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Marie, une figure qui rassemble chrétiens et musulmans

Émilie Rey
30 mai 2015
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Le Coran présente la mère du prophète Jésus comme une des femmes
les plus parfaites de tous les temps. Le fait est peu connu,
mais les musulmans nourrissent une profonde dévotion pour Marie.
En Palestine ou au Liban, chrétiens et musulmans se rencontrent autour de ce modèle de piété.


Marie est plus souvent évoquée dans le texte coranique que dans la Bible ! Et nulle autre femme n’est mentionnée explicitement par son nom dans le Coran (les autres femmes sont évoquées par leurs positions de mère, sœur ou encore épouse). “À l’intérieur même du Coran on peut trouver une infinité d’éléments bibliques remaniés” explique Rémi Brague, philosophe spécialiste des religions.

L’islam considère que le Coran est le dernier témoignage envoyé par Dieu, mais s’appuie sur les livres préexistants à savoir la Bible hébraïque et le Nouveau Testament. L’islam s’inscrit dans une continuité, “il se conçoit lui-même comme un post-christianisme” clarifie encore Rémi Brague. Si certains considèrent que Jésus – sous le nom d’Aïssa – est bien présent dans le Coran, il n’est que prophète et non pas Messie. L’histoire de sa mère, Marie, est par contre un point de convergence important pour les deux religions.

Dévotion partagée

Les sourates 3 et 19 du Coran sont consacrées à Marie. Elles narrent respectivement sa naissance, ses premières années puis l’Annonciation par l’ange Gabriel et la naissance de son fils. La lecture comparée d’un passage du Coran et de la Bible (encadré) permet de mesurer les différences et ressemblances entre les deux textes. Christian Jambet, islamologue réputé, déclarait lors du Forum catholique-musulman au Vatican en octobre 2008 : “Le dialogue entre chrétiens et musulmans suppose un point de vérité commune. Il ne s’agit pas de favoriser les confusions. L’islam est autre. Cependant une reconnaissance est possible.”

Marie est cette figure de rencontre pour les deux religions. À travers son exemple, chrétiens et musulmans reconnaissent que Dieu est à l’œuvre dans toute personne humaine et que l’homme peut pressentir l’existence de son mystère. Les sanctuaires mariaux en sont la preuve tangible.

Dans l’église de la Nativité ou à la grotte du Lait à Bethléem, il est fréquent de rencontrer des groupes d’élèves musulmans en visite ou des femmes voilées assises à plusieurs sur les bancs. Aïssa, chrétien de Bethléem, est un guide touristique palestinien. Plusieurs fois il a été sollicité par des groupes musulmans en provenance de la péninsule arabique. Il témoigne : “Les musulmans viennent sur cette Terre principalement pour prier à la mosquée Al-Aqsa, mais le lieu de la naissance du prophète Aïssa est aussi prisé. Ils viennent pour attester de sa naissance, la réinscrire dans leur histoire coranique”.

« Avant tout croyante »

Ce guide chrétien explique qu’il adapte son discours. “Certains musulmans connaissent le christianisme d’autres non. Certains sont même surpris de voir que des cultes chrétiens existent encore à la Nativité. Je ne vais pas les convertir le temps d’une visite, je peux juste témoigner de notre cœxistence avec l’islam sur cette Terre”. Nous rencontrons également Zarife, mère de famille musulmane qui a choisi de scolariser ses enfants dans une école catholique de Bethléem.

Je suis très contente de vivre dans la ville où est né le prophète Aïssa et j’aime beaucoup Mariam ; nombre de nos filles portent son nom mais aussi celui de Batûl qui signifie toute vierge”. Elle raconte qu’elle aime aller à la Nativité avec ses amies et ses enfants. “Je ne me sens pas étrangère dans ce lieu parce que je suis avant tout croyante. J’y trouve la paix.

En allumant des bougies je l’invoque Ya hadra, ya Mariam prie pour nous”. Quant à la transmission de cette dévotion, elle s’en fait un devoir. “Marie est croyante et elle pardonne même dans ses moments de souffrances. C’est le meilleur exemple que je puisse donner à mes enfants”. On retrouve même, dans certaines familles et de façon discrète, des statuettes ou vignettes à l’effigie de la Vierge. Ainsi, le fondement du dialogue inter-religieux ne semble pas être un ensemble d’affirmations théologiques mais bien plus une série de valeurs ou de vertus partagées.

Marie au liban

Au Liban, Marie est un vecteur de réconciliation politique. À Harissa ou encore à Béchouate dans la vallée de la Bekaa, les sanctuaires mariaux sont des lieux de mixité rares dans une société très compartimentée. C’est ce qu’a pris pour étude la chercheuse Emma Aubin-Boltanski qui explique : “La Vierge est celle de tous les Libanais” ; ses apparitions et ses miracles à des musulmans notamment lui confèrent un statut particulier. “Il y a deux types d’attachement. D’une part un attachement vertical et intime entre chaque dévot et la Vierge, d’autre part un attachement horizontal entre personnes de différentes religions. La Vierge, protectrice de l’individu et de la collectivité, est une passerelle” affirme-t-elle.

Depuis 2010 et à la demande répétée de plusieurs institutions chrétiennes comme musulmanes, l’Annonciation (25 mars) a été décrétée fête nationale. Pour la première fois, dans la douloureuse histoire libanaise, fut proclamé un jour férié islamo-chrétien. Retransmission en direct à la télévision, prières communes, Ave Maria composé pour l’occasion, logo ou encore nouveau nom donné à la place du musée national de Beyrouth : “place de Marie” avec un monument à son effigie : les fruits de la rencontre initiée par Marie sont nombreux. Merci Marie.

Dernière mise à jour: 19/11/2023 11:37

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