Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Un silence significatif

Frédéric Manns Studium Biblicum Franciscanum
30 mars 2019
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Un silence significatif
La colonnade septentrionale du portique de l’atrium constantinien est toujours debout avec ses 7 arceaux. Encore 3 des colonnes sont d’époque. Selon la tradition c’est le chemin qu’emprunta la Vierge Marie pour aller au sépulcre le premier jour de la semaine, avant de le rencontrer ressuscité.

Certains silences de l’Écriture continuent à interroger les âmes pieuses. Parmi ces omissions - que les récits apocryphes combleront rapidement - il faut mentionner le sort de Marie au matin de la Résurrection. Curieusement parmi les femmes qui se rendent au tombeau Marie, la mère de Jésus, n’est pas mentionnée.


Au Saint-Sépulcre, la chapelle latine du Saint-Sacrement commémore un évènement relaté par l’apocryphe copte intitulé Livre de la Résurrection du Christ par l’apôtre Barthélemy : Jésus apparaît à sa mère. Au paragraphe 9, 2 du Livre de la Résurrection le Sauveur salue sa mère au matin de Pâques et lui confie un message pour les disciples : “Il lui dit : Salut ma mère ! Salut mon arche sainte ! Salut toi qui as porté la vie du monde entier ! Salut mon vêtement saint dont je me suis enveloppé ! Salut mon vase d’eau, plein et saint ! Salut ma mère, ma maison, ma demeure ! Salut ma mère, ma ville, mon refuge… Ô ma mère, lève-toi et va dire à mes frères que je suis ressuscité d’entre les morts. Dis-leur : J’irai vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu et vers mon Seigneur et votre Seigneur…”. Le message est clair : ce n’est pas Marie de Magdala, mais Marie qui est envoyée aux disciples pour leur annoncer que Jésus son fils est ressuscité des morts.
S’agit-il d’une simple réaction populaire ? Le texte est une amplification de Jn 20, 17, ce qui parle en faveur de l’origine liturgique de ce texte. Mais, bien plus généralement, les Apocryphes contiennent-ils seulement des doctrines édifiantes ou des vérités traditionnelles ? On sait l’importance que le Protévangile de Jacques a joué dans la liturgie latine. De plus, l’Apocryphe de la Dormition de Marie est le seul témoin de l’Assomption de Marie au ciel. Une introduction aux récits apocryphes, avec les distinctions qui s’imposent, mériterait d’être proposée.

 

A la différence de Marie-Madeleine à laquelle Jésus enjoint de ne pas le toucher, Marie, sa mère, est celle qui peut le toucher car il sait qu’elle ne le retiendra pas plus qu’elle ne l’a fait auparavant.
Croquis de David Pons, travail pour la statuaire de la chapelle de l’Apparition de Jésus à sa mère.

Un fait important ne peut pas être nié : dans les Évangiles canoniques, aucun récit d’apparition de Jésus ressuscité à sa mère n’est mentionné.
Ce silence s’explique en partie par le fait qu’un tel témoignage d’une femme n’aurait pas été reçu par ceux qui doutaient de la Résurrection du Seigneur. D’autre part, les Évangiles ne rapportent que le kérygme qui est nécessaire pour la connaissance du salut par le Christ. Mais il n’est pas pensable que la Vierge, présente au Cénacle au milieu de la première communauté des disciples, ait été exclue du nombre de ceux qui ont rencontré son fils ressuscité d’entre les morts. Au contraire, il est vraisemblable que la première personne à qui Jésus ressuscité est apparu a été sa mère. Son absence du groupe de femmes qui s’est rendu au tombeau à l’aube du premier jour de la semaine peut constituer un indice du fait qu’elle avait déjà rencontré Jésus. Le caractère unique et spécial de sa présence au Calvaire et son union parfaite à son fils dans ses souffrances suggèrent une participation très particulière au mystère de la Résurrection.

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Apocryphe mais catholique

Présente au pied de la Croix le Vendredi et au Cénacle avec les disciples, la Vierge a sans doute été un témoin privilégié de la résurrection du Christ, complétant ainsi sa participation à tous les moments essentiels du mystère pascal. En accueillant le Ressuscité, Marie est signe et anticipation de l’humanité qui espère le rejoindre lors de la Résurrection des morts.

 

Saint Ambroise fut le premier père de l’Église à affirmer explicitement que Marie fut la première à avoir vu le Ressuscité (De Virg 1,3). Saint Bernard répète cette tradition (Sermo de Res. Dom) qui deviendra courante dans la suite. Bernardin de Sienne, Ignace de Loyola et saint Alphonse-Marie de Liguori connaissent cette tradition populaire. Curieusement un esprit critique comme Ignace de Loyola, pèlerin en Terre Sainte, admet cette croyance sans la discuter. Dans ses Exercices spirituels la troisième semaine invitait les participants à une contemplation du mystère de la Passion du Christ. La quatrième semaine se poursuivait par une méditation sur le mystère de la Résurrection. En fait ces deux mystères sont indissociables dans le kérygme.
La première contemplation, lors de la quatrième semaine des Exercices, se tourne vers l’apparition du Christ à Notre-Dame (§ 218 à 222). C’est d’abord le rappel de l’histoire de cette contemplation : “Ici, je me rappellerai comment, Jésus ayant rendu le dernier soupir sur la Croix, son corps resta séparé de son âme, sans cesser d’être uni à la Divinité ; comment son âme bienheureuse, toujours unie à la Divinité, descendit aux enfers, délivra les âmes des justes et revint au sépulcre ; comment, enfin, le Sauveur, étant ressuscité, apparut en corps et en âme à sa mère bénie” (§219).
Ignace, soulignant la compositio loci, invite à imaginer la disposition du Saint-Sépulcre, ainsi que la maison de Notre-Dame avec ses appartements, sa chambre et son oratoire. L’allégresse et la joie explosent à l’annonce de la Résurrection. La Divinité qui “semblait se cacher dans la Passion se manifeste dans la Résurrection par des effets de puissance et de sainteté qui n’appartiennent qu’à elle” (§ 223).

 

Le Christ apparaît à sa mère au milieu des anges, Josef Plank (1815-1901), Vienne 1885. Collection de la custodie de Terre Sainte. La peinture se trouve aux abords de la chapelle de l’Apparition de Jésus à sa mère dans le Saint-Sépulcre.

 

Marie la première

La source littéraire d’Ignace est sans doute l’ouvrage de Jacques de Voragine (1230-1300), la Légende dorée, Vie des Saints et des Pères, qu’il eut entre ses mains lors de sa convalescence à Loyola : “On croit que Jésus-Christ apparut avant tous les autres à la Vierge Marie, quoique les évangélistes gardent le silence sur ce point. L’Église romaine paraît approuver cette opinion puisque, au jour de Pâques, la station a lieu à Sainte-Marie-Majeure. Or, si on ne le croit pas en raison qu’aucun des évangélistes n’en fait mention, il est évident qu’il n’apparut jamais à la sainte Vierge après être ressuscité, parce qu’aucun évangéliste n’indique ni le lieu ni le temps de cette apparition. Mais écartons cette idée qu’une telle mère ait reçu un pareil affront d’un tel fils.
Peut-être cependant les évangélistes ont-ils passé cela sous silence parce que leur but était seulement de produire des témoins de la résurrection ; or, il n’était pas convenable qu’une mère fût appelée pour rendre témoignage à son fils : car si les paroles des autres femmes, à leur retour du sépulcre, parurent des rêveries, combien plus aurait-on cru que sa mère était dans le délire par amour pour son fils. Ils ne l’ont point écrit, il est vrai, mais ils l’ont laissé pour certain : car Jésus-Christ a dû procurer à sa mère la première joie de sa résurrection ; il est clair qu’elle a souffert plus que personne de la mort de son fils ; il ne devait donc pas oublier sa mère, lui qui se hâte de consoler d’autres personnes. C’est l’opinion de saint Ambroise dans son troisième livre des Vierges : “La mère, dit-il, a vu la Résurrection ; et ce fut la première qui vit et qui crut”.
Ignace admet comme Voragine que le Christ est bien apparu à sa mère. Si les évangélistes n’en ont point parlé, c’est parce que cette apparition appartient à un ordre de choses qui doivent être dérobées à l’œil humain, et qui doivent être devinées plutôt que racontées. Un silence peut être plus parlant qu’un long discours.
Les artistes qui ne font pas appel au langage rationnel n’hésiteront pas à représenter cette apparition du Ressuscité à sa mère.♦


Marie dans la plénitude de la joie pascale

Lors de l’audience générale du 21 mai 1997, saint Jean-Paul II a livré une catéchèse sur cette apparition de Jésus à sa mère.
Extrait : “4. Parce qu’elle est l’image et le modèle de l’Église qui attend le Ressuscité et le rencontre dans le groupe des disciples au cours des apparitions pascales, il semble raisonnable de penser que Marie a eu un contact personnel avec son fils ressuscité, pour jouir, elle aussi, de la plénitude de la joie pascale.
Présente au Calvaire le Vendredi saint (cf. Jn 19, 25) et au Cénacle à la Pentecôte (cf. Ac 1, 14), la très Vierge a probablement été le témoin privilégié également de la Résurrection du Christ, complétant ainsi sa participation à tous les moments essentiels du mystère pascal. En accueillant Jésus ressuscité, Marie est en outre le signe et l’anticipation de l’humanité qui espère qu’elle atteindra sa pleine réalisation par la Résurrection des morts.”

Dernière mise à jour: 13/03/2024 15:00

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