Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Sortis du rang de l

Daphné Rousseau
11 février 2013
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Aperçu sur le parcours de combattant qui attend les rares juifs ultra orthodoxes désireux de rejoindre la vie laique. De l’exclusion de la communuaté à l’adaptation à un nouveau mode de vie.

Dans le bureau de l’association Hile à Tel-Aviv, le téléphone de la ligne d’assistance sonne. Un bénévole répond. « Vous pouvez parler plus fort ? Je ne vous entends pas ! ». Mais à l’autre bout du fil, la conversation doit se continuer à voie basse. Le jeune homme a 21 ans, il appelle d’une cabine téléphonique à Bnei Brak, la ville où est concentrée la plus grande communauté ultra-orthodoxe d’Israël. Son téléphone portable est casher. Cela veut dire que son opérateur a bloqué plusieurs numéros, dont celui de l’association Hile. Une association qui aide les jeunes religieux désireux de quitter la communauté haredi, ultra-orthodoxe. En hébreu on les appelle, les yotsim, littéralement les « sortis ». Chaque année, Hile traite 400 demandes. « Mais ils sont sans doute plus nombreux à sortir chaque année », explique Sarit de l’association. Leur prise en charge commence souvent par ce genre d’appel. Des appels de détresse, passés en cachette, la peur au ventre. « On leur dit de prendre du temps, de réfléchir », explique Sarit.

La plupart des jeunes quittant cette communauté ultra-fermée sont surtout attirés par le mode de vie des laïcs, qu’ils fantasment comme moins contraignant. Mais le premier motif de « sortie » est théologique : certains perdent tout simplement la foi, et leur monde s’écroule. Jusqu’à ses 17 ans, Aryeh portait la kippa, une chemise blanche, un pantalon noir, et les payos, les deux grandes mèches de cheveux spiralées qui encadrent le visage des juifs haredim. « J’ai toujours su que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, en fait c’était tout simplement le fait que je ne croyais pas », explique Aryeh. À 23 ans, il rêve aujourd’hui de devenir chef dans un grand restaurant, « pas casher de préférence », tient-il à préciser. À l’adolescence Aryeh a goûté en douce aux interdits : la télévision, les romans, les cafés, les bars, l’alcool et un peu la drogue. Un pied dedans, un pied dehors. Mais rapidement la famille d’Aryeh, qui vit dans le très religieux quartier de Ramot à Jérusalem, sacrifie à la peur du « qu’en dira-t-on » à l’amour qu’ils portent à leur plus jeune fils. Il est chassé de chez lui à 17 ans. Ils ne se parleront plus pendant trois sans. Si Aryeh a aujourd’hui quelques contacts avec ses parents, la majorité des « sortis », sont définitivement reniés par leurs familles, qui les considèrent au mieux comme « perdus » au pire comme « morts ». « Certaines communautés intégristes, prononcent le kaddish, la prière pour les morts, quand leur enfant leur annonce qu’il ne croit plus ou qu’il n’est plus religieux », confirme Sarit de l’association Hile.

Rattrapage

Ces « orphelins » n’ont pas de statut légal et ne reçoivent aucune aide spécifique du gouvernement. L’association Hile, elle-même financée uniquement par des fonds privés, fournit dans certains cas un logement, des vêtements « normaux » et de l’équipement électroménager aux jeunes de 18 à 30 ans qui rejoignent le programme. Les bénévoles de l’association ont également édité un guide en hébreu et en yiddish pour aider ces jeunes dans leurs premiers pas de laïcs. Dans ce fascicule, se trouve un chapitre sur les démarches administratives, les courses au supermarché, mais aussi sur les sorties, et la sexualité. Hile accorde aussi des bourses pour compléter l’éducation de ces anciens religieux. En effet, un jeune de 20 ans qui sort d’une yeshiva (école talmudique) ne sait que rarement ce qu’est un dinosaure et a le niveau en mathématiques, anglais et histoire d’un enfant de neuf ans. Le chemin qui attend ceux qui aspirent à des études est donc long, et surtout coûteux. En mars 2012, une dizaine d’anciens religieux a ainsi décidé d’attaquer collectivement en justice le gouvernement israélien pour obtenir le financement de leurs études. Leur raisonnement : le gouvernement leur a porté préjudice en acceptant de financer l’éducation religieuse (et ses lacunes), c’est donc à lui de réparer. La député du parti Meretz, d’extrême gauche, Zehava Gal-On a elle tenté, cette année, de faire approuver par la Knesset un projet de loi qui aurait garanti aux sortis de l’ultra-orthdoxie, le même « panier d’intégration » que celui offert aux nouveaux immigrants à leur arrivée en Israël, à savoir 50 000 shekels (10 000 euros) d’aides la première année. Le projet de loi, a été rejeté en première lecture.

 

Rester sans y croire

Au XVe siècle en Espagne on appelait marranes des juifs convertis de force au christianisme mais demeurés juifs en secret. Un autre groupe porte désormais ce nom en Israël. Des juifs qui ont tous les dehors de l’ultra orthodoxie mais qui en secret ne croient plus en Dieu. Ils continuent de pratiquer à l’extérieur mais, en cachette, ils ne mangent pas casher, sortent faire la fête à Tel Aviv habillés en jean, utilisent internet le shabbat et caetera toutes choses interdites par la loi en laquelle ils ne trouvent plus de sens. La pression est telle que leur sortie vers la vie laïque leur semble impossible, surtout quand le secret n’est partagé ni avec le conjoint ni avec les enfants. Certains sont si déchirés qu’ils choisissent le suicide.

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