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Dôme du Rocher, le chef d’œuvre omeyyade

Nizar Halloun
30 janvier 2018
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Dôme du Rocher, le chef d’œuvre omeyyade
En entrant on est saisi par la complexité de l’architecture, le luxe disparate de la décoration, le silence religieux, le moelleux des tapis et la puissance de l’épaisseur d’histoire.

Il aura fallu plusieurs mois à la rédaction de Terre Sainte Magazine pour réunir toutes les autorisations, persuader tous les interlocuteurs, obtenir toutes les permissions. C’est fait, les portes du Dôme du Rocher s’ouvrent devant nous avec pour guide un expert du lieu. Visite.


Topographiquement, explique Abu Shamsiyeh, le terme Al-Aqsa représente l’espace de l’esplanade des mosquées dans son entièreté. Ce sont 144 dunam soit 144 000 m2, autrement dit 1/6 de la ville circonscrite dans les remparts de Jérusalem.

Le lieu se situe au sud-est de la vieille ville, chose inhabituelle selon la conception architecturale des villes d’importance pour l’islam. Habituellement en effet, la mosquée s’élève au centre de la ville, entourée des marchés et des habitations ; viennent ensuite les murailles et leurs portes.”

Robin Abu Shamsiyeh, du Centre pour les études sur Jérusalem de l’université Al-Quds, est un guide réputé. Il est passionné de cette esplanade et de ses monuments comme un chrétien peut l’être du Saint-Sépulcre. Et c’est comme un sanctuaire musulman qu’il le fait visiter.

Art islamique – Après la première impression d’écrasement devant tant de profusion, on se promène la tête renversée, le regard tourné vers le ciel, pour découvrir lamagnificence de l’art islamique développé. Ici la décoration du Dôme en coffre de bois, le tambour décoré de mosaïque et percé de vitraux ©Pierre Mortes

 

“Le Dôme du Rocher abrite le Rocher de la fondation, endroit où, selon la tradition, Mahomet serait arrivé depuis La Mecque, lors de l’Isra, ou voyage nocturne, et d’où il serait monté au paradis, lors du Miraj, en chevauchant Bouraq sa monture.”

Une tradition qui vient donc se superposer à celle, biblique, selon laquelle c’est ici sur le mont Moriah, qu’Abraham conduisit son fils Isaac et l’offrit à Dieu – Gn 22 – et c’est aussi le lieu où Salomon bâtit le premier Temple de Jérusalem – 2Ch 3, 1.

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Le sanctuaire fut érigé sur ordre du calife omeyyade, Abd al-Malik ben Marwan, en l’an 691 ap. J.-C., sur le Haram al-Charif, littéralement “noble sanctuaire”. C’est le troisième lieu saint musulman après La Mecque et Médine.

La topographie de la vieille ville de Jérusalem consiste en deux collines séparées par la vallée du Tyropœôn. Le Haram est construit du côté est tandis que la ville s’est construite sur l’ouest. Le Dôme du Rocher est un projet omeyyade colossal qui donna une autre dimension à Jérusalem, celle de l’islam, “reliant ainsi doctrinalement et spirituellement Jérusalem aux autres villes musulmanes du monde et aux musulmans du monde entier. 

Non-musulmans interdits

Tout comme la ville est divisée en deux, ainsi l’esplanade. En effet, il s’agit d’un espace partagé en deux plateaux. Celui au centre duquel trône le Dôme du Rocher, le plus haut, et celui au niveau duquel est construite la mosquée Al-Aqsa. Du nord au sud, il y a un dénivelé d’environ 1,8 m. Et d’un plateau à l’autre il y a une différence de 4,5 m.”

A l’extrémité sud de l’esplanade, explique Abu Shamsiyeh, se dresse la mosquée Al-Aqsa, construite en 705 ap. J.-C. C’est le moment tant attendu, l’entrée dans le Saint des Saints. Littéralement. Depuis l’an 2000 en effet, les non-musulmans y sont interdits, sauf exception. Parfois les chrétiens palestiniens qui le demandent sont autorisés à la visite. Comme leurs concitoyens musulmans, ils doivent enlever leurs chaussures avant de fouler l’espace sacré.

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Sous nos pieds le tapis du déambulatoire externe est tout moelleux. Mais très vite les regards s’affolent et le visiteur ne sait plus où donner de la tête tant le décor en impose. Abu Shamsiyeh se plaît à souligner : “Le Dôme du Rocher est considéré comme le lieu le plus beau au monde selon Van Berchem, Crosswell, Burgwin et d’autres orientalistes européens et américains.”

Le visiteur marche dorénavant le nez en l’air pendant que le guide poursuit ses explications : “la structure architecturale consiste en un octogone qui enferme 2 carrés qui s’entrecroisent. Au centre se trouve le rocher. Le croisement des 2 carrés forme un octogone enchâssé dans le premier (voir le schéma page 39). Cette forme, d’après les recherches, est influencée par l’architecture chrétienne byzantine. Elle a un rapport avec le nombre 8 que nous retrouvons dans l’église des Béatitudes en Galilée et de l’Ascension au mont des Oliviers ou encore celle de la Kathisma sur le chemin de Bethléem.”

A mesure qu’il s’est accommodé à l’exubérance de la décoration, l’œil s’habitue à observer les détails. Les mosaïques restaurées ont retrouvé leurs couleurs ©Pierre Mortes

D’après Abu Shamsiyeh, l’autre raison est religieuse. Dans la littérature religieuse islamique de la période fatimide, il est dit que ce lieu est celui du mahshar et du Manshar, du Jugement dernier, le lieu où tous les peuples seront réunis.

C’est aussi le lieu de la Résurrection des morts. C’est ici que Dieu siégera sur son trône pour juger le monde. Le trône est décrit dans le Coran – 69, 17 : “Et sur ses côtés [se tiendront] les anges, tandis que 8, ce jour-là, porteront au-dessus d’eux le trône de ton Seigneur”. Chacun des 8 côtés est là pour représenter les 8 anges qui portent l’arche de Dieu.”

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Pour Abu Shamsiyeh le 8, partout présent, renvoie à la symbolique d’une architecture spirituelle : “il y a 8 dômes qui entourent le dôme doré sur l’esplanade. Il y a également 8 colonnades servant d’entrées autour du Dôme du Rocher, elles ont pour fonction de préparer le pèlerin ou le visiteur à la révérence due au lieu.” Les colonnades doivent marquer l’importance spirituelle du monument.

“Du point de vue architectural, l’édifice passe de la forme angulaire et limitée représentant l’humain à la forme circulaire infinie, explique-t-il tout en montrant un plan détaillé de l’édifice. Géométriquement parlant, le cercle représente le nombre infini de points autour d’un centre, qui est Dieu. C’est donc un lieu où les fidèles sont élevés par la prière au plus près de Dieu.”

Les nombres aussi sont symboliques : 36 fenêtres dans l’octogone et 16 dans le tambour, un total de 52 fenêtres qui représentent les semaines de l’année. Les 4 portes figurent les 4 saisons, tandis que les 12 colonnes symbolisent les mois.

Dans la tradition musulmane, c’est le lieu où le prophète a conduit la prière en présence du roi David, du prophète Elie et de Jésus. Selon une autre tradition de l’islam, c’est là aussi où les âmes des fidèles défunts se réunissent pour adorer Dieu.

“Que nous entrions par la porte Qibleh – plein sud -, ou la porte des Femmes, bab el Gharb – à l’ouest -, celle du Paradis, bab el Jenneh, ou celle de la Miséricorde, bab es Silsileh, nous voyons 5 colonnes qui invitent aux 5 prières quotidiennes. Un exemple parfait où la structure matérielle se joint au spirituel.”

Architecture théologique

Le Dôme a une hauteur de 36,5 m, selon Chams ad-Din Al-Maqdisi, un voyageur et géographe arabe, né à Jérusalem. Il renvoie ces mesures à celles de l’église de la Résurrection qui a un dôme de la même hauteur. Selon le savant égyptien Al-Suyuti, 36, racine carrée de 6, évoque les 6 jours de la création du monde et le demi indique la transition vers le repos éternel.

Nous passons ainsi de l’homme à Dieu, de la création au créateur. Il s’agit donc d’une représentation du dogme de l’unité, dogme qui se transforme en une construction spirituelle, une idée omniprésente dans les ornements et les mosaïques à l’intérieur du Dôme lui-même. Ces dernières tapissent le haut des arches des octogones internes et l’intérieur du tambour du Dôme. Elles parlent de la doctrine de l’unité, de Moïse et de Issa (Jésus). Le Dôme porte également le nom de “Dôme du dialogue des religions”.

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Nous passons de la forme limitée des côtés mesurant 9,5 m sur 20 m. Les côtés donnant sur les 4 points cardinaux ont 4 fenêtres. Ils n’ont pas de portes mais à la place une cinquième fenêtre.

“Le Dôme est composé de 2 dômes qui ne se touchent pas, avec un espace allant de 2 m à 50 cm au sommet. Le premier est fait de plomb et le dôme interne, la coupole, d’un bois appelé stucco, souvent utilisé dans la construction des églises. C’est un bois qui respire et donc résistant contre les vrillettes (un coléoptère qui se nourrit de bois NDLR).”

Les dessins et les couleurs de la coupole offrent une illusion d’optique : les couleurs utilisées et les jeux d’ombres, varient selon l’angle de la lumière des 16 fenêtres du tambour.

“L’octogone interne contient 7 millions de tesselles, mêlant les figures géométriques et végétales, représentant les arbres et les fruits du paradis. Un palmier portant du raisin, des chrysanthèmes, des artichauts, de nombreux autres arbres du pays, tous représentés dans les mosaïques.
Il y a également les symboles des pays qui ont dominé la Palestine avant l’arrivée de l’islam. C’est la raison pour laquelle le dôme est intitulé aussi ‘le Dôme de l’islam’. Ce sont des vasques, toutes différentes les unes des autres. La vasque qui symbolise Byzance a 2 ailes. La couronne et l’œuf sont le symbole de la puissance sassanide. Les feuilles de vigne représentent les pays du Levant. Les palmiers ce sont l’Irak et l’Égypte. Le message politique est évident : il affirme la victoire et la domination de l’islam sur tous ces pays rassemblés sous le Dôme.”

Bois, stucs, or, vitraux, mosaïque et marbre, la variété des matériaux et l’usage décoratif qui en est fait concourent à donner cette impression du déploiement d’un faste extraordinaire.

Un autre message politique clair, comme il s’en trouve dans la plupart des constructions de Jérusalem : les 6 sabils (fontaines publiques) du sultan Soliman par exemple. La grandeur et la beauté de ces sabils peut sembler excessive pour simplement apporter de l’eau, un simple robinet aurait suffi mais alors, pourquoi toute cette grandeur ? C’est le signe extérieur pour s’affirmer comme le plus important sultan du monde, la mise à disposition de l’eau étant le signe de la stabilité du pouvoir.

Légendes

La géographie s’est donc transformée en un lieu saint par la liaison de Jérusalem à l’islam, à la Mecque puis à Médine. Même s’il n’y a pas de preuve de la localisation exacte de l’ascension du prophète dans l’espace de l’esplanade, la tradition est très répandue. Elle reste dans l’espace de cet immense parvis mais pas forcément sur le lieu même du rocher. La construction est venue couronner le lieu le plus élevé de l’esplanade, dite aujourd’hui des mosquées.

“Il y a de nombreuses légendes autour de la roche, toutes bien évidemment fausses, explique notre guide. L’une d’elles raconte que cette pierre de fondation émet un parfum depuis l’ascension de Mahomet. Il y a aussi le Saint Coffre, qui selon la tradition contient trois cheveux de Mahomet tombés lors de son ascension ce qui est également une légende. Mais une légende qui s’est exportée, puisque l’on croit posséder un de ses cheveux à Acre. Ou encore que ce rocher nous vient du paradis, qu’il est descendu du ciel et s’est accroché entre le ciel et la terre.”

En réalité c’est un puits, appelé aussi “le puits du Sang” ou “des Esprits” car à l’époque romaine ce lieu était un lieu d’exécution, hauteur où se rassemblait la population autour des soldats occupants. Au fil du temps, certaines croyances musulmanes se sont cristallisées à cet endroit comme celle selon laquelle chaque esprit descend prier dans la grotte avant de monter au ciel, faisant ainsi de l’endroit la porte du ciel.

On écouterait longtemps encore Abu Shamsiyeh naviguer entre la tradition et la foi, la culture et l’émerveillement. Mais il faut quitter le Dôme, non sans regret. Quitter son ambiance si particulière, ses lumières tamisées, la magie d’un lieu dont on comprend mieux en y pénétrant qu’il fasse l’objet de tant de passions.

Dernière mise à jour: 30/01/2024 23:32

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