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Vers des pèlerinages plus “verts” ?

Cécile Lemoine
6 juin 2022
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Tirant leçon de la pandémie, les touristes sont prêts à faire attention à leur empreinte carbone lorsqu’ils voyagent et sont demandeurs d’expériences différentes : plus de randonnées, plus de temps passé à la découverte MichaeI ©GiIadi/Flash90

Et si la pause forcée impliquée par la pandémie avait offert aux pèlerinages l’opportunité de se renouveler ? Des voix se lèvent pour appeler à des voyages où la qualité prime sur la quantité, dans le respect de l’environnement et la découverte des communautés locales.


Les touristes sont bel et bien de retour à Jérusalem. En témoigne la file d’attente qui se forme désormais quotidiennement à l’entrée du tombeau du Christ, meilleure jauge de l’afflux touristique dans la Ville sainte. Avec 207 400 entrées en avril 2022, soit deux ans et demi après le début de la pandémie, Israël reste bien loin de ses chiffres pré-covid. En 2018, un record mensuel avait été atteint avec l’entrée de 485 747 personnes sur le territoire. Le record annuel est quant à lui détenu par l’année 2019, avec 4,55 millions d’entrées et 8,7 milliards de dollars de recettes (soit 2,2% du PIB israélien).

Mais était-ce trop ? Les conséquences de cette affluence sont très concrètes en Terre Sainte : queues interminables pour pénétrer dans des sanctuaires bondés et souvent de petite taille, embouteillages à l’entrée des villes, des pèlerinages menés au pas de course, et des ressources naturelles sous tension. “Dans la tête des chefs de groupe, un pèlerinage réussi est synonyme d’un maximum de Lieux saints visités. La cadence était infernale. On était proche de la saturation”, juge Catherine Jacquemot, de l’agence Routes Bibliques.

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À Bethléem, ville palestinienne qui voit passer entre un et deux millions de pèlerins par an, Rami Kassis porte un regard dur sur ce qu’il considère comme du tourisme de masse : “La ville n’est qu’une étape. Les pèlerins s’arrêtent à la Nativité puis remontent dans leurs bus. Ils encombrent et polluent la ville, utilisent le peu d’eau qu’Israël nous laisse, mais ils n’achètent pas dans nos boutiques”, dénonce celui qui est à la tête du Groupe pour un tourisme alternatif (ATG), une ONG palestinienne spécialisée dans des pèlerinages inspirés du concept de “tourisme de justice”.

La pandémie, en mettant le monde sur pause le temps de quelques mois, s’est montrée propice à la réflexion et à la prise de recul. En Terre Sainte, les secteurs du tourisme et du pèlerinage, imbriqués l’un dans l’autre, ont été mis face à leurs excès et leur impact.

Ainsi, en 2020, le lac de Tibériade, château d’eau de la région, a atteint son niveau le plus haut depuis 2004. Un phénomène qui s’explique par des pluies abondantes, mais aussi par le fait que la consommation domestique a largement diminué en raison de l’arrêt de l’hôtellerie (moins de douches, de chasses d’eau, de lessives…).

Un rythme différent

Alors même si le retour des touristes était attendu de pied ferme, une légère appréhension demeure. Celle du trop-plein dans un pays qui a expérimenté le vide plus d’un an et demi. “Il y a eu une prise de conscience : ces choses qu’on acceptait en 2019 ne seront plus possibles en 2022-2023”, estime Laurent Guillon-Verne, fondateur de l’agence Terralto et rédacteur pour Terre Sainte Magazine. Tout le monde souhaite un rythme différent, avec des pèlerinages qui reviennent à l’essentiel, se concentrent sur l’humain et respectent la nature.”

Le passage à un tourisme plus responsable est un tournant inévitable pour le Versaillais qui ne peut s’empêcher de se référer à l’encyclique papale Laudato Sì : “Sans les voyages, notre maison commune deviendrait invivable. Notre défi est de chercher à réconcilier la valeur du voyage et son empreinte écologique”, expose-t-il. Depuis un an, il tente, à l’échelle de sa petite agence, de faire bouger les lignes. Objectif : appliquer aux pèlerinages les principes de l’écologie intégrale. Une démarche qui passe aussi bien par un travail sur la réduction du nombre de déchets plastiques produits lors des voyages (offrir des gourdes, limiter la vaisselle jetable…), qu’un traitement respectueux des correspondants et des fournisseurs sur place (ne pas dépasser les 12 h de conduite des autocaristes), ou encore une offre renouvelée de pèlerinage. Parce que la pandémie a modifié la demande. “Plusieurs groupes nous ont dit qu’ils voulaient marcher, prendre plus le temps. Nous avons donc créé des “spitrek”, des randonnées spirituelles en Jordanie et en Italie notamment”, explique le voyagiste.

“L’industrie du tourisme doit se remettre en question et être plus respectueuse des communautés locales en les incluant dans les gains économiques qu’elle génère. C’est ce que nous faisons en emmenant nos pèlerins à des cueillettes d’olives, ou dormir chez des familles chrétiennes”, explique Rami Kassis qui regrette que les groupes soient peu sensibilisés à la dimension géopolitique du pays dans lequel ils mettent les pieds.

S’il semble avoir trouvé un certain écho à la faveur de la pandémie, le concept de pèlerinage durable, ou “vert” n’est pas neuf. Jérusalem a d’ailleurs tenté d’en devenir le porte-étendard dans les années 2010, sous la houlette de la députée-maire juive israélienne Naomi Tsur. Convaincue que les décisions motivées par la foi et les croyances sont les plus durables, elle avait réuni en 2013 les représentants des différentes religions lors d’une conférence dédiée au pèlerinage vert. “L’idée, c’est que les pèlerins, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, laissent une empreinte positive lors de leur passage en Terre Sainte et en particulier à Jérusalem”, explique aujourd’hui cette écologiste dans l’âme, qui dirige l’ONG Jerusalem Green Fund. Mgr Pierbattista Pizzaballa, à l’époque custode de Terre Sainte, s’était engagé en faveur de ce type de pèlerinage. Un concept qu’il défend toujours aujourd’hui : “Cela fait partie de l’identité des pèlerinages d’être simples, sobres, et en connexion avec le territoire. Cela requiert cependant de ralentir leur rythme, de fixer des priorités : il est impossible de vouloir tout visiter. Il faut aussi concevoir des lieux d’hébergement plus simples que les hôtels”, détaille le patriarche latin de Jérusalem à Terre Sainte Magazine.

Inclure et respecter les communautés locales

Dans la définition qu’en donne Naomi Tsur, un pèlerinage “vert” doit prendre en compte les trois dimensions de la durabilité que sont l’environnement, l’économie et le social. Or les Palestiniens regrettent que les pèlerinages soient peu tournés vers la compréhension globale de l’environnement qui les entoure. “Pourquoi visiter autant de sanctuaires, de vieilles pierres, quand les groupes peuvent rencontrer les pierres vivantes de ce pays, les communautés chrétiennes locales, qui peinent à se maintenir et qui ont un message à faire passer ?”, s’interroge Daoud Nassar, un chrétien palestinien qui accueille des groupes de pèlerins depuis 2002 dans sa ferme des collines de Bethléem, la Tente des Nations.
Chez ATG, l’agence de voyage palestinienne basée à Bethléem, on essaye aussi de changer de paradigme. “L’industrie du tourisme doit se remettre en question et être plus respectueuse des communautés locales en les incluant dans les gains économiques qu’elle génère. C’est ce que nous faisons en emmenant nos pèlerins à des cueillettes d’olives, ou dormir chez des familles chrétiennes”, explique Rami Kassis qui regrette que les groupes soient peu sensibilisés à la dimension géopolitique du pays dans lequel ils mettent les pieds.

Les signaux faibles en faveur d’un tourisme ralenti et tourné vers la qualité sont de plus en plus nombreux. Mais qu’en sera-t-il réellement quand les bus de pèlerins feront leur retour en Terre Sainte ? Les acteurs du secteur sont réalistes. “Les pèlerins restent axés sur leur confort, leurs deux douches quotidiennes, leur bus et leur chambre climatisés. Ils n’entendront pas les discours sur l’économie de l’eau s’ils n’adaptent pas déjà leurs gestes dans leur vie quotidienne”, souffle, Catherine Jacquemot. Cela fait 15 ans qu’elle habite à Jérusalem et son constat se fait amer : “Rien ne bougera non plus si des pratiques comme le tri des déchets ne sont pas encadrées par l’État. C’est tout bête, mais Jérusalem ne sépare toujours pas le plastique des déchets alimentaires.” Laurent Guillon-Verne, convaincu que les agences de pèlerinage ont un rôle fondamental à jouer dans la sensibilisation des groupes, veut croire que “le cercle vertueux finira par se mettre en route, mais il viendra de la base. C’est à nous de proposer des séjours respectueux. On ne peut pas faire les louanges de Laudato Sì ou promouvoir l’écologie intégrale, et faire comme si de rien n’était une fois sur place”, souligne-t-il. Silence, les graines du pèlerinage vert poussent en Terre Sainte…

 

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