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Tell Dan, et au milieu coule une rivière

Claire Burkel
30 janvier 2018
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Tell Dan, et au milieu coule une rivière
Il y a 3400 ans... Vase de style mycénien. XIVe siècle avant J.-C., probablement importé de Chypre. Ce vase a été trouvé dans une tombe lors des fouilles archéologiques de Dan et est exposé au musée Beit Ussishkin en Galilée.

Un endroit délicieux avec des sources donnant dans le petit Jourdain qui coule devant le temple du Veau d’or et vers le fleuve principal.” Ainsi s’exprimait Flavius Josèphe, l’écrivain, galiléen d’origine, passé aux Romains lors de la première guerre juive de 66-70. Dès que l’on entre dans la réserve naturelle de Tell Dan nous sommes aussi enchantés que lui par les frondaisons de frênes, eucalyptus, chênes, saules et peupliers qui ombragent les sentiers en pente le long des nombreux ruisseaux ; nous marchons, parfois pieds mouillés, à la fraîcheur bienfaisante avant de découvrir l’objet réel de notre visite, non pas le paradis, bien que le jardin porte le nom de gan Éden, mais la cité bimillénaire fouillée de 1966 à 1999 par l’Israélien Avraham Abiran principalement.

Oui nous avons bien lu “petit Jourdain, temple du Veau d’or”… voilà déjà de quoi intéresser le pèlerin, qui va découvrir plus encore.

Dès sa fondation par les Hyksos au XVIIIe siècle av. J.-C. la ville a profité des eaux abondantes (la source débite 657 530 m3/jour) mais aussi de la disposition au carrefour des routes qui croisent nord-sud du mont Hermon au lac de Tibériade et ouest-est de la côte méditerranéenne jusqu’à Damas à 70 km à peine. Elle est mentionnée dans une liste du pharaon Toutmès III qui au XVe siècle conquit le plus vaste empire égyptien (du Soudan à Damas et Karkémish) ainsi que sur des tablettes découvertes à Mari sur l’Euphrate dans les mêmes époques du Bronze ancien.

 

Stèle de Tell Dan
Découverte en 1993, la stèle de Tell Dan est une pierre de basalte avec une inscription en araméen commémorant la victoire d’un roi sur les Hébreux. Elle est exposée au Musée d’Israël à Jérusalem.

 

Dan, ville biblique…

Selon le livre des Juges la tribu de Dan s’approprie la ville cananéenne et change son nom de Leshem ou Laïsh en s’y installant. En 933, quand Juda et Israël rompent leur unité, Jéroboam le dissident augmentera la muraille et fera ériger sur l’emplacement d’un antique lieu sacré un autel pour dissuader sa population d’aller adorer au temple de Jérusalem ; c’est lui qui, en même temps qu’à Samarie, il y aura donc deux sanctuaires pour ce royaume, dira “voici tes Dieux Israël qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.” La référence au Veau d’or est claire, ce dernier récit en Ex 32 étant postérieur à l’événement historique du Xe siècle.

Dan sera plusieurs fois détruite et reconstruite, notamment sous Omri et son fils Achab qui restaurent toutes les villes de leur territoire de 887 à 853 av. J.-C. Le roi judéen Asa qui résistait mal contre le roi du Nord Basha conclut une alliance avec Ben Hadad de Damas pour prendre en tenaille son frère-ennemi et le roi araméen détruisit Dan “et même tout le pays de Nephtali” 1R 15, 20. Reconstruite, la cité disparut cependant devant l’avancée conquérante de l’Assyrien Teglat Phalasar III en 732, 10 ans avant que la capitale du royaume, Samarie, ne soit elle-même prise par Sargon. C’est tout le territoire du Nord qui passa à l’Assyrie, laissant le Royaume de Juda tristement réduit, isolé et fragile.

 

 

… joie des archéologues

L’équipe d’archéologues d’Abiran fit sur le tell en 1993 une découverte importante : un fragment de plaque en basalte, la pierre la plus courante dans la région, avec inscription en paléo-hébreu mentionnant sur trois courtes lignes Bar Hadad (bar est l’équivalent araméen de l’hébreu ben pour “fils de”), un “roi d’Israël” et “le roi de la maison de David”. On obtenait ainsi la première mention extra-biblique du roi prestigieux, ancêtre de la dynastie. D’autres morceaux furent trouvés en juin 1994, nommant aussi les rois Yoram et Achazias son fils, tous personnages bien connus des livres des Rois et de l’Histoire d’Israël. Les épigraphistes ont conclu que cette stèle avait été érigée par Ben Hadad II en l’honneur du dieu des sources et de la végétation, représenté par un taureau puissant, puis brisée par Jéhu d’Israël, ou Joas, qui reprirent la ville à Ben Hadad III au début du VIIIe siècle.

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Un temple et une porte

Quel sera notre parcours de pèlerin ? Après une marche fort agréable en sous-bois nous arriverons au sanctuaire érigé au sommet d’une butte et pourrons passer quelque temps devant l’escalier monumental de 8 m de large et l’autel reconstitué. Au fil de la lecture des deux livres des Rois nous mesurerons l’histoire chaotique du royaume qui a bien du mal à tenir ferme dans la voie où Dieu veut le mener. Malgré les coups et menaces des rois voisins, malgré les rappels fréquents des prophètes pour une vraie fidélité à Dieu et à la Loi, l’unité davidique a cédé devant la recherche d’un profit toujours plus grand et des alliances catastrophiques. Ceux qui jurent par le péché de Samarie, ceux qui disent “vive ton Dieu, Dan !” et “vive le chemin de Beersabée !”, ceux-là tomberont pour ne plus se relever. Am 8, 14.

A la sortie sud du site nous admirerons la porte intacte du IXe siècle, la plus grande de tout le pays, 19,5 m de large sur 26,5 m de longueur ; légèrement en pente avec une rampe pavée en basalte, elle comporte 4 pièces en tenailles qui obligent tout entrant à découvrir son flanc droit, le plus vulnérable : en effet les guerriers portaient le bouclier à main gauche pour agir avec l’épée de la main droite. Après une chicane, elle débouche sur une rue de 9 m de large qui longe le mur cananéen du XVIIIe siècle. Sur la place juste avant l’entrée se trouve un banc long de 4,5 m où se tenaient les discussions, négociations commerciales ou familiales, selon l’usage dans toutes ces villes antiques Les gens assis à la porte Ps 69, 13. Booz était monté à la porte et s’y était assis… Rt 4, 1-11.

Un sanctuaire dont la richesse faisait l’admiration mais était le résultat d’une scission nationale et d’une rupture d’alliance ; une porte monumentale témoin des coutumes et du fonctionnement social d’une ville comme en ont connus tous les acteurs de l’Ancien Testament ; ce sont des méditations qui s’offrent au visiteur qui lira ces pages des Rois ou des prophètes et sont bien actuelles aujourd’hui : comment respecter la parole entendue, marcher dans la justice, refuser les idoles qui leurrent ?


Références bibliques

L’installation des tribus israélites Jos 19, 40-48, Jg 18, 11-31 ; le nom arabe Tell el Qadi, colline du juge, a gardé trace précisément du livre des Juges. Une mention abrahamique sans doute tardive dans l’histoire rédactionnelle Gn 14, 14. La période royale où Nord et Sud se séparent 1R 12, 26-33.

Destruction par le roi de Damas 1R 15, 16-22, puis définitive par l’Assyrien Teglat Phalasar III, 2R 15, 29. L’expression géographique “de Dan à Beersabée” Jg 20, 1 ; 1S 3, 20 ; 2S 3, 10 ; 17, 11 ; 24, 2 et bien d’autres. L’habileté manuelle d’un artisan local qui participera aux travaux du temple de Jérusalem 2Ch 2, 12-13.

L’alerte donnée par Jérémie de l’invasion depuis le nord (l’Assyrie) Jr 1, 13-16 ; 4, 15 ; et le retour annoncé par Jr 31, 8, et de façon plus spirituelle par Isaïe Is 8, 23b-9, 1 en attente de son accomplissement à la venue du Christ : Mt 4, 12-16.

Dernière mise à jour: 30/01/2024 13:52

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