Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Venez et voyez: Avdat, de l’eau au désert

Claire Burkel (Enseignante à l’École Cathédrale-Paris)
14 décembre 2022
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Le canyon d'Avdat, dans le désert du Néguev ©Cécile Lemoine/TSM

Un seul nom pour deux lieux. Deux sites au désert, l’un en pleine nature, l’autre plus urbain (en ruines). Les pèlerins peuvent dans la même demi-journée se trouver en excursion le long d’un défilé rocheux et en visite dans une ville antique. Tous deux sont austères.


Une source, une cascade généreuse dans une faille rocheuse du désert du Négev. L’accès se fait aisément et presque directement en voiture ou en car. Mais on peut aussi y arriver au bout d’une superbe marche de deux heures entre les rochers et les lits de wadis depuis la hauteur de Bor Hawarim sur le plateau à quelque distance du kibboutz de Sde Boqer que Ben Gourion avait choisi en 1953 pour y finir ses jours.

On pourra d’ailleurs visiter sa dernière demeure, une humble cabane. Le chemin qui s’insinue dans la rocaille du désert est très bien balisé de flèches bleues ou noires et ne manque pas d’abris sous roches ni d’acacias largement déployés sous lesquels un groupe peut faire halte et méditer quelques passages bibliques. Car quelle que soit la route choisie, le canyon d’Avdat est un lieu privilégié pour méditer sur ces textes remplis d’eau que nous offre l’Ancien Testament.

L’endroit fut bien choisi par les Nabatéens : des hauteurs de la ville d’Avdat on domine un large territoire du Négev.©Isaac Harari/FLASH90

Ex 17 : Le peuple a soif et “le peuple murmure”. Quand l’expression est utilisée, ce n’est jamais pour dire qu’il a parlé à voix basse mais qu’il récrimine, qu’il accuse Dieu de ne pas s’occuper de lui comme il le voudrait. Le pèlerin d’aujourd’hui n’aura pas oublié sa gourde, mais il peut mesurer qu’en quelques heures de marche elle serait vite épuisée. Et c’est au bout de la soif éprouvée que le Seigneur répond aux murmures. Alors ce n’est pas du sol sableux, mais du roc le plus dur que Moïse fera jaillir de l’eau vive, et le peuple entier boira et abreuvera ses troupeaux.

Nb 20 : Le même épisode, très certainement son “copié-collé”, auquel s’ajoute une explication pour justifier la mort de Moïse et Aaron qui n’entreront pas dans la terre promise. Est-ce une punition ? Le chef si charismatique, qui par grâce voyait Dieu face à face (Ex 33, 11), a manqué de foi pure en frappant le rocher à deux reprises au lieu d’une seule.

Is 43, 19-21 : “Je vais mettre dans le désert un chemin et dans la steppe des fleuves.” Une promesse faite aux exilés à Babylone : oui, vous reviendrez sur votre terre et c’est le Seigneur qui patiemment nous conduira, lui qui demeure en tête de nos routes ; et lorsqu’elles sont difficiles, arides, il les agrémente de tout ce qui fait vivre, le nécessaire comme la beauté.

Dt 8, 7-8 : “Le Seigneur ton Dieu te conduit vers un heureux pays, pays de cours d’eau, de sources qui sourdent de l’abîme dans les vallées comme dans les montagnes, pays de froment et d’orge, de vigne, de figuiers et de grenadiers, pays d’oliviers, d’huile et de miel.” On ne peut que souhaiter y croire ! Les exégètes nous l’ont appris, ce récit du Deutéronome fut rédigé à un moment où le peuple était depuis longtemps installé dans cette terre. Surtout il y était revenu après l’épreuve de la déportation et de l’exil au VIe siècle av. J.-C. Donnée comme une espérance, la phrase indique en réalité une certitude de pérennité, le Seigneur conduit toujours vers le beau et le bon.

Jr 2, 13 : “Mon peuple a commis deux crimes : ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau !” Dieu se rit des mauvaises constructions des hommes et les incite à revenir à la véritable source de vie, la seule qui ne tarit jamais, toujours disponible, lui-même.

Ps 42, 2-3 : “Comme languit une biche après les eaux vives, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Quand irai-je et verrai-je la face de Dieu ?”

Récits, prophéties, mémoires, psaumes, quantité de passages bibliques mentionnent l’eau qui abreuve, qui purifie, qui nettoie, qui maintient la relation avec Dieu-source.

De la source à la cité

Les Nabatéens, commerçants bien connus de l’Antiquité, ont adopté au IIe siècle av. J.-C. un promontoire qui domine une large portion du désert du Négev pour en faire une vraie ville. Elle resta habitée jusqu’au saccage des Perses en 620, connaissant plusieurs revers de fortune : après les Nabatéens ce sont les Romains qui investirent la place, puis les Byzantins. Les ruines de la ville vont naturellement témoigner de ces diverses époques.

Utilisant les pentes des wadis et à l’aide de murets en tuiles de terre cuite, les Nabatéens parvenaient à récupérer 300 à 500 mm d’eau de ruissellement et de condensation quand la région ne reçoit que 100 mm de pluie en toute une année.

La ville que nous visitons est sortie de terre à la fin du IVe siècle av. J.-C. ; d’abord simple halte caravanière sur la route Pétra-Gaza, elle devient une des cinq cités nabatéennes du Négev avec Nizzana, Élusa, Shivta et Mamshit. De 9 à 40 ap. J.-C. elle vit sa période la plus prospère ; le roi Arétas IV reconstruit et fortifie l’acropole au sommet de la ville. Le commerce est florissant. En témoignent de nombreux ateliers et boutiques au long de rues bien tracées, des fours de poterie, des installations viticoles, pressoirs et jarres de conservation. Le IIe siècle voit la dernière occupation nabatéenne sous le roi Rabel II [long règne de 70 à 106] et des travaux sophistiqués pour mettre en valeur l’agriculture, notamment digues et canaux pour l’irrigation. Car les Nabatéens se sont en partie sédentarisés, exerçant leur génie et leur connaissance exceptionnelle du milieu désertique pour une agriculture vivrière (orge, blé, lentilles) et d’exportation (vigne). Utilisant les pentes des wadis et à l’aide de murets en tuiles de terre cuite ils parvenaient à récupérer 300 à 500 mm d’eau de ruissellement et de condensation quand la région ne reçoit que 100 mm de pluie en toute une année.

Changement de propriétaires

Au IIIe siècle toute la pentapole partage le territoire avec des soldats romains depuis que l’Empire a annexé les ports de Méditerranée et de mer Rouge, ainsi que le sud de la province de Syrie, tenant en ses mains le commerce fructueux des anciennes caravanes. Grâce à des garnisons aux limites des lieux habités ils préviennent les invasions de tribus arabes ou les razzias bédouines. Une dédicace de 294 confirme la construction de la tour qui se présente à l’entrée du site. À la même époque fut creusé dans le roc un réservoir sur la place centrale (comme à Shivta – voir TSM n°679), elle-même dédiée à Zeus, Aphrodite et Obodas.

Obodas, c’est le nom de plusieurs rois des dynasties nabatéennes (voir encadré) et c’est ce nom qui a été déformé en Avdat [le b et le v ayant à peu près la même prononciation]. Ce roi avait été adulé et divinisé, et la ville fut ainsi baptisée en son honneur.

Au Ve siècle ce sont les Byzantins qui prennent place dans la ville et construisent successivement deux églises. Celle du sud, dédiée à saint Théodose, est précédée d’un cloître et comporte quelques pierres tombales dans la nef ; ce qui laisse entendre qu’une communauté monastique aurait été établie là. Une de ces pierres tombales est gravée d’une ménorah entourée de deux croix. Est-ce pour une famille judéo-chrétienne ? L’église du nord est plus vaste, avec une nef centrale et deux bas-côtés, tous trois se terminant en absides semi-circulaires. Le narthex à l’ouest est occupé par un baptistère taillé dans un énorme bloc de calcaire, malheureusement saccagé il y a quelques années par un bétonnage intempestif totalement irrespectueux de l’objet comme de l’époque. Toujours est-il que sa présence signifie qu’on est ici devant une église paroissiale pour une communauté relativement importante. La vue sur toute l’étendue du désert depuis la terrasse est à ne pas manquer !

De vastes grottes creusées dans la roche friable de la pente ouest servaient de silos, d’entrepôts, mais peut-être aussi de cellules pour des moines. Ils furent en effet nombreux à répondre au grand élan monastique du désert initié en Égypte et au Sinaï dès le IIIe siècle par les saints ermites Paul (mort en 342) et Antoine (250-356, belle longévité !). Ces salles sont très fraîches car astucieusement ventilées. Des traces de peinture rouge sombre et noire se devinent au plafond ainsi que quelques sculptures (une lampe torche sera utile). Un tremblement de terre au début du Ve siècle ne dérange pas fondamentalement l’occupation des lieux, mais la cité ne se relèvera pas de sa mise à sac par les Perses en 620, suivie d’une destruction arabo-musulmane en 636.

On choisira évidemment de faire la marche vers la source en matinée, à la fraîche, et de visiter la cité dans l’après-midi. Voir le soleil plonger dans le désert depuis l’église du nord quand il rougit tout le paysage est une récompense grandiose !

 

HISTOIRE

Dynastie

D’après le chroniqueur grec Diodore de Sicile, auteur au Ier siècle d’une “Histoire de l’Antiquité” en 40 volumes !
la dynastie nabatéenne compta entre autres :

– Arétas Ier en 168 av. J.-C.
– Obodas Ier et II, vers 93 av. J.-C.
– Obodas III, de 30 av. J.-C. à 9 ap. J.-C.
– Arétas IV contemporain de Paul, cité en 2Co 11, 32 :
“À Damas l’ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville pour m’appréhender.” Ce qui donne une idée de l’étendue du domaine royal nabatéen.
– Malichos, de 41 à 70 ap. J.-C.
– Rabel II, de 71 à 106 ap. J.-C.

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