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La vie quotidienne au Saint-Sépulcre

Hélène Morlet
19 novembre 2015
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Ils sont aux premières loges pour sentir battre le pouls du Saint-Sépulcre. Les religieux franciscains qui desservent nous livrent les secrets du quotidien des gardiens de la basilique de la Résurrection.


Ils sont dix. Dix frères de Corée, de Pologne, de Malte, du Brésil, d’Italie, du Ghana et d’Israël. Ils ont de 32 à 60 ans et font partie de la fraternité du Saint-Sépulcre. Au nom de la Custodie de Terre Sainte, ils en sont les gardiens au quotidien, vivant au rythme du Statu quo.

Leur couvent, caché aux yeux des pèlerins, fonctionne comme n’importe quel autre couvent. À sa tête il a un supérieur, le frère Noël Muscat. Si les Franciscains appellent communément “gardien” le supérieur d’une fraternité, au Saint-Sépulcre il est appelé Président car l’unique “gardien” du Saint-Sépulcre, c’est le custode de Terre Sainte lui-même. Pour seconder le Président : un vicaire et un économe. Au total, la communauté est composée de sept frères prêtres et trois frères non prêtres.

Comme dans n’importe quel autre couvent, les temps de prière alternent avec les temps communautaires ou les activités nécessaires au bon fonctionnement du couvent. A ceci près, tout de même que ce couvent, c’est le Saint-Sépulcre, le lieu le plus saint du christianisme, et que leurs activités y sont intimement liées.

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Frère Kazimierz Frankiewicz, polonais, en communauté au Saint-Sépulcre depuis 14 ans, explique : “Notre première mission ici est celle de religieux. Nous devons être présents à toutes les prières, tous les jours. Et plusieurs fois par semaine nous sommes de service : de 8 h 30 à 12 h et de 14 h 30 à 19 h environ nous restons à la porte de la sacristie, prêts à répondre aux demandes des pèlerins et touristes.” Ces demandes peuvent aller de la bénédiction d’objets ou de personnes, au sacrement de réconciliation, en passant par l’emplacement des toilettes, extrêmement fréquent.

Le sacrement du pardon est proposé tous les jours et toute la journée. Aussi, le plus souvent possible, des prêtres extérieurs viennent en service pour quelques semaines ou mois aider les Franciscains. Un écriteau indique les langues parlées par le confesseur : français, polonais, allemand. “Mais je peux aussi confesser en russe, croate et slovaque puisque ce sont des langues que je comprends” ajoute le père Jozef, prêtre diocésain venu pour l’été, qui attend patiemment sur le banc à côté du confessionnal. Lorsque personne ne vient, il répond aux questions des nombreux touristes, juifs, musulmans ou athées, peu renseignés sur le lieu où ils se trouvent. “Nombreux sont ceux qui ne savent pas ce qu’est la pierre de l’onction, que les croyants embrassent à l’entrée, ni même l’édicule” explique le père Guillaume, un prêtre français venu lui aussi en renfort pour les confessions.

Organisation

À côté des confessionnaux, dans leur sacristie, les trois sacristains s’affairent parfois ensemble parfois à tour de rôle. Ils sont chargés de l’organisation des liturgies dans les espaces communs, mais aussi dans les chapelles franciscaines où les groupes de pèlerins viennent célébrer la messe. Aux connaissances habituelles à tout bon sacristain, s’ajoute la nécessité de parfaitement connaître le Statu quo, qui est en quelque sorte le règlement de copropriété de la basilique. Il régule la vie des communautés chrétiennes depuis 1852 à force de traditions, de petits ménagements et de règles.

Qui peut passer où et quand, comment installer les tapis et qui va changer quelles lampes à huiles… Le premier sacristain, Frère Andrew Ako-Hayford, s’en occupe depuis 15 ans, et Frère John Savage depuis 9 ans. Chaque droit accordé par le Statu quo doit être utilisé sous peine d’être perdu. Ainsi, les latins ont le droit de célébrer cinq messes à la tombe et cinq messes au Calvaire tous les matins entre 5 heures et 8 heures. S’il n’y a aucun groupe de pèlerins, les frères doivent tout de même les célébrer pour conserver ce droit.

“Pendant la seconde intifada, il n’y avait quasiment aucun groupe. Il m’est donc souvent arrivé d’enchaîner une messe à la tombe puis une au Calvaire juste pour garantir nos droits” illustre Frère Kazimierz. Toute la journée, les sacristains accueillent prêtres et pèlerins venus célébrer l’eucharistie. “En période haute, nous accueillons entre 20 et 25 messes par jour. En ce moment, il y a moins de pèlerins à cause des tensions politiques, mais aussi de la hausse de l’euro et du dollar, donc on est à 15 messes par jour” poursuit frère John.

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Pendant la journée, elles sont célébrées dans la chapelle du Saint-Sacrement et dans la chapelle des Croisés. Situées dans la partie franciscaine de la basilique, et fermées par des portes, ces chapelles offrent une plus grande liberté aux fidèles. Il y est ainsi permis de chanter, alors que, dans les parties communes, autel de l’apparition à Marie-Madeleine compris, n’est autorisée qu’une seule messe catholique chantée par jour.

La gestion des groupes et des foules, tout comme la préhension des différences culturelles font aussi partie du travail. “Nous préparons les vêtements liturgiques, les hosties, et veillons à ce que chaque groupe ait le temps de célébrer sa messe, explique le frère John, notre programme est souvent chargé, avec des horaires bien précis, et il est difficile de gérer les groupes dont le rapport au temps et à l’organisation est différent. Certains sont à l’heure ou en avance et finissent à temps. D’autres arrivent en retard, et ignorent jusqu’à la dernière minute le nombre de pèlerins et donc le nombre d’hosties nécessaires. Certains acquiescent à mes recommandations mais ne les respectent pas. C’est compliqué : nous voulons satisfaire tout le monde, mais tous ne coopèrent pas, et ne sont pas conscients de l’organisation nécessaire.”

Des rôles ingrats

Lors de la procession quotidienne, les sacristains doivent précéder les frères sur les lieux et leur faire de la place. “Demander aux gens de s’éloigner du Calvaire, ou interrompre les visites à la tombe n’est pas très agréable. Généralement les pèlerins comprennent, surtout qu’ils voient arriver les frères ou les entendent chanter, mais parfois certains râlent ou ne veulent pas bouger. Il s’agit de faire le policier et c’est pesant.” déplore le frère John. Surtout qu’à force de gérer cette foule de touristes, et d’y vivre tous les jours, on en vient à oublier où l’on se trouve. Le quotidien prend le dessus : des travaux de canalisations ont lieu dans le couvent, alors les ouvriers passent avec leurs outils, les gravats.

“La chose la plus étrange que j’ai vue jusqu’à présent, c’est un petit tracteur entrer dans la basilique et se garer derrière l’orgue, à 5 mètres de l’édicule” se rappelle dans un sourire Frère Junio Marques, brésilien et fraîchement arrivé au Saint-Sépulcre. Il n’y a qu’une seule porte, donc quand les frères sortent ou entrent avec leurs valises ou des courses, ils passent parmi les pèlerins. Frère Zacheusz Drazek, prêtre polonais au Saint-Sépulcre depuis deux ans, insiste : “Je me suis promis de me rappeler tous les jours où je suis et pourquoi j’y suis. La lecture des évangiles de la Passion et de la Résurrection est un bon moyen, tout comme la procession quotidienne (1). S’il m’arrive de la débuter de façon mécanique, de chanter par habitude, lorsque j’arrive sur le Calvaire, devant la Croix, là je me souviens.”

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Et Frère John enchaîne : “Parfois, un pèlerin qui nous remercie d’être là nous rappelle ce rôle de visage amical et accueillant que nous devons avoir. Cela nous remémore aussi la mission franciscaine pluriséculaire de gardiens du Saint-Sépulcre. Lorsqu’on lit le martyrologe on se souvient de tous ces franciscains morts au cours des siècles pour protéger et conserver l’accès aux lieux saints. C’était encore plus difficile d’y vivre alors, lorsque les lampes à huile enfumaient les pièces.”

Même si aujourd’hui l’électricité a remplacé les bougies, le couvent reste sombre – seule une terrasse permet de profiter de la lumière du soleil – et humide. Les frères plus âgés qui y passent de nombreuses années ont souvent des problèmes d’articulations. Les chambres, pour la plupart sans fenêtres, n’ont pas le chauffage central.

Afin de pallier ces conditions de vie, les frères y vivent tous les jours pendant cinq semaines, puis profitent d’une semaine de congés. Ils sont généralement accueillis dans les autres couvents de la Custodie, préférant se reposer dans ceux qui sont situés dans un cadre naturel et calme. Lecture, prière, travaux manuels et sommeil sont généralement au programme. Frère Zacheusz illustre ça en expliquant : “Je vis bien au couvent, mais en vacances je m’émerveille devant la nature et l’espace. Un soir, je suis sorti et j’ai vu un coucher de soleil, c’était tellement beau ! – s’exclame-t-il, lui-même étonné. Même si je mets à profit chaque moment libre pour dormir lorsque je suis fatigué, le rythme de prière qui nous fait relever au milieu de la nuit épuise les corps”.

Bien que la cadence dictée par le Statu quo découpe les journées de façon étrange, il est possible de concilier d’autres activités. Ainsi frère Andrew suit des cours de théologie, frère Junio des cours d’italien, et frère Kazimierz prend soin des fleurs pour la chapelle. Pour entretenir leur forme, les frères sortent se promener et marchent dans la ville, voire jouent au football dans une équipe amateur pour les plus jeunes.

Comme dans toute communauté, les moments de fraternité rendent la vie agréable. “Ici nous cuisinons parfois ensemble, pour le plaisir, des plats de nos pays. (NDLR Le reste du temps les frères ont une cuisinière). L’un des frères fait du pain, et régulièrement nous cuisinons pour les moines grecs-orthodoxes. Nous leur avons apporté des pizzas et des pâtes dernièrement, raconte frère Zacheusz, et en échange ils nous offrent des chocolats et des desserts !”

Concernant les relations avec les autres confessions chrétiennes du Saint-Sépulcre, les opinions des frères diffèrent selon leur ancienneté. “Globalement, ils sont très occupés avec leurs tâches et nous avec les nôtres” résume le frère John. “Cela dépend des périodes, des supérieurs, et des personnes en elles-mêmes. Les relations sont plus ou moins chaleureuses mais elles sont toujours cordiales.”

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Et il ne faut pas oublier que nous ne parlons pas les mêmes langues, souligne le frère Kazimierz, donc ce sont des petits gestes qui témoignent de la qualité de la relation. L’un des moines orthodoxes m’a offert une petite icône, et un autre a demandé le silence à des touristes pendant notre messe sur le Calvaire par exemple.” Pour autant, la différence de mentalité reste réelle et une distance est toujours conservée.

Frère Giuseppe Gaffurini, le médite autrement : “En voyant toutes les confessions prier ensemble ici, on peut penser à la prophétie d’Isaïe (Is 56, 7) “Car ma maison s’appellera ‘Maison de prière pour tous les peuples’”. Évidemment lorsque les coptes chantent pendant notre messe, ou les arméniens pendant notre procession, c’est plus difficile de se concentrer. Mais c’est aussi beau. Un samedi de carême j’ai vu l’entrée de tous les patriarches, leurs processions et leurs liturgies qui, sans se croiser, priaient chacune séparément mais toutes ensemble.”

Si la vie des frères n’est pas de tout repos, ils reçoivent de l’aide de l’extérieur. La mission première de la Custodie est la garde des lieux saints, comme le rappelle la bulle du pape Clément VI (1342) affichée dans la sacristie. En plus des prêtres extérieurs qui viennent pour confesser, les franciscains se mobilisent. Pour la procession quotidienne, les étudiants du séminaire se relaient chaque jour. Pour la messe solennelle et la procession quotidiennes, deux frères, l’un organiste et l’autre chantre, se libèrent de leurs obligations pour embellir la liturgie. Quelques ouvriers de la Custodie s’activent également les jours de fête et pour la messe matinale : installation des tapis devant la tombe, des bancs pour les pèlerins et préparation des livrets pour la messe.

Qu’ils aient choisi d’être là ou qu’ils aient été envoyés en mission par la Custodie, qu’ils soient plus ou moins lassés de la vie imposée par le lieu, les frères ont conscience de la spécificité du Saint-Sépulcre. “C’est le lieu le plus saint de toute la chrétienté. C’est là que le Christ a été crucifié, inhumé, puis est ressuscité. C’est ici qu’il a accompli sa mission. Ici que les disciples et les femmes ont vécu la disparition de toute joie et de toute vie pendant trois jours. Avec la Résurrection, l’espérance et la vie reviennent. Sans la Résurrection il n’y aurait pas eu de religion chrétienne. Habiter ici, y venir en pèlerinage sont des grâces qui nous rappellent que nous devons repartir remplis de joie.” conclut le frère Junio. τ

(1) Cf. Procession quotidienne au Saint-Sépulcre : un chemin de foi et d’histoire, TSM n°635

Dernière mise à jour: 19/11/2023 10:57

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