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Custode de Terre Sainte, “J’invite les pèlerins à revenir le plus tôt possible”

Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu
20 janvier 2024
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Custode  de Terre Sainte, “J’invite les pèlerins à revenir le plus tôt possible”
Francesco Patton, le provincial des franciscains de la Custodie en interview au jardin de Gehsémani au bas du mont des Oliviers. ©Custodie de Terre Sainte

Francesco Patton est le supérieur des franciscains de la Custodie de Terre Sainte. La gardienne des Lieux saints selon la volonté des papes depuis 1342. Il attend le retour prochain des pèlerinages, certain que chaque pèlerin est attendu en Terre Sainte pour une expérience unique.


Vous êtes Gardien des Lieux saints, et une des missions que l’Église vous a assignées est d’accueillir les pèlerins dans les sanctuaires. Que représente pour vous cette présence ?
La présence des pèlerins est très importante car c’est ce qui crée le lien entre nous et le monde entier. Le pape Clément VI qui, en 1342 depuis Avignon nous a confié le rôle de Gardiens des Lieux saints, a expressément désiré que nous soyons une réalité internationale, capable d’accueillir les pèlerins du monde entier, faisant en sorte qu’ils se sentent chez eux dans les Lieux saints et que la présence des pèlerins soit un soutien pour les chrétiens locaux.
Les pèlerinages nous tiennent aussi à cœur parce qu’ils sont une expérience de foi. C’est une lecture de l’Évangile en 3 dimensions, susceptible de renouveler la foi et dans certains cas même ils marquent un tournant dans la vie.

Lors de leur pèlerinage, les pèlerins célèbrent Noël à Bethléem en plein juillet, et Pâques au Saint-Sépulcre pendant l’Avent, etc. Qu’est-ce que cela nous apprend sur la Terre Sainte ?
Si vous êtes attentifs, vous verrez que dans tous nos sanctuaires il est écrit un mot en latin de trois lettres : “hic” qui signifie “ici”. Le lieu où l’on se trouve en pèlerinage est le lieu où l’on rencontre ce moment particulier de la vie de Jésus. C’est la particularité des Lieux saints. Ils ne sont pas liés à une apparition. Ils sont liés à un moment de la vie de Jésus.
Le lieu est le médiateur de la rencontre. À Nazareth on rencontre Jésus qui s’incarne par l’œuvre de l’Esprit et la disponibilité à la grâce de Marie. À Bethléem, le lieu fait rencontrer l’Enfant Jésus. Et ainsi de suite de tous les sanctuaires.

Finalement, tout au long de l’année et sur tout le territoire de la Terre Sainte, il y a permanence de la rencontre de Jésus…
Dans l’Évangile de Jean, les deux premiers disciples, André et Jean, demandent à Jésus “Où demeures-tu ?” et Jésus leur répond “Venez et voyez”.
Les pèlerins viennent pour voir et demeurer un temps avec Jésus. Et la sainteté du lieu se manifeste précisément parce qu’il y a des gens qui prient “hic”, des gens qui font une expérience singulière de Dieu dans un lieu, qui entrent en contact avec lui, ressentent sa présence et prient.
En même temps que chacun fait une rencontre singulière, il la vit au milieu de son groupe et de groupes du monde entier. Il fait alors l’expérience de la catholicité, de l’universalité. C’est pour moi une très belle chose. Car le jour où nous reconnaîtrons que nous sommes tous frères, peut-être pourrons-nous aussi utiliser d’autres moyens que les armes pour résoudre nos différends.

Vous rencontrez de nombreux groupes de pèlerins, que vous demandent-ils ?
Certains me demandent en quoi consiste mon service de custode. On m’interroge sur ma vocation. D’autres veulent entendre parler de la réalité locale. Beaucoup souhaitent comprendre quelles relations nous entretenons avec les chrétiens des autres Églises, avec les juifs et avec les musulmans. C’est très utile car cela les aide aussi à entrer dans la complexité du lieu.
Des questions politiques aussi sont posées. D’autres reviennent sur une expérience faite durant le pèlerinage. Nous échangeons ainsi sur la grâce liée à chaque lieu. Et chaque lieu suscite des réactions émotionnelles et spirituelles variées. À la différence des pages d’évangile, les lieux ont cette dimension physique qui à mon avis est très importante. De sorte que les Lieux saints nous aident à avoir une idée moins intellectualiste et rationaliste de la foi elle-même. Ils nous font comprendre que l’Incarnation est quelque chose de concret. En pèlerinage on comprend ce que signifie ici avoir soif, avoir chaud etc. La terre permet au croyant, de faire une expérience physique. Et de mon point de vue, elle est extraordinaire.

Avec la guerre, les pèlerinages se sont soudainement arrêtés. Quel est votre message aux pèlerins ?
Je les invite à garder vivant leur désir et à revenir en Terre Sainte le plus tôt possible.
Je leur dirais aussi de ne pas craindre pour leur sécurité. Faire un pèlerinage, ce n’est pas prendre une assurance-vie mais c’est prendre conscience que nos vies sont entre les mains de Dieu. Si nous sommes dans les mains de Dieu, alors nous sommes en sécurité.
Notre hâte de voir revenir les pèlerins vient aussi de notre désir de les voir repartir transformés. Et de les savoir plus proches de leurs frères chrétiens de Terre Sainte qui ont besoin de leur présence, voire de leur aide.

Quels conseils donneriez-vous à un groupe de pèlerins avant, pendant et après le pèlerinage ?
Avant le pèlerinage, je dirais qu’il est bon que le laïc, le religieux, le prêtre qui conduira le groupe lui fasse comprendre la différence entre pèlerinage et voyage touristique.
Zygmunt Bauman disait qu’il existe trois catégories de voyageurs. Les nomades pour qui le sens de la vie réside dans le voyage, mais ils n’ont pas de destination. Les touristes qui ont un objectif culturel et dont la confiance réside dans leur carte de crédit. Et les pèlerins qui partent en pressentant que le voyage peut les éclairer sur le sens de la vie qui est la rencontre de Dieu. C’est bon de préparer son cœur à cette rencontre.
Les organisateurs peuvent aussi donner toutes les indications possibles et imaginables sur ce qu’il faut emporter, ne pas emporter, et s’encombrer le moins possible pour aller vers l’essentiel.
Avant le pèlerinage autant apprendre ce qu’est un pèlerinage : des lieux à respecter, des temps de lecture de l’Évangile dans chaque lieu, des occasions de prier, mais aussi un peu d’effort, éventuellement de l’inconfort. Dans le temps, le pèlerinage était conçu comme l’une des plus grandes expressions des œuvres pénitentielles.
Pendant le pèlerinage, l’essentiel est de vivre au rythme des jours. Si je suis à Nazareth, je ne suis pas ailleurs. Capharnaüm le lendemain s’occupera de lui-même. Nous parlions plus haut du “hic”, ici. Il doit coïncider avec le “nunc”, “maintenant”. Je dois vouloir vivre cette grâce de l’instant et du lieu au moment précis où j’y suis.
Pendant le pèlerinage, j’oserais dire qu’il est bon d’éviter avoir des exigences excessives. En pèlerinage, je ne peux pas espérer avoir une chambre cinq étoiles, ne connaître aucun inconfort, disposer des Lieux saints pour moi seul et ne pas avoir à attendre mon tour. Mais je peux offrir ces désagréments pour préparer mon cœur aux surprises de Dieu. Parce que si je fais le pèlerinage dans le but de le rencontrer, alors Dieu me réservera des surprises. Si au contraire quelqu’un se promène, pour ainsi dire distrait, préoccupé par des choses matérielles, sans se plonger à 100 % dans ce qu’il vit, il peut passer à côté d’une expérience de nature à bouleverser sa vie.
Après le pèlerinage, je suggère toujours de continuer à être pèlerin, en essayant de prolonger les découvertes du pèlerinage, de les vivre au quotidien et de transformer l’année liturgique en un pèlerinage qui s’étend dans le temps. Je suggère souvent aux pèlerins, une fois de retour, d’aller à la messe tous les dimanches pour entendre de nouveau les Évangiles comme sur le terrain. De cette façon, en se remémorant les lieux, la mémoire du cœur vous permet de vivre votre vie, là où vous êtes, plus intensément.
Ce que le pèlerinage nous a fait découvrir peut devenir une attitude existentielle personnelle. Mais il faut, durant le pèlerinage, je le répète, s’ouvrir à l’instant présent. À Nazareth on se mettra en disposition d’ouvrir son cœur à la proposition de Dieu. À Cana on entend la mère du Seigneur dire aux serviteurs de faire ce que Jésus nous dira, il faut se mettre dans cette disposition d’esprit, même si parfois le Seigneur nous demande des choses étranges, comme de verser de l’eau dans des jarres à vin. Au Dominus flevit il faut s’identifier aux pleurs de Jésus quand il voit les conséquences du manque de foi dans la vie des gens et dans l’histoire de l’humanité. Nous devrions en pleurer nous aussi. Il y a des situations où les gens meurent de faim, quand ailleurs la nourriture est gaspillée. Il faut pleurer car c’est une injustice à laquelle nous participons et à laquelle nous collaborons. Ce n’est pas un hasard si l’une des Béatitudes est que celui qui pleure est béni parce qu’il sera consolé. Le Calvaire est le lieu de découverte de notre propre dignité et de celle des autres. Que le Fils de Dieu meure pour moi, signifie que ma vie a une valeur infinie. Quand j’en doute, je peux retourner au Calvaire et me souvenir que ma vie a une si grande valeur que le Fils de Dieu est mort pour moi.
C’est l’attitude du pèlerin qui intériorise le lieu, les Écritures et la grâce, mais je crois honnêtement que cela ne se fait pas en dix jours, mais au cours de toute une vie. À partir d’un bon pèlerinage !♦

Dernière mise à jour: 20/01/2024 11:28

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