Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Abraham notre père commun

Claire Burkel (Enseignante à l’École Cathédrale-Paris)
17 janvier 2024
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Abraham notre père commun
Icône du Sacrifice d’Abraham. Elle se trouve dans la chapelle grecque-orthodoxe du Calvaire dans la basilique du Saint-Sépulcre. ©MAB/CTS

Pour ouvrir cette nouvelle série de “Venez et Voyez”, révérence gardée au premier des héros bibliques, le patriarche Abraham. 14 chapitres narrent son histoire dans l’Ancien Testament, de Gn 11, 26 à 25, 11 ; mais il est mentionné dans les deux Testaments avec plus de 100 références. Un vrai patriarche !


À Qiryat Arba, c’est Hébron”, Abraham enterre “son mort”, c’est Sara sa femme -Gn 23. Ainsi se termine au pays de Canaan, dans l’antique cité d’Hébron, une aventure de longues années. Abraham achète en ce lieu une concession funéraire car il n’est pas d’ici. Il a toujours été étranger à cette terre.

Remonter le temps comme les fleuves

Il venait d’Ur en Basse-Mésopotamie, une des plus anciennes villes connues. Avec des caravanes de migrants, ou des groupes nomades, il avait suivi son père Térah après la mort de son frère Haran. La famille n’était pas très nombreuse : un vieux père, deux fils et leurs épouses et un neveu orphelin. Ils étaient montés vers le pays d’Aram, suivant prudemment l’Euphrate, avec d’autres caravanes sans doute, jusqu’à Harân au nord du confluent du Khabour. Ce sont aujourd’hui l’Irak et la Syrie.
C’est là qu’Abraham avait entendu un appel ; il lui était demandé de poursuivre la route, quitter son clan et ce pays d’accueil pour une région inconnue. Cet appel était si insistant et plein de promesse qu’Abraham, déjà âgé, avait suivi les vallées de l’Oronte et du Jourdain, routes bien fréquentées, jusqu’à Sichem, une ville sur un épaulement entre deux montagnes. Puis “de camp en camp était allé au Néguev” la frange sud du pays -Gn 12, 3. Un terrain qui convenait à un éleveur comme lui, mais qu’il avait fallu partager avec Lot, le fils de son frère défunt. Leurs troupeaux paissant ensemble étaient trop importants pour les rares points d’eau de ce désert. Il avait laissé son neveu encore inexpérimenté choisir une région de basse plaine bien irriguée et s’était contenté de la partie plus aride -Gn 13. Mais c’est Lot qui avait fait le mauvais choix ! au cours d’un épisode belliqueux il avait été fait prisonnier et emmené loin dans le nord ; Abraham avait eu à monter jusqu’à Damas pour le récupérer. Puis Lot avait fui la ville choisie de Sodome – il ne voulait plus vivre en nomade – car le Dieu qui guidait Abraham avait décidé la perte de cette cité inhospitalière qui faisait un mauvais parti aux étrangers. Après cela -Gn 19- Abraham n’avait plus revu son neveu.

Que sont mes amis devenus ?

Au soir de sa vie le patriarche reprend en mémoire les rencontres si marquantes qu’il a faites dans ce pays qui est devenu le sien. Aux frontières méridionales le roi d’Égypte qu’il avait trompé à cause de sa femme Sara. Il avait craint qu’on le tue, lui, pour s’emparer de sa beauté à elle -Gn 12, 10-20. Envers le roi de Gérar, Abimélek, il avait répété la même attitude -Gn 20. Et quand il l’avait revu -Gn 21- il avait enfin compris que l’on peut faire alliance, qu’il ne faut pas avoir peur de l’autre. Lors de leur seconde entrevue, Abimélek s’était fait accompagner de son général Pikol – on n’est jamais trop prudent ! et cela lui avait causé de la honte car c’était le rappel de sa précédente tromperie. En cet endroit, un puits important dans la steppe à proximité d’un confluent de deux rivières, il avait offert sept brebis à Abimélek afin de conclure une alliance franche et montrer à son voisin sa bonne foi.
Il avait croisé aussi un prêtre étrange lors du triste épisode de la capture de Lot. Cet homme rendait à son Dieu un culte non-sanglant, n’offrait que du pain et du vin et des paroles d’action de grâce à celui qu’il appelait “le Dieu Très-Haut possesseur des cieux et de la terre” -Gn 14, 19. Pourtant il ne s’en était pas souvenu quand était arrivée pour lui la grande épreuve. C’est le moment d’évoquer Isaac, son fils, mais pas son unique. Quelle histoire !

Qu’est-ce qu’une promesse ?

Entendant le premier appel du Dieu inconnu, il lui avait été promis une terre et une postérité qui prendrait possession de cette terre – Gn 12, 3. Il avait eu du mal à entendre une telle parole, car sa vieille Sara était stérile ; mais l’espoir était si grand, si fou, qu’il avait voulu y croire. La venue d’un héritier avait tardé. Le Dieu maintenait régulièrement sa promesse et exigeait toute sa confiance. Sa femme, très âgée, et qui ne se croyait plus capable d’enfanter, avait eu recours à un de ces subterfuges féminins, licites cependant, pour obtenir une descendance : que le maître prenne une servante en possibilité d’enfanter, étant entendu que le rejeton serait considéré comme le fils de la maîtresse. Elle avait auprès d’elle une jeune étrangère, dont on n’a même pas retenu le nom, on disait “l’étrangère” ha gar. Et effectivement un fils était né que nous avons appelé Ismaël, car c’était une réponse du Dieu ; le nom veut dire “Dieu écoute”. Pourtant ce n’était pas ce que Dieu projetait pour nous, il m’a assuré que ce serait par Sara que je serai fait père et cela est finalement arrivé. Nous avons tous ri de bonheur ! On a appelé ce fils Isaac, “Rieur”.
Un matin, triste matin, j’ai entendu de nouveau cette voix que je connaissais bien à présent. Elle me demandait de sacrifier mon fils, celui qui avait été attendu si longtemps et qui comblait tous nos espoirs et réjouissait tous nos matins. Comme cela se pratiquait parfois dans nos régions, j’ai compris que “sacrifier” impliquait la mort de l’enfant. Pouvais-je refuser cela après tout ce que j’avais reçu de la part de ce même Dieu ? Il m’a fallu trois jours pour aller sur la montagne que le Dieu avait indiquée. Isaac marchait avec moi, on n’arrivait pas à se parler. Au moment où j’ai levé le bras pour égorger Isaac, mon fils que j’aimais, déjà ligoté sur un fagot de bois prêt à flamber, le Dieu, le Seigneur, a arrêté mon geste et c’est un bélier providentiel que je lui ai offert. J’ai alors compris que l’offrande devait être vive, que ce Dieu ne demandait pas la mort, mais la vie, une autre forme de consécration en “montée” vers lui. Non pas comme une fumée de viande grillée, mais comme une louange volontaire et joyeuse. Ce don, c’était pour moi l’abandon de mes prérogatives paternelles que j’avais si mal interprétées. La joie de Sara quand nous sommes revenus de cette équipée ! Elle a dû trouver un mari changé, apaisé, enfin en vraie connivence avec ce Dieu mystérieux.

Redescendre de la montagne

On peut dire qu’il nous a fait faire du chemin, tant sur les routes de toute la région, que dans notre intelligence et l’intime de nos cœurs. Il nous a appris la patience et la confiance, la justice aussi et la nécessité de relations vraies avec les populations du pays. Je peux avouer qu’il m’a éduqué, moi le vieillard que mes voisins vénèrent comme un “prince” (Gn 24, 5). Avec une pédagogie exigeante, mais qui a porté ses fruits. Je suis en paix. Je viens mettre Sara en terre et je sais que je la rejoindrai bientôt. Notre descendance est assurée, Isaac a une bonne épouse ramenée du pays de mon frère resté en Aram. Loué soit Dieu. ♦

Dans les pas du patriarche

S’il n’est pas facile de se rendre aujourd’hui au point de départ, à Ur en Irak, et un peu compliqué de visiter ce qui reste de Harân en Syrie, les lieux qu’a fréquentés Abraham en Palestine et Israël, d’après le texte biblique, sont bien repérés. Selon la chronologie on commencera au nord par Sichem (Gn 12, 6) que l’on sait être la ville actuelle de Naplouse. En réalité ce sont là surtout les souvenirs liés à Jacob et à “son puits” qui sont retenus.
De là joindre Béthel, dernière étape avant le Néguev (Gn 12, 7-9). Les mentions “en Égypte” sont fort imprécises ; on sait que dans la Bible c’est dès la proximité du delta du Nil que l’on est censé être dans le pays double (en hébreu Mizrayîm rend compte de la Haute et de la Basse-Égypte). Aucune difficulté pour gagner la plaine de Sodome et Gomorrhe (Gn 18-19), des routes y mènent, mais on a rarement envie de s’attarder tant la chaleur y est pesante, l’air lourd, étouffant et puant. On y croise quantité de camions qui transportent les minéraux extraits de ce bassin de la mer Morte. Restent les deux derniers points très évocateurs : Beer Sheva et Hébron.
Le premier est un tell à quelques kilomètres de la ville moderne. (voir TSM n°651) Les archéologues datent les constructions visibles du Xe siècle av. J.-C. mais le nom est bien celui de l’établissement d’Abraham (Gn 21, 22-34 ; 22, 19). Le second est un bâtiment hérodien en pleine ville d’Hébron, qui enchâsse la grotte de Makpéla (Gn 23). De forte structure, plusieurs fois remanié, mais typique des monuments élevés par le roi Hérode le Grand, le mémorial d’Abraham et de son clan est tristement partagé en un lieu de dévotion juif, une synagogue installée en 1967, et une mosquée musulmane. Il faut donc entrer par deux portes opposées pour retrouver au centre les cénotaphes du patriarche et de Sara, d’Isaac et Rebecca, ainsi que de Jacob et Léa.
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Dernière mise à jour: 17/01/2024 13:03

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