Avec sa carte “Méditerranée sans frontière”, l’artiste Sabine Réthoré questionne les représentations habituelles de cette mer, dont les eaux ont permis des échanges culturels et commerciaux aux fondements de la civilisation occidentale
C’est une carte… renversante. Une grande zone bleue, entourée d’un seul et même territoire dépourvu de frontières. Orientée vers l’ouest, cette représentation du bassin méditerranéen s’émancipe des marqueurs de la cartographie classique pour troubler notre perception de l’espace, et mieux interroger la lecture traditionnelle que nous en faisons.
Ce poster, de 6 m sur 3 et sur lequel les gens peuvent marcher, est l’œuvre de l’artiste et cartographe Sabine Réthoré. “J’ai voulu représenter la Méditerranée telle que moi je la vois : comme un lieu de mouvements autour d’une grande superficie bleue. Je n’ai pas dessiné les frontières qui nous séparent, mais les mille-et-une routes qui relient les peuples de la région autour d’un espace commun et partagé. En centrant la carte sur la mer, on parvient à créer une vision d’ensemble qu’on ne retrouve pas dans les représentations classiques.”
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Éditée pour la première fois en 2011, cette “Méditerranée sans frontières” trouve son origine dans une absence. Celle des cartes officielles représentant le bassin méditerranéen dans son ensemble.“L’Institut Géographique National ne les édite plus depuis au moins 15 ans, pour des questions de rentabilité économique, explique l’artiste. Les atlas ont, quant à eux, du mal à créer une union entre le nord et le sud de la Méditerranée, qui sont souvent divisés sur plusieurs pages.“
S’approprier la Méditerranée
Née à Sète, en Occitanie, et Marseillaise pour un temps avant de déménager dans le Loiret, Sabine Réthoré “refait le monde“ depuis 1998. Ses cartes, mappemondes, panneaux d’orientations et plans urbains ont tous la même ambition : proposer un modèle cartographique qui n’oppose plus le nord et le sud. “Orienter les cartes à l’ouest permet de dépasser cette lutte hiérarchique primaire. C’est une orientation qui n’a jamais de sommet, qui suit la course du soleil, et qui permet à chacun d’être représenté dans une position optimale”, expose la sexagénaire, rajeunie par de grandes lunettes noires et une coupe aussi courte que rebelle.
Sabine Réthoré aime se présenter comme une artiste “populaire“. “Sans frontières, sans hiérarchie… Cette Méditerranée, elle est pour le peuple, pour les gens, pour que chacun de nous puisse se l’approprier.“ D’où le choix de la mention latine “Mare nostrum“ pour qualifier la mer Méditerranée : la plus universaliste, la plus partagée, selon l’artiste qui pointe la diversité des qualificatifs utilisés au fil des siècles pour la nommer : mer Blanche, mer Bleue, mer du milieu… Elle a aussi choisi d’indiquer le nom des villes en fonction de la prononciation qu’en ont leurs habitants.
Si la démarche de l’artiste est poétique, elle porte aussi un message politique, que Sabine Réthoré reconnaît bien volontiers. “La cartographie est politique par essence car elle permet de proposer des lectures alternatives. Les hommes politiques de tout bord s’en sont saisi. Elle est dans le bureau de Jean-Luc Mélenchon, pour qui je ne vote pas, mais aussi chez des membres d’autres partis.”
La réorientation de la Méditerranée permet de porter un nouveau regard sur la centralité de l’Italie, de la Grèce et de la Turquie, cœur des trois empires qui ont gouverné la région pendant de longs siècles. Elle rapproche les pays, et rend plus concevables les voyages comme celui entrepris par Marie-Madeleine, d’une extrémité à l’autre de ce grand “lac intérieur“.♦
Dernière mise à jour: 21/05/2024 14:28
