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Saint Georges, icône palestinienne

Cécile Lemoine
23 avril 2024
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Saint Georges, icône palestinienne
Geste de vénération populaire chez les chrétiens palestiniens : toucher les petites pierres à l'effigie de Saint Georges placées au dessus des maisons, avant de se signer ©Nadim Asfour/CTS

Fêté le 23 avril, saint Georges est le saint le plus populaire chez les chrétiens palestiniens, mais pas seulement. Associé à la figure musulmane de Al Khader, les rites liés à sa vénération sont le symbole du syncrétisme local.


C’est le saint des Palestiniens. Monté sur son cheval et terrassant un dragon de son épée, saint Georges est au-dessus de toutes les portes chrétiennes, en guise de protection, et son icône est sur les murs de toutes les églises. Figure incontournable, rien de la vie ou des actes de George ne peut être établi.

La tradition fait de lui un soldat romain chrétien, torturé et décapité lors de la grande persécution des chrétiens par Dioclétien en 303. Ses restes furent emmenés à Lydda (aujourd’hui Lod, Israël), le village de sa mère, avant d’être transféré dans l’église qui porte aujourd’hui son nom.

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Saint Georges et le dragon, Maître de Sir John Fastolf, vers 1430-40 ; au J. Paul Getty Museum, Los Angeles, avec l’aimable autorisation du Getty’s Open Content Program.

D’autres légendes, qui remontent au VIe siècle, en font un saint-guerrier. Elles deviennent de plus en plus populaires et extravagantes. Dans sa Legenda Aurea (« Légende dorée », recueil compilant les vies de 150 saints écrit en latin en 126), le dominicain et archevêque de Gènes Jacques de Voragine, reprend l’histoire selon laquelle il aurait sauvé la fille d’un roi libyen d’un dragon. Après avoir amené le monstre en ville grâce à la ceinture en métal de la princesse, il convainc les habitants à se faire baptiser en échange avant de le tuer. Ce récit médiéval fait de George un idéal de bravoure guerrière et de désintéressement.

« La victoire de Georges sur le dragon pourrait être une adaptation chrétienne de la légende de Persée, qui aurait sauvé Andromède d’un monstre marin près de Lydda », écrit l’Encyclopédie Britannica dans son entrée sur saint Georges, le saint patron de l’Angleterre. « Georges était connu en Angleterre au moins depuis le VIIIe siècle, poursuit l’encyclopédie en ligne. Le retour des croisés a probablement popularisé son culte (on dit qu’il a été vu en train d’aider les Francs lors de la bataille d’Antioche en 1098), mais il n’a probablement pas été reconnu comme le saint patron de l’Angleterre avant que le roi Édouard III (1327-1377) n’en fasse le patron de l’Ordre de la Jarretière. »

Lien avec l’Islam

En Terre Sainte, saint Georges est également associé à la figure musulmane de Al Khader (littéralement, le Vert). « Il est décrit dans le Coran comme le compagnon de bateau mystique de Moïse », explique Ali Qleibo, ethnologue palestinien dans son ouvrage Survivre au mur, la formation de l’identité culturelle palestinienne moderne (2009)

Le chercheur relate ses souvenirs d’enfance : « Après Hébron, nous allions à Al-Khader, au sud de Bethléem, où les offrandes de ma mère à « Sidna Al-Khader » consistaient en de l’huile d’olive destinée à l’éclairage de l’église. Dans mes yeux d’enfants, les églises et les mosquées formaient un continuum avec le sacré. Dans un pays où le lieu sacré appartient à une communauté religieuse à l’exclusion de l’autre, Al-Khader reste une exception, témoignant de nos racines communes primordiales. »

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La vénération de ce saint est entouré de nombreux rites populaires. Ainsi, on a accroché l‘icône grecque de saint Georges, dotée d’un pouvoir de guérison particulier, bien en évidence sur le mur sud-est à l’église du village d’Al Khader (Bethléem), en direction de la Mecque. Face à l’icône, accrochée à une colonne, se trouve une chaîne métallique symbolique, rappelant la ceinture de la princesse libyenne. La ceinture est censée avoir des pouvoirs curatifs, de sorte que musulmans et chrétiens la passent autour d’eux sept fois pour se purger de tout démon.

Coexistence spirituelle

« En 1848, lors de la restauration du patriarcat latin de Jérusalem, le père Jean Moretain s’étonne des pratiques communes aux chrétiens et aux musulmans, raconte encore Ali Qleibo. Il décrit ses inquiétudes quant à l’impossibilité de distinguer les chrétiens palestiniens des musulmans. Il était encore plus confus par l’observation que « beaucoup de musulmans faisaient baptiser leurs enfants à Al Khader parce que la tradition voulait qu’un enfant baptisé là soit fort ». »

« Cet exemple de coexistence spirituelle entre chrétiens et musulmans illustre également le contexte historique commun des Palestiniens qui, avec le temps, ont adopté la langue, la culture et la religion arabes, poursuit Ali Qleibo. En fait, l’islamisation la plus intensive de la Palestine a eu lieu à la fin du XVIII siècle et au début du XIX siècle, soit presque un millénaire après notre assimilation de la culture et de la civilisation arabes. »

Encore aujourd’hui, nombreux sont les chrétiens à s’appeler George, Jeries, ou Khader, en l’honneur de ce saint adulé par les chrétiens palestiniens.

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