Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Une réhabilitation au service de la prière

Propos recueillis par M.-A. Beaulieu
31 mars 2019
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Une réhabilitation au service de la prière
Sur cette image (non contractuelle), David Pons a présenté ce vers quoi tend le projet final. L’épuration des matériaux va rendre aux proportions leur force évocatrice d’élévation au service de la prière. ©David Pons

La chapelle de l’Apparition de Jésus à sa mère au Saint-Sépulcre pourrait faire l’objet d’importants travaux. Connue pour être la chapelle du Saint-Sacrement, c’est en revanche un joyau ignoré de l’art médiéval qui pourrait être alors être remis en valeur. Entretien avec David Pons, artiste en arts sacrés, chargé par les franciscains de concevoir et réaliser un projet et Louis Causse, architecte honoraire des bâtiments de France en visite d’expertise.


Parlez-nous de la chapelle dans son état actuel.

D.P. La multiplicité des éléments perturbent le recueillement. Modifiée à plusieurs reprises au cours des cinq derniers siècles, avec deux grosses interventions au siècle dernier, on y a déposé des objets de styles par trop disparates.

Qu’est-ce qui a orienté vos recherches ?

D.P. La proportion. C’est un parallélépipède vertical. Pour quiconque connaît un peu l’architecture, il y a une proportion qui est étrange. La chapelle est construite sur une volonté d’élévation. En général, une chapelle (ou une église) est longitudinale. Il y a la nef et le chœur. Ici, la construction géométrique des volumes est identique en plan et en élévation. En cherchant à comprendre, je me suis rendu compte que le plan de l’élévation est égal au plan de la chapelle.

 

Avant la modélisation sur ordinateur, l’esquisse au fusain. La réalisation sera assurée par David Pons. (Image non contractuelle).

 

C’est un rectangle d’or. Quand vous entrez dans la chapelle, vous entrez dans une surface carrée qui est la matérialité de l’homme. L’espace du chœur est le développement du carré au nombre d’or pour faire un rectangle d’or, sous-entendu que par la Révélation de la foi on passe de la matérialité de l’homme à la conscience de la divinité. Les aménagements des années 1980, ont brisé l’harmonie. L’idée est donc de la restituer.

L’architecte byzantin qui a conçu le plan a manifestement eu une intention. Il a placé au centre du parallélépipède d’or, le lieu de l’apparition qui est au centre du rectangle d’or.

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C’est très technique, le visiteur comprendra-t-il l’intention ?

D.P. Alors prenons cette image : cette chapelle, c’est un stradivarius qui, au fil des siècles, a reçu des couches de peinture, des vernis pourris, des cordes en fer au lieu de boyaux. Donc on a l’instrument, on connaît les recettes du bon vernis, il faut juste décaper toutes les saletés qui ont été mises au fil des siècles, refaire le vernis et la liturgie va pouvoir retrouver sa magnificence.

 

Plus parlant que de grands discours, les plans montrent l’intention architecturale d’une précision toute mathématique.

 

Pouvez-vous revenir sur le “lieu de l’apparition” ?

Il est marqué au sol et se trouve au croisement des diagonales du rectangle d’or, il est donc le centre du rectangle d’or. C’est un pavement cosmatesque – une marqueterie de marbre – du XIe siècle. Donc d’époque croisée purement géométrique et utilisé en tapis. Il avait été déposé lors des fouilles faites dans la chapelle en 1962 à la faveur de la restauration de l’époque. Et quand les archéologues ont terminé les fouilles de la carrière qui se trouve être sous la chapelle, ils l’ont reposé là où il était. Il a été restauré et même si à le regarder attentivement on peut voir l’usure, il est relativement bien conservé encore.

Faut-il parler de restauration où de rénovation ?

L.C. Le terme de rénovation sur un édifice de cette nature ne convient pas. Il vaut mieux parler de réhabilitation, dans la mesure où l’on réhabilite un lieu qui avait perdu ses qualités. Et on en analyse les qualités pour les lui rendre. Dans tout aménagement, il y a une volonté pour le maître d’ouvrage et pour ceux à qui il fait appel, d’adapter le lieu. Mais cette adaptation elle est lourde de sens, car quand on touche à des pierres, et surtout aux pierres d’un lieu pareil, il y a une forte pression de la conscience de l’Histoire pour être très vigilant sur tout ce qui se fait. Il n’en reste pas moins que les édifices vivent sur le rythme de l’Histoire, et je pense que l’on n’est jamais sur le dernier état. Il peut être amené à changer de nouveau. Il faut se méfier du phénomène de mode évidemment. Mais en même temps ne pas échapper à la nécessité des fonctions et de l’usage.

 

 

Le fait de choisir le “tout pierres apparentes”, n’est-ce pas de l’ordre de la mode ? À quelle époque, des murs ont-ils été laissé en pierres apparentes ?

D.P. La nôtre. De plus en plus de gens entrent dans cette chapelle. Ils y font des selfies etc. Mais c’est un lieu de prière. D’où cette volonté de revenir aux matériaux apparents de l’appareillage, que nous voulions aussi garder apparents car ils sont constantiniens, du IVe siècle donc. Nous proposons de revenir à une unité globale pour que les gens se tournent vers le saint sacrement, et uniquement là-dessus.

L.C. Personnellement, ça ne me paraîtrait pas scandaleux qu’un jour, on réenduise. Mais ce qu’il faut c’est retrouver l’unité. Il y a de belles découvertes dans l’appareillage qui est très divers. À la fois on est dans l’unité, mais on a aussi des appareillages quasiment cyclopéens dans la partie basse, et ensuite d’autres étages. Le fait de percevoir la peau de l’édifice, cela ne me paraît pas gênant. Il faut à la fin des travaux que les différentes périodes du bâtiment soient perceptibles, sans que cela nuise à l’unité de… y compris dans l’usage. Un archéologue doit pouvoir se faire plaisir mais le chrétien doit pouvoir percevoir l’esprit du lieu qui est remarquable dans ses proportions.

De récents travaux à la prison du Christ ont fait bondir un médiéviste, maintenant que tout est flambant neuf. Peut-on faire du neuf dans une architecture médiévale ?

D.P. La philosophie du projet c’est justement de ne pas faire du neuf. Nous avons tout sur place. C’est juste de révéler les choses telles qu’elles sont. Ce n’est pas de les modifier ou de les nettoyer. On révèle ce qu’il y a là, on enlève tous les ajouts qui ont été faits au fil des siècles. Mais on ne remplace pas avec du marbre poli de la pierre calcaire… Non, nous ne ferons que révéler la structure qui est apparente en dessous. Il y aura des choses et des reprises à faire, comme les saignées faites autrefois pour passer des fils électriques par exemple. Mais en aucun cas on ne rapportera des éléments neufs. En aucun cas on n’ajoutera des éléments anachroniques. Nous en resterons à une intervention de restitution du lieu et de la matière. Nous voulons être dans l’élégance et la discrétion.

Vous devez pourtant revoir tout l’aménagement liturgique : autel, ambon, tabernacle. ?

Effectivement et pour rester dans cette restitution et dans la cohésion de l’ensemble, tout l’aménagement liturgique, toutes les interventions seront faites dans les rapports harmoniques avec la volonté initiale de cette chapelle. Donc tout est au nombre d’or, tout va être dans les matériaux adéquats à la chapelle, avec une vision plastique adaptée à la liturgie du Saint-Sépulcre. La notion de lieu de culte et de lieu de dévotion, la liturgie basée sur une omniprésente circonvolution sera ainsi respectée afin que la proportion soit à l’espace ce que le rythme est au temps.

 

L’architecture en élévation est brisée par la succession de lignes horizontales : le chemin de croix, les lampes, l’enduit.

 

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L’écrin d’un trésor

Tout est parti d’un don : un crucifix toscan du XVe siècle qu’un prêtre italien voulait offrir à la custodie de Terre Sainte pourvu qu’il soit placé au Saint-Sépulcre. “C’est une œuvre d’art incontestable, explique le frère Stéphane Milovitch en charge des Biens culturels de la custodie. Pour le placer dans la chapelle la plus appropriée, celle de l’Apparition de Jésus à sa mère, encore fallait-il déplacer ce qui autour pouvait en dénaturer la beauté. La custodie fit appel à plusieurs spécialistes de l’aménagement liturgique. Quand David Pons dans une note d’intention expliqua sa théorie du nombre d’or, la custodie comprit qu’elle ne saurait se limiter à un aménagement cosmétique mais devrait penser à un aménagement plus global. Elle lui commanda un projet plus détaillé”. A ce stade, le discrétoire de la custodie (conseil d’administration), n’a pas encore pris de décision finale ouvrant ensuite le chapitre de la recherche de fonds privés.

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