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Que sait-on de plus sur la tombe depuis l’ouverture ?

Arianna Poletti
28 janvier 2017
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Que sait-on de plus sur la tombe depuis l’ouverture ?
Photo prise jeudi 27 octobre. Les ouvriers ont travaillé toute la journée de la veille et une bonne partie de la nuit. Le chantier est désert et tous les projecteurs sont éteints. Quelques religieux chanceux peuvent y accéder. Et voilà ce qui s’offre à eux... ©MAB/CTS

Bien que l’équipe de l’université d’Athènes n’ait pas eu de visées archéologiques, le professeur Eugenio Alliata était invité
à l’ouverture du tombeau. Il tire quelques conclusions de ses premières observations.


Cette année entrera dans l’Histoire. C’est la deuxième fois depuis 1555, la première depuis 1809 que le tombeau de Jésus dans l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem a été ouvert. Comme les deux fois précédentes, c’était à l’occasion de travaux de restauration de l’édicule.

Alors que le monde n’attend plus que les preuves qui confirmeraient qu’il s’agit bien du vrai tombeau de Jésus, c’est l’homme plus à même de donner des informations solides qui doit rappeler la dure réalité : “L’accord signé entre les trois communautés – grecs orthodoxes, franciscains et arméniens – l’a été pour procéder à la restauration de l’édifice actuel, pas pour conduire une étude archéologique sur le tombeau”.

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Celui qui parle est le père Eugenio Alliata, franciscain de la Custodie de Terre Sainte, archéologue, professeur au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem et éminent spécialiste de la basilique du Saint-Sépulcre. À ce titre, il faisait partie du nombre restreint des invités le 26 octobre au soir, jour de l’ouverture. Il a pu observer et décrire ce qu’il a vu : que sait-on de plus sur la tombe, maintenant ?

“L’ouverture a permis de vérifier et comprendre l’état du tombeau, alors que le moine Maximos Simaios, le dernier à l’avoir vu en 1809, n’en donnait qu’une description sommaire, explique-t-il. Je pense que la principale nouveauté réside dans l’observation directe, qui a confirmé et enrichi la description. D’autant que manifestement, les instruments de mesure ne nous permettaient pas d’en avoir une idée parfaite. Tout doit être vérifié par la vision directe !”

Surprise

Et ce qui a été visible, une fois la dalle de marbre déplacée et le remblai dégagé c’est… une deuxième dalle de marbre sous-jacente. “Brisée en deux sur toute la longueur, gravée d’une croix et d’un marbre différent. Cette dalle remonte probablement à l’époque croisée. Quant à la Croix, bien qu’elle ne soit pas entière, elle ressemble à une croix de Lorraine”, poursuit celui qui rappelle que Godefroy de Bouillon, le premier souverain croisé de Jérusalem, était lorrain. Juste en-dessous de cette deuxième plaque grise, qui n’a pas été soulevée, il y a un troisième niveau : le rocher d’origine. “À en croire les instruments de mesure, la distance entre le marbre et le rocher pouvait atteindre près d’1m”, explique encore père Alliata.

D’où la surprise du professeur Moropoulou qui ne l’attendait pas là. Pourtant, comme l’archéologue le rappelle, “d’après les descriptions précédentes sa présence était claire et évidente”. En effet, on peut lire dans la Relation sur la restauration de l’Édicule du Saint-Sépulcre de Maximos Simaios, un texte rédigé comme il se doit en grec, que “l’architecte avec confiance et à ma demande ouvrit une partie du Saint-Sépulcre […] et à hauteur de la pierre tombale, […] ayant pour couverture deux dalles de marbre, l’une sur l’autre du côté méridional […] mais tout le côté septentrional du très saint antre est constitué de roche naturelle”.

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Déjà en 1555, Boniface de Raguse rendait compte du moment où “il a été nécessaire d’enlever l’une des dalles de marbre qui couvrait le sépulcre” et lorsque “s’offrit à nos yeux le sépulcre du Seigneur de manière claire, creusé dans la roche” (Liber de perenni cultu T.S., 279-80, 25 août 1555). Arculf, un évêque gaulois parti en pèlerinage en Terre Sainte au VIIe siècle, en parle aussi, mille ans plus tôt. L’évêque irlandais Adomnan d’Iona rapporte ses propos dans son De locis Sanctis (1 :2) en 670 décrivant une “petite chambre taillée dans le rocher où le plancher est plus bas que le sépulcre lui-même”.

Exit la tombe à four

D’après les constatations du père Eugenio, si on pouvait s’attendre à trouver le lit funéraire d’après les antiques témoignages, la surprise a été de le trouver « si haut »: « Il y a environ 35 cm entre le sommet du rocher originel et le pavement moderne. Il serait intéressant de voir à quelle profondeur se situe le sol de base, cela nous permettrait de mieux comprendre la structure de la chambre-même”.

Entre la poutre métallique supérieure et le mur reconstruit de neuf, on aperçoit un bout du mur sud de la tombe d’origine, comme l’explique le père Eugenio Alliata aux journalistes ©MAB/CTS

Le père Eugenio regrette qu’à l’occasion de l’ouverture, on n’ait pas fait appel à des archéologues et à leur méthodologie. “Aucun archéologue n’est intervenu, ni grec, ni franciscain, ni israélien, aucun.” Dans l’esprit de pauvreté qui le caractérise, il refuse de s’arrêter à sa frustration. C’est ainsi, dont acte. Et il retourne à ses observations.

“Il existe différents types de chambres funéraires taillées dans le roc – explique Alliata – mais on n’est pas certain du type dont il s’agit ici. Aujourd’hui, on peut exclure la possibilité d’un tombeau à kokhim – littéralement “four” en hébreu – c’est-à-dire une cavité creusée dans la roche à la dimension d’un corps”, comme un loculus contemporain.

L’ouverture de la tombe confirme, selon lui qu’il s’agit d’un “type de tombeau à banc sur lequel le corps était placé”. La structure rappellerait alors celle d’un arcosolium : niche surmontée d’un arc creusé dans le roc. Dans cette niche, et sur le banc qui en résulte, on posait le corps. Mais alors que l’arcosolium existe bien à l’époque, le père Alliata envisage qu’il puisse s’agir d’un troisième type, encore différent. Selon lui “il faudrait connaître beaucoup plus de détails sur ce qui reste du rocher originel pour aboutir à une conclusion plus fiable”.

Certes, tout ce qui a été mis à jour est très précisément documenté et sera mis à disposition des archéologues, mais l’observation du rocher qui reste au nord du banc funéraire comme ses côtés auraient été instructifs.

Hypothèses

Y a-t-il une chance pour qu’un jour les archéologues puissent faire valoir leur méthodologie ? Tout ce que l’on sait, c’est que les travaux de restauration doivent se terminer au plus tard en mars 2017. Néanmoins la professeure Moropoulou a d’ores et déjà indiqué aux chefs des Églises qu’une nouvelle phase de travaux devrait être envisagée afin de stabiliser tout le travail effectué. Il faut en effet mettre un terme aux infiltrations qui proviennent du sous-sol. Tout le pavement autour de l’édicule pourrait être déposé, mais aussi celui de l’intérieur.

Pour l’instant, on se cantonne à des hypothèses. Une seule certitude peut-être énoncée : il y a un banc, donc il ne s’agit pas d’un kokhim.

Certaines spécificités ne passent pour autant pas inaperçues à l’œil expert de père Alliata. Le spécialiste trouve cette grotte “trop étroite” par rapport à un tombeau à arcosolium normal. Il pense à une structure qui ne serait “ni strictement d’un type, ni de l’autre”. Quelles explications possibles ? Martin Biddle, auteur du manuel de référence jusqu’ici intitulé The Tomb of Christ (La tombe du Christ – 1999), avait fait une supposition. Il pensait que le tombeau avait été divisé en deux par un mur construit à l’époque de Constantin.

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L’étroitesse de la pièce s’expliquerait alors par la présence du mur entre un banc (celui de Jésus) et le reste de la chambre, dans laquelle on trouverait deux autres bancs. Selon Biddle “la tombe était formée par trois bancs de structure classique, au-dessous desquels il y avait des niches, des kokhim” – explique l’archéologue du Studium Biblicum Franciscanum.

Normalement on taille la chambre centrale et après on creuse des kokhim au fur et à mesure des besoins”. Même si “les kokhim pouvaient ne pas avoir été taillés”, cette hypothèse n’est plus crédible : la hauteur du mur en rocher originel encore présent face au lit funéraire de Jésus en est la démonstration. Père Alliata confirme que “l’hypothèse de Biddle n’est pas correcte. On a pu le vérifier grâce à la hauteur du rocher qui constitue le mur sud de la chambre” et qui s’élève à près de 2 mètres.

Etroitesse

Une autre hypothèse est celle d’une tombe jamais terminée, ce qui éclairerait la description des évangiles selon lesquels elle était utilisée pour la première fois. En effet, Luc nous dit que “[Joseph] le déposa dans un sépulcre taillé dans le roc, où personne n’avait encore été mis” (Lc 23, 53) et Matthieu qu’il “le mit dans le tombeau neuf qu’il s’était fait tailler dans le roc” (Mt 27, 60). Ceci expliquerait qu’il n’y ait qu’un seul banc sur le côté d’une pièce très étroite, car jamais entièrement creusée.

À Jérusalem, on trouve une tombe avec les mêmes caractéristiques d’étroitesse. Elle se trouve dans la nécropole dite Tombes des Prophètes sur le mont des Oliviers. Et si le tombeau de Jésus avait fait plutôt partie d’une nécropole plus vaste justement ? Un autre exemple, toujours à Jérusalem, éclaire cette hypothèse, ce sont les tombes de l’Haceldama dans la vallée de la Géhenne. Dans cette nécropole “des tombes à arcosolium avaient été construites dans des couloirs très étroits”, explique le père Alliata.

D’autres questions agitent les experts et tant de choses attendent encore d’être découvertes ! Le type de tombeau et la structure de la chambre ne sont qu’un aspect. Par exemple, y avait-il une ou deux pièces ? Père Alliata explique les différentes positions : “L’idée la plus ancienne (et la mieux partagée) celle du père Vincent o.p. et d’autres chercheurs, est l’hypothèse selon laquelle il y aurait eu deux pièces : celle où on pleurait et où on préparait le corps et celle où on le déposait. Mais l’Évangile dit le contraire : on pouvait regarder à l’intérieur de la tombe depuis l’extérieur. C’est l’idée de Bagatti et de Biddle, “cette chambre n’était pas fermée”.

Des questions demeurent

Une autre constatation intrigue les chercheurs. De la chambre funéraire, ne subsistent que les parois nord et sud. Qui a littéralement coupé en deux la chambre funéraire ? Selon certains cette destruction aurait été perpétrée par les Perses, mais le père Alliata se réfère au texte “Arculf en 670 parlait du plafond de cette chambre. Comment Arculf l’aurait-il vu si les Perses l’avaient détruit en 614, 56 ans plus tôt ?” Sauf à reconsidérer le travail de compilation des sources d’Adomnan qui prétend citer Arculf.

Et combien de questions, encore sans réponse. L’ouverture historique de la tombe a répondu à certaines, notamment la découverte surprenante du rocher nu, le lit funéraire de Jésus.

Le père Alliata attendra patiemment d’être en mesure de lire tous les comptes-rendus et documents que la professeure Moropoulou mettra à disposition des chercheurs. La nouveauté, c’est qu’ils sont maintenant en contact direct l’un avec l’autre. L’espoir est donc permis qui verrait une nouvelle phase de travaux joindre les efforts de ces deux sommités au service de la science et d’une meilleure connaissance de cette très fameuse tombe.

Dernière mise à jour: 23/01/2024 18:19