Les Evangiles et la femme de Magdala
Une « Marie de Magdala » est explicitement citée parmi les femmes qui accompagnent Jésus, d’abord en Galilée, puis jusqu’à Jérusalem : « Marie appelée la Magdaléenne de laquelle étaient sortis sept démons » -Lc 8, 2. On l’appelle du nom de son village d’origine, Magdala, qui est un bourg de pêcheurs au nord-ouest du lac de Tibériade, au débouché de la faille de l’Arbel. On est à mi-chemin entre Tibériade et Capharnaüm.
Madeleine, en français, est donc un adjectif, comme parisienne ou landaise. On la retrouve ensuite dans tous les textes de la Passion et de la résurrection du Christ, comme témoin en première ligne de la mise au tombeau le vendredi soir de la Pâque – pour savoir « où on l’avait mis » – et le surlendemain au tombeau qu’elle constate vide. Ce qui provoque, surtout dans le quatrième évangile, un grand désarroi.
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La dizaine de mentions précises « Marie de Magdala » (voir encadré) nous invite à penser que s’il y a d’autres « Marie » dans les textes, ce ne sont pas les mêmes ; sinon on lui adjoindrait le même adjectif de localisation. On indique d’ailleurs pour quelques-unes une autre adresse, le village de Béthanie, tout proche de Jérusalem. C’est bien loin de la Galilée. Dans cette bourgade judéenne elles sont toujours deux sœurs, Marie et Marthe. Chez Luc, Marie écoute Jésus, quand sa sœur s’absorbe dans la préparation du repas. Chez Jean on ajoute qu’elles ont aussi un frère, Lazare, à qui Jésus va redonner la vie après sa maladie et sa mort -Jn 11. Ce long épisode est assorti d’une mention dont on n’aura la description que dans le chapitre suivant : “Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux”. Et comme s’il reprenait le motif indiqué par Luc, Jean nous dit aussi que Marthe “servait le repas” alors que Marie a une attitude de vénération de Jésus.
Avant d’aller plus loin voyons les autres femmes nommées “Marie” dans les Évangiles, quand ce n’est pas la mère de Jésus qui, d’ailleurs n’est pas si souvent nommée. Il y a la mère de Jacques qui n’apparaît qu’aux jours de la Passion et de la Résurrection. Et la femme de Cléophas que seul Jean a repérée et cite avec d’autres femmes au Golgotha.
Du parfum et des pleurs
Une confusion s’introduit dans notre quête d’identification avec le fameux épisode du parfum et des pleurs. D’abord en contexte galiléen, assez tôt dans le récit, Luc évoque un repas chez un pharisien. “Et voici une femme qui, dans la ville, était une pécheresse. Ayant appris qu’il était à table dans la maison du pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Et, se plaçant par derrière à ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; et elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les oignait de parfum… Il dit à la femme ‘tes péchés te sont remis… ta foi t’a sauvée, va en paix” -Lc 7, 36-50. Notons tout de suite que l’évangéliste ne donne pas son nom. Mais on l’a rapprochée évidemment de la Marie qui, à Béthanie, a pris elle aussi du parfum, “un nard pur de grand prix”, dont elle a oint les pieds de Jésus qu’elle a essuyés avec ses cheveux. Dans cette courte scène il n’y a pas de larmes, mais du parfum et des cheveux déliés. Pour Matthieu comme pour Marc c’est une scène semblable, mais toute proche des dernières semaines du Christ, chez un hôte bien identifié, Simon le lépreux – certainement guéri, même si ce n’est pas précisé, car s’il était encore malade il ne pourrait recevoir chez lui – qui réside à Béthanie. Jésus y avait beaucoup d’amis, on comprend que c’est un lieu important pour lui. Et l’on retrouve un flacon d’albâtre contenant un parfum coûteux qui est versé par la femme, encore une fois non-nommée, sur la tête de Jésus et non sur ses pieds.
Il y a là des notions de détail et d’autres qui doivent retenir l’attention. Que le flacon soit ouvert (chez Matthieu) ou brisé (chez Marc), que le parfum coule sur la tête (chez les deux premiers synoptiques) ou sur les pieds de Jésus (chez Luc), cela ne changera pas la nature de cet épisode de dévotion d’une femme. Mais puisqu’elle n’est jamais nommée dans ces trois scènes semblables, nous ne nous sentons pas autorisés à l’appeler Marie comme les autres, et encore moins Madeleine. En effet, lorsque les évangélistes veulent donner des noms, ils ne s’en privent pas ; s’ils les taisent, c’est qu’ils ne les connaissent pas ou veulent garder leur anonymat, comme l’hôte qui recevra chez lui à Jérusalem Jésus et les Douze pour le dernier repas. En tous cas, cette Marie ne semble pas de Magdala. Chez Luc la “femme au parfum” vit bien en Galilée, et c’est lui qui la qualifie de “pécheresse” -Lc 7, 36, 39. Mais ce n’est qu’au chapitre suivant qu’on fait la connaissance de la Magdaléenne parmi d’autres femmes, Jeanne et Suzanne -Lc 8, 2-3. Il est rappelé que d’elle “étaient sortis sept démons” et la tradition chrétienne en a fait tout naturellement une grave pécheresse. Pourquoi un jugement si hâtif ? Lorsqu’on parle de démons qui tourmentent des hommes, les symptômes décrits sont physiques ou psychiques, épilepsie, délires et gestes autodestructeurs, mais jamais reliés à des péchés. Il doit en être de même pour Marie de Magdala, atteinte d’un mal que de nos jours des médecins sauraient codifier, mais qui n’est pas une question peccamineuse. Il est regrettable qu’une lecture moralisante ait réuni sur la même personne tous ces éléments. C’est le pape Grégoire le Grand qui, en 591, déclara : “Cette femme que Luc nomme ‘la pécheresse’(Lc 7, 37) et Jean ‘Marie’, nous croyons qu’elle est cette Marie dont Luc atteste que sept démons furent extirpés d’elle”. Le pontife a voulu relier au Salut offert par le Christ la notion du péché commis, mais pourquoi ne serait concernée que la femme nommée Marie ? Saint François de Sales en a fait un autre commentaire plus respectueux : “Cette sainte fut admirable en ceci que, de l’instant de sa conversion jusqu’à sa mort, elle ne quitta pas les pieds de son bon maître”. Encore que l’évêque de Genève ne pouvait avoir idée du moment et du lieu de la mort de “cette femme” puisque les Évangiles ne nous en disent rien.♦
La Madeleine dans l’art et la prière
Une telle figure ne pouvait que séduire les artistes du ciseau, du pinceau ou de la littérature. Que de sculptures, de tableaux, de représentations n’a-t-on pas brodés sur cette Madeleine ? Elle est en général d’une grande beauté, parée d’une chevelure dénouée blonde et abondante, ce qui la fait reconnaître à coup sûr parmi les autres femmes. Elle se tient au pied de la Croix lorsqu’on en fait descendre le corps de Jésus, elle s’approche du tombeau, elle parle à un jardinier ou encore, pour évoquer la fin de sa vie, qui n’est absolument pas scripturaire, elle réside dans une grotte, vêtue de ses seuls cheveux.
Ne nous privons pas de la prier, même si, comme pour de nombreux saints de ces premiers temps de l’Église, on ignore la plus grande partie de sa vie. Si nous nous tournons vers la première évangélisatrice, porteuse de la bonne nouvelle de la Résurrection, nous voyons la femme qui nous aide à croire et à répandre nous aussi, là où nous sommes, la Parole de vie ; et parfois devant ceux qui n’y croient pas (Lc 24, 12). Si nous invoquons celle qui a préparé par une riche et suave odeur le proche ensevelissement du Seigneur, et le respect dû à son corps, nous cheminons vers la contemplation. Si nous voulons nous mettre aux pieds de Jésus pour écouter sa parole, c’est à la sœur de Marthe que nous nous adresserons, et nous aurons à cœur de rester avec “la meilleure part”. Quand nous prenons conscience de nos péchés, c’est aussi à une humble femme anonyme que nous demanderons de faire monter notre prière. Peut-être est-il plus riche de “démultiplier” une figure plutôt que de la réduire à une seule personne.
À la rencontre des Marie dans les textes
Marie dite de Magdala :
Mt 27, 56, 61 ; 28, 1 ; Mc 15,
40, 47 ; 16, 1 ; Lc 8, 2 ; 24, 10 ;
Jn 19, 25 ; 20, 1-2 ; 11-18.
Marie et sa sœur Marthe,
“d’un village” : Lc 10, 38-42 ; ou “de Béthanie” : Jn 11, 1-2, 19-20, 28, 32, 45 ; 12, 1-8.
Marie mère de Jacques :
Mt 27, 56 ; Mc 15, 40, 47 ;
16, 1 ; Lc 24, 10.
“L’autre Marie”, qui est peut-être la mère de Jacques, contexte identique : Mt 27, 61 ; 28, 1.
Marie femme de Clopas :
Jn 19, 25.
Les femmes parfumeuses :
Lc 7, 36-50 ; Mt 26, 6-13 ;
Mc 14, 3-9.
Marie mère de Jésus :
Mt 1, 16, 18, 20 ; 2, 11 ; Mc
6, 3 ; Lc 1, 27, 30, 34, 38,
39, 41, 46, 56 ; 2, 5, 19, 34.
Il est souvent dit “sa mère”
ou “femme” ou encore pour
le couple de “ses parents”,
mais sans qu’elle soit nommée ; Jean, par exemple, ne dit jamais que “sa mère” Jn 2, 1-12 ; 19, 25 sans dire son nom.
Plusieurs hommes affligés de démons : Mt 8, 28-34 ; 9, 32-34 ; 12, 22 ; 17, 14-20 ;
Mc 1, 23-28 ; 5, 1-20 ; 9, 14-
29 ; Lc 4, 33-37 ; 8, 26-39 ; 9,
37-43 ; 11, 14 ; sans parler des “guérisons multiples” où se trouvent souvent des démoniaques parmi les paralysés, les lépreux, les muets, les sourds et les aveugles.