui est à côté de notre école. Les gens ont commencé à partir, beaucoup ont dormi dans la rue… J’ai emmené mes enfants chez une amie, mais on n’a pas pu prendre nos affaires pour dormir. Il fait froid, très froid pendant la nuit. »

La librairie n’est pas bombardée. Amal doit quitter la maison de son amie. « On marche tous le temps au sud-ouest de Rafah », écrit-elle le 27 décembre. Le jour suivant, elle et ses enfants sont de retour à l’école qui affronte un problème de remontées d’eaux usées, faute d’électricité pour activer les pompes de l’assainissement des eaux. « C’est terrible et dégoûtant, confie Amal. Je commence à chercher un autre endroit … Nous sommes tous malades. Les écoles ne conviennent pas à la vie humaine. »

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