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“Les pèlerinages sont une bénédiction pour créer du lien entre nous, juifs et Palestiniens”

Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu
16 janvier 2024
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“Les pèlerinages sont une bénédiction pour créer du lien entre nous, juifs et Palestiniens”
Au-delà des différences Il y a des situations qui effacent les différences et font oublier les peurs ©Nati Shohat/FLASH90

Les événements qui se déroulent depuis le 7 octobre 2023 ont profondément affecté le tissu social entre juifs et non-juifs. Terre Sainte Magazine est allé à la rencontre de deux acteurs des pèlerinages. Palestiniens, ils sont en contact permanent avec des juifs et ont bien l’intention de continuer, sûrs aussi que c’est une chance pour la paix.


Agents de voyage, autocaristes, guides, hôteliers, restaurateurs… chaque pèlerinage, à son arrivée, entraîne une chaîne humaine qui participe à rendre le séjour le plus fluide possible. Tous travaillent de concert. Qu’en sera-t-il après le 7 octobre 2023 ?

Fabien Safar dirige depuis Jérusalem l’agence Terra Dei et organise des pèlerinages en direct avec le monde entier. Mais il est aussi le relais local d’agences situées en France dont il assure la logistique sur place “de l’arrivée à l’aéroport Ben Gourion, jusqu’au départ le dernier jour”. Dans son activité, les relations avec des juifs sont quotidiennes. “Les contacts les plus fréquents sont ceux avec les guides.” D’autant qu’il n’y a pas assez de guides locaux chrétiens francophones.

Le deuxième contact ce sont les hôteliers, spécialement dans le Néguev ou autour du lac de Galilée. “Nos pèlerins commencent leur itinéraire dans le désert où il n’y a que des hôtels israéliens. Les campements sous tentes dites bédouines sont également tenues par des sociétés israéliennes dirigées par des juifs.”

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La troisième occasion de travailler avec des juifs, c’est la restauration. “Si un groupe visite Césarée Maritime et veut déjeuner sur place, le restaurateur sera nécessairement israélien.” À vrai dire, cela ne le dérange pas le moins du monde. Certes, il est attentif à travailler autant que possible avec des chrétiens, parce qu’il sait que cette solidarité est un cercle vertueux pour la communauté à laquelle il appartient lui-même.

Avant le 7 octobre, il ne s’était pas interrogé sur le fait de travailler avec des juifs. Il travaillait avec des fournisseurs en Israël, comme il travaille avec des fournisseurs en Palestine. C’est la prestation qui compte.

La peur de l’autre

Pour Fabien, le contact avec les prestataires de service, ce n’est pas seulement un coup de fil pour une réservation. Régulièrement, il faut se rencontrer, faire remonter les remarques des pèlerins, vérifier le niveau de prestation, éventuellement discuter les prix.

Depuis le 7 octobre, Fabien le constate : “Il y a une peur qui s’est instaurée, la peur de l’autre. On voit l’autre comme un ennemi. Et pour moi c’est le plus grave.” Fabien Safar, lui, n’a pas d’ennemi. C’est peut-être qu’il n’est ni arabe, ni Palestinien bien qu’il soit né et ait grandi à Jérusalem dans une famille syriaque catholique originaire de Turquie qui a fui le génocide de 1915. Installée d’abord au Liban, elle s’est finalement fixée dans la ville sainte.

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Sur sa carte d’identité israélienne, il est noté qu’il est ashouri, assyrien. Il n’est donc pas considéré comme un arabe. Et pour ceux qui ne feraient pas la différence, son éducation française, reçue de sa mère, finit de le mettre à part. À la reprise des pèlerinages, il ne pense pas que son activité aura à pâtir de la fracture de la société israélienne entre juifs et non-juifs.

Lui reprendra contacts avec les mêmes fournisseurs, sans autre calcul que le bien des groupes et il ajoute : “La plupart des groupes ont un guide juif et un chauffeur de bus palestinien. Ils vont vivre ensemble et collaborer pendant dix jours, toute la journée. Et ce sera plutôt une belle chose à voir.” Fabien veut croire que malgré toutes lessouffrances, la paix est toujours possible entre juifs israéliens et palestiniens.

Jérusalem plurielle

Gabi Hani est restaurateur et connu pour être un ardent défenseur de la mémoire et du patrimoine palestiniens à Jérusalem où il est né. Son restaurant de la Porte de Jaffa, le Versavee, dans un passage à l’ancienne, est un endroit où le tout Jérusalem des expatriés, personnels consulaires, journalistes, humanitaires se donnent rendez-vous comme aussi un nombre grandissant de pèlerins “parce qu’il a une âme”.

Depuis octobre, le Versavee est fermé et Gabi est désolé de ce qui est arrivé le 7 et depuis. “Quand la guerre s’arrêtera, l’activité touristique reprendra ici Porte de Jaffa et aux abords du Saint-Sépulcre plus rapidement qu’à Bethléem ou Nazareth parce que c’est l’entrée principale de la vieille ville.” Gabi sera prêt et reprendra les mêmes fournisseurs sans hésitation, dont son fournisseur de fromage, un juif, “le meilleur de la place”.

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Lui aussi essaie autant que possible de jouer la carte de la préférence communautaire au bénéfice de la communauté chrétienne, mais il travaille avec des juifs sans état d’âme et d’autant plus volontiers avec ceux qui partagent comme lui la conviction que Jérusalem est plus belle quand elle est bigarrée.

D’après lui “la confiance entre juifs et arabes se rétablira plus rapidement que nous ne le pensons. Avec la guerre, tout le monde est affecté psychologiquement et socialement et la haine prospère, que cela nous plaise ou non.” Il aspire au retour des touristes et des pèlerins, pour les affaires bien sûr – car comme Fabien Safar il a dû mettre tout son personnel au chômage technique – mais surtout parce que “les pèlerinages sont une bénédiction pour créer du lien entre nous, juifs et Palestiniens”.

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