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Rouleaux de la mer Morte : un mystère levé sur les auteurs

Christophe Lafontaine
28 avril 2021
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Copie du Grand Rouleau d'Isaïe exposée dans le sanctuaire du Livre au Musée d'Israël à Jérusalem © Hadas Parush/Flash90

L’intelligence artificielle a aidé des experts néerlandais à distinguer divers styles d’écriture prouvant que le Grand Rouleau d’Isaïe a été écrit par deux auteurs et non un seul. Une école de scribes a-t-elle existé ?


Qui se cache derrière l’écriture du Grand Rouleau d’Isaïe ? Grâce à l’intelligence artificielle, des chercheurs en sciences bibliques et en informatique de l’université de Groningue, aux Pays-Bas, ont présenté un début de réponse à l’issue de leurs travaux dans la revue scientifique en ligne Plos One, le 21 avril dernier. Et ce dans le cadre du projet The Hands that Wrote the Bible (Les Mains qui ont écrit la Bible), financé par le Conseil européen de la recherche. Si leur étude n’a certes pas dévoilé une quelconque identité concernant le ou les auteurs, elle a révélé combien ils étaient, et cela n’est pas rien…

Le Grand Rouleau d’Isaïe, qui contient le livre du même nom que l’on retrouve à la fois dans la Bible hébraïque et l’Ancien Testament, est l’un des premiers manuscrits découverts en 1947 à Qumrân, à l’ouest de la mer Morte, en Cisjordanie. Il se déroule sur 7,34 m de longueur, avec une hauteur de 26 cm en moyenne. Il est traditionnellement daté de la fin du IIe siècle avant J.-C. En raison d’une écriture très homogène sur l’ensemble du rouleau, l’idée communément acquise soutenait qu’un seul scribe serait l’auteur du rouleau entier avec l’intervention mineure d’autres scribes, contemporains et/ou bien plus tardifs.

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C’était sans compter la récente étude néerlandaise qui « jette un nouvel éclairage sur l’ancienne culture scribale de la Bible en fournissant de nouvelles preuves tangibles que les textes bibliques anciens n’étaient pas copiés par un seul scribe mais que plusieurs scribes, tout en reflétant soigneusement le style d’écriture d’un autre scribe, pouvaient collaborer étroitement sur un manuscrit particulier », écrivent les chercheurs.

Une approche innovante de la paléographie

Ils sont venus à cette conclusion en analysant les images numériques du manuscrit à l’aide d’algorithmes, de statistiques, de techniques avancées en matière de reconnaissance et d’extraction de formes et en utilisant un logiciel qui combine des réseaux de neurones artificiels pour faire la différence entre l’encre et son support. « Ceci est important car les anciennes traces d’encre se rapportent directement aux mouvements musculaires d’une personne et sont spécifiques à la personne », expliquent les experts. L’imagerie numérique a donc pu traiter et comparer d’importantes quantités de données, notamment plus de 5 000 « aleph » (la première lettre de l’alphabet hébreu) tracés sur les parchemins. Ce qui était largement impossible à l’œil nu et vient suppléer aux techniques traditionnelles de la paléographie, l’étude des écritures anciennes.

L’analyse a permis de mettre en évidence de subtiles différences mais statistiquement significatives dans la façon dont étaient écrites les lettres, dans leur approche texturale (relative à la texture) et allographique (relative au signe, au caractère). Une différence dans les variances de distance, c’est-à-dire l’agencement entre les lettres a aussi été repérée.

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L’étude révèle ainsi qu’il y a deux styles d’écriture différents et qu’en outre ils divisent le rouleau en deux parts égales. Ce qui fait dire aux chercheurs qu’au milieu du rouleau, un scribe a dû succéder à un autre qui a fait du mieux possible pour harmoniser son style à celui de son prédécesseur. « Cette capacité mimétique peut témoigner d’un certain professionnalisme de scribe », soulignent les chercheurs. Pour confirmer ce résultat, ils ont produit des « cartes thermiques » en superposant toutes les occurrences d’un unique caractère pour la première moitié du manuscrit et la seconde moitié. La comparaison des deux cartographies a de fait aussi permis de remarquer des différences.

Le point de rupture entre les deux styles se situe au niveau des colonnes 27 et 28 ; le rouleau contenant 54 colonnes de texte en hébreu. A la fin de la 27e colonne, les chercheurs ont trouvé un écart de trois lignes et un changement de matière. Il y a aussi un changement remarquable de feuille entre les colonnes 27 et 28 et les deux feuilles sont cousues ensemble à ce point. Dans la seconde moitié du rouleau, l’orthographe et la morphologie de l’hébreu sont différentes et il y a des espaces laissés en blanc. L’ensemble fait suggérer aux auteurs que le scribe a donc changé à cette étape de la rédaction.

La question d’une formation commune

Pour les chercheurs, « la similitude d’écriture entre différents scribes peut indiquer une formation commune partagée par les scribes, peut-être dans un cadre scolaire ou dans un autre cadre social proche, comme dans un contexte familial un père ayant appris à un fils à écrire ». Pour eux, s’il n’y a « aucune preuve concrète de telles écoles, (…) leur présence doit être présumée. »

Mladen Popović, le coordinateur du projet, espère que l’équipe pourra à l’avenir identifier l’endroit où vivaient les différents scribes. « C’est un peu fou, les gens disent qu’on ne le saura jamais, mais si on pousse, on peut exploiter de nouvelles données et découvrir l’histoire d’une manière qui n’a jamais été possible auparavant », confie-t-il sur le site du Service communautaire d’information sur la recherche et le développement (CORDIS), la principale source de résultats de la Commission européenne des projets financés par les programmescadres de l’UE pour la recherche et l’innovation.

La majeure partie des manuscrits de la mer Morte a été découverte entre 1947 et 1956 dans les grottes de Qumrân et d’autres sites du désert de Judée à l’ouest de la mer Morte, en Cisjordanie. Ils ont principalement été retrouvés sous forme de fragments et remontent entre le IVe siècle av. J.-C. et le IIe siècle après J.-C. Ils sont considérés comme étant la plus vieille version des textes bibliques. En mars dernier, des archéologues israéliens ont annoncé la découverte d’un parchemin biblique du IIe siècle ans dans le désert de Judée, 60 ans après celle des manuscrits de la mer Morte.

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