Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

“Ceux que nous avons rencontrés habitent nos prières”

Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu
16 janvier 2024
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“Ceux que nous avons rencontrés habitent nos prières”
Halte à La crèche des soeurs de la Charité de Saint-Vincent de Paul à Bethléem. Une expérience de l’amour en acte d’une des multiples congrégations qui se dévouent pour le bien de la communauté. © Hadas Parush/Flash90

C’est entendu, on vient en pèlerinage pour mettre ses pas dans les pas du Christ. Pourquoi donc des directeurs de pèlerinages diocésains, des curés de paroisse, des passionnés de Terre Sainte prennent-ils du temps pour faire rencontrer à leurs groupes des Israéliens ou des Palestiniens ?
Et si la paix que nous appelons de nos vœux trouvait là ses premiers artisans ?


Jean-Bernard est jésuite, bibliste, archéologue et il intitule ses voyages en Terre Sainte “Bible en mains”. Avec lui, on ne devrait pas se disperser mais quand il explique l’esprit de son programme il affirme : “Je mets l’accent sur le rapport entre la terre et la Parole de Dieu qui s’y est incarnée, plus que sur la visite de ‘lieux saints’. La réalité concrète de ce pays biblique me conduit tout naturellement vers ses habitants d’hier et le lien avec ceux d’aujourd’hui.”
Le lien avec aujourd’hui, c’est aussi ce qui motive François Cristin, directeur diocésain des pèlerinages du diocèse de Lyon. “Je propose systématiquement des rencontres, car on ne vient pas ici pour visiter un musée mais une région où les habitants, héritiers du passé, vivent leur foi chrétienne, juive ou musulmane aujourd’hui.”
Pour Chantal Dassié, qui après avoir été saisie par la Terre Sainte a amené des groupes à sa suite, c’est aussi une façon de prolonger l’Incarnation : “Dans un esprit de respect des Israéliens et des Palestiniens, en essayant de partager avec eux, afin de mieux comprendre, pour que l’amitié prenne chair…”

Tous les pèlerins ne comprennent pas d’emblée ce qui passe parfois à leurs yeux pour “une incursion politique”. Mais l’idée des accompagnateurs de groupes n’est pas là. Ainsi pour Jean-Bernard : “J’aime demander à ces femmes et ces hommes qui vivent aujourd’hui dans les paysages bibliques, juifs, chrétiens, musulmans, d’expliquer comment ils vivent ce lien, cette proximité avec Abraham, Jésus, Mohammed sur cette terre qui fut celle de nos ancêtres dans la foi. Dans le désert avec des bédouins, on comprend que ‘visiter’ est un terme biblique encore actuel.”

Ce que nos yeux ont vu

La plupart de ces rencontres procèdent d’abord d’une approche religieuse : “J’ai le souci de permettre aux pèlerins de découvrir l’enracinement juif de notre foi chrétienne, et de découvrir un peu plus l’expression de la foi de nos frères aînés aujourd’hui, dit encore François qui regrette “de moins rencontrer de musulmans, les Palestiniens que nous rencontrons étant la plupart du temps chrétiens.” L’écoute de l’autre n’est pas sans conséquence. “Je rappelle toujours que ces rencontres peuvent nous surprendre, voire nous provoquer dans ce que nous pensions, poursuit François, mais nous les vivons dans un esprit d’accueil et non de jugement. La bienveillance et l’écoute sont de rigueur. Généralement, les pèlerins découvrent la complexité des situations vécues par les habitants de cette terre.”
Parfois ce sont les Palestiniens ou les Israéliens qui peinent à se livrer. Certains guides par professionnalisme, ne veulent pas interférer avec le politique, et ce sont parfois les groupes qui finissent par les y pousser. Ainsi ce guide palestinien : “Il semblait même méfiant, vis-à-vis du groupe, mais à Taybeh, un médecin de l’Unicef qui faisait partie du groupe, a commencé à parler de la souffrance des Palestiniens, il s’est alors senti en confiance et a finalement partagé sa vie, sans haine, mais avec douleur…”
“J’aime à dire que les participants de mes groupes ‘ne reviennent pas comme avant’, qu’ils sont parfois plus pleins de questions que d’affirmations, mais qu’ils sont heureux d’avoir été interpellés par une réalité qu’ils découvrent complexe : ‘il n’y a pas d’un côté les bons, et de l’autre les méchants’. Et cela est valable chez eux, là d’où ils viennent.” C’est Jean-Bernard qui parle mais tous les accompagnateurs le diraient. “Ces rencontres sont aussi source d’émerveillement, lorsqu’on évoque toutes les démarches de solidarité, de recherche de dialogue, de paix” continue François. Et Jean-Bernard de témoigner : “Après une prière dans l’église de la Nativité (encore faut-il choisir une heure qui permette que cela soit possible !), il m’est indispensable de m’arrêter dans une crèche ou une institution qui prend soin de tout-petits, pour voir comment au quotidien on vit Noël à Bethléem”.
Et le résultat ne touche pas seulement les pèlerins : “Les visages s’éclairent devant ces pèlerins qui prennent du temps pour vivre quelques heures avec eux, les vrais personnages de l’Évangile aujourd’hui. Il n’est pas rare qu’à l’issue du pèlerinage, confie François, on me dise que les rencontres ont été le point fort du pèlerinage, et qu’elles ont permis de découvrir la diversité des communautés chrétiennes mais aussi juives et musulmanes, ainsi que les difficultés vécues par les uns et les autres.
J’en profite pour dire que le pèlerinage se poursuit au retour ; une fois notre curiosité éveillée, nous pouvons continuer de découvrir ce qui se vit et surtout que ceux que nous avons rencontrés habitent nos prières.”
Chantal, elle, elle avait un truc : “Nous avons commencé nos pèlerinages, à chaque fois, en distribuant à chacun un rameau d’olivier… et nous avons recommandé de ne pas juger trop vite, qu’il fallait surtout écouter… et prier pour ce pays en souffrance.” C’est plus que jamais utile.♦

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