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Plongée dans l’informatique : les architectes de la Best

Claire Riobé
8 mars 2020
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Plongée dans l’informatique : les architectes de la Best
Frère Kevin était venu à Jérusalem pour se consacrer à sa thèse de doctorat. C’est là que ses compétences informatiques l’ont trahi et qu’il a été happé par le projet Best.© Dominicains du prieuré Saint-Dominique St. Louis, USA

Fr. Kevin Stephens op. est originaire de Saint-Louis, aux États-Unis. Programmeur à ses heures perdues, le dominicain a conçu le code du site de la Best. II revient, avec Gad Barnéa, sur les dessous techniques du projet.


Frère Kevin, comment passe-t-on de l’écriture d’une thèse sur le sens de la nudité chez Isaïe à devenir le développeur de la Best ?

K.S : Je suis arrivé pour la première fois à l’École biblique à Jérusalem en 2007, juste avant d’être ordonné et d’écrire ma thèse. Lors de ce séjour, le frère Olivier-Thomas op. et Justin Taylor, un ancien professeur, nous ont présenté le projet de la Best. Ce n’était alors qu’une simple description, posée sur le papier. C’est là que je me suis posé la question : “Comment peut-on écrire la Bible pour un ordinateur ? Et comment distinguer les versets de tel ou tel texte biblique, à échelle du code informatique ?” En fait, ce projet a été la rencontre entre mon intérêt profond pour la Bible et mes compétences en informatique. La programmation a toujours été une passion pour moi : j’étais développeur avant de devenir dominicain, et aujourd’hui encore, lorsque je me sens fatigué, j’écris des programmes…

 

Comment avez-vous débuté le projet ?

K.S : En 2008, je suis venu m’installer à l’Ébaf et le directeur de l’École m’a demandé de donner mon avis sur la Best. Un autre programmeur avait proposé un projet mais il était extrêmement complexe et très peu pratique. J’ai donc passé le week-end suivant à réécrire la colonne vertébrale de la Best et ai créé un site très simple que je leur ai montré. C’est comme ça que j’ai intégré l’équipe de départ.

 

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Où avez-vous puisé votre inspiration pour concevoir ce site ?

K.S : Il existait déjà, à l’époque, des sites fonctionnels en différentes langues, qui proposaient la Bible en ligne. C’étaient surtout des maisons d’édition, telles que la Bible King James ou la Deutsche Bibel Gesellschaft. En revanche, il n’existait pas de site Web proposant le texte biblique accompagné de notes de synthèse. L’un des plus gros défis techniques du projet était donc : “Comment intégrer ces notes sur une page Web ?” Comment lier un verset de l’Évangile selon saint Matthieu, par exemple, avec une note qui porte sur tout le chapitre 5 ? Je me suis inspiré des sites existants, tout en inventant un format complètement nouveau.

 

C’est un travail à part entière, même si je ne m’y mets pas à plein temps.

 

Vous êtes ainsi l’architecte du code informatique de la Best qui permet le fonctionnement du site ?

K.S : Exactement. Je suis retourné à Saint-Louis en 2013, pour enseigner et faire ma thèse. Je travaille depuis sur la Best à distance, le soir et le week-end, un petit peu chaque jour. Car vous savez, il y a des endroits du site que je suis le seul à connaître, et il faut bien que quelqu’un les surveille ! C’est un travail à part entière, même si je ne m’y mets pas à plein temps.

Gad Barnéa. Cet Israélien spécialiste du Cloud Computing (informatique en nuage) est un ami de la communauté des dominicains de Jérusalem au service desquels il met gracieusement ses compétences variées.© D.R.

 

Gad Barnéa, vous avez également rejoint l’équipe en tant que développeur du projet. Quel a été votre rôle ?

G.B : J’ai commencé à faire de la programmation pour la Best il y a six ans, en travaillant soit seul, soit avec fr. Kevin. Mes tâches ont été variées : j’ai créé le blog de la Best, qui fonctionne toujours, ai aidé à la réalisation du scroll (rouleau NDLR) en ligne, ai fait l’API du site [l’interface de programmation]…

Il y a trois ans, on m’a demandé de développer un logiciel à l’aide de l’intelligence artificielle, dont je suis assez fier. Il rassemble toutes les traductions des textes bibliques en anglais, les analyse, et crée un format adapté pour le site de la Best. Grâce à ce logiciel, nous avons aujourd’hui une traduction complète de la Bible en anglais, qui est certes “informatique” (elle ne remplace pas le travail de traduction humain, théologique, des textes) mais sert de réelle base pour toute la version anglaise du projet. C’est très avancé d’un point de vue technologique. Et puis l’idée qu’un projet public fasse appel à de l’intelligence artificielle est aussi extrêmement intéressante en elle-même.

K.S : Il y a donc le noyau du projet, dont je suis responsable, puis divers autres projets qui gravitent autour, tels que ceux menés par Gad. Personnellement, une grande partie de mon travail est d’adapter en permanence ce projet central, pour qu’il soutienne les projets postérieurs.

G.B : Actuellement je fais beaucoup de marketing et de conseil “technologique” auprès de l’équipe de la Best. Tout récemment, nous avons été très heureux d’obtenir le nom de domaine “Bibleart.com” pour le lancement de notre application mobile (voir page 42). C’est très rare de pouvoir acheter un nom de domaine sur Internet aujourd’hui, mais nous avons découvert que celui-là était à vendre… peut-être un signe de la grâce de Dieu pour ce projet !

Parmi ses frères de Saint-Louis où il vit désormais, frère Kevin est aussi M. informatique. Son autre passion ? Le théâtre, “très utile pour les homélies” ajoute-t-il.© Dominicains du prieuré Saint-Dominique St. Louis, USA

 

Le site de la Best, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est-il pérenne ?

K.S : Dans sa forme actuelle, non. En fait, il pourrait l’être en théorie : je connais des sites qui ont gardé la même interface pendant quinze ans.

Mais le Web a beaucoup changé, notamment en ce qui concerne les langages informatiques utilisés. Un des défis auquel je suis confronté est de chercher à toujours mettre à jour le site. Cela fait cinq ans que je veux par exemple Nettoyer et moderniser le code du site, et aimerais à long terme qu’il soit en “PHP”, qui est un langage des plus rapides aujourd’hui en informatique.

À part cela, je rêve de mettre en place sur le site un moteur de recherche plus efficace. Aujourd’hui, si vous cherchez le terme “sacrifier” dans la Best, le moteur vous donne tous les versets dans lesquels le verbe apparaît, mais n’indique pas ceux où se trouvent les mots “sacrifice” et “sacrificiel”, par exemple. Il existe bien des moteurs de recherche open-source (collaboratifs) qui permettraient cela, ce n’est pas le plus compliqué à mettre en place. Le problème est que je dois introduire des améliorations alors que le site est utilisé chaque jour, à l’autre bout du monde. Je ne peux jamais le mettre “sur pause”, si vous voulez. Et je manque aussi de temps.

 

Il existe des programmeurs qui comprennent le Web, et il existe des chercheurs qui comprennent la Bible. Il existe peu de personnes, en revanche, qui maîtrisent réellement les deux aspects.

 

De quoi auriez-vous besoin pour l’avancée du projet ?

K.S : De nouveaux développeurs. Ce serait génial que quelqu’un puisse travailler avec moi sur la question du moteur de recherche, par exemple. Mais deux problèmes se posent : d’un côté la question financière, de l’autre la question des compétences. Il existe des programmeurs qui comprennent le Web, et il existe des chercheurs qui comprennent la Bible. Il existe peu de personnes, en revanche, qui maîtrisent réellement les deux aspects. Le souci, aussi, est que chaque ligne de code du site a une raison d’être bien particulière, et a été créée suite à une demande spécifique, il y a parfois sept ans ou huit ans. Cela me prendrait deux fois plus de temps de coordonner nos travaux et de former cette personne de A à Z, en lui expliquant le rôle et la place de chaque ligne de code.

 

Quel est le plus gros défi technique auquel vous avez été confronté ces dernières années ?

K.S : Les utilisateurs (rires) ! Non, je plaisante. Ce qui a été compliqué est que les paramètres du projet de la Best ont été bien définis au départ, puis ont évolué au fil des années. Il faut tout reconfigurer en permanence. Par exemple on m’a demandé il y a cinq ans de diviser l’architecture du site en deux parties : l’une réservée aux chercheurs, l’autre réservée à ceux qui adaptent et simplifient les notes de synthèse déjà existantes de la Bible. J’ai passé un mois entier à réorganiser le site pour qu’il puisse être utilisé malgré ces modifications. Mais quatre ans plus tard… on s’est finalement rendu compte qu’il valait mieux fusionner ces deux projets (rires) !

G. B : Je pense que l’enjeu est maintenant que tout notre travail soit reconnu et adopté par le grand public. En ce qui concerne l’application mobile que nous lançons, il faut que les gens sachent qu’elle existe, et qu’ils comprennent la richesse de la réception du texte biblique dans les arts à travers les siècles. Il y a beaucoup de travail à faire sur le plan de la diffusion. Nous devons aussi nous assurer que la technologie suive, qu’elle soit au service du développement de ce projet. Mais mes collègues ont fait un travail magnifique, donc je pense que le grand public va suivre !

DU RENFORT

Un travail d’équipe élargie

Si fr. Kevin Stephens (USA) et Gad Barnéa (Israël) sont des pièces majeures du dispositif informatique, ils travaillent aussi avec des développeurs en France :
Pierre Hennequart, de la société Janalis, qui développe l’application BibleArt ; Pierre-Yves Stucki et Pierre Yves Guerder de la société Spyrit, qui s’occupent du Scroll.
Chaque semaine, avec O.-Th. Venard, le directeur du projet, ils se réunissent en visioconférence pour partager avancées et questions.

Dernière mise à jour: 08/03/2024 13:33

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