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Mineurs palestiniens et maltraitance des forces de sécurité

Chiara Cruciati
28 novembre 2018
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Mineurs palestiniens et maltraitance des forces de sécurité
Sur cette capture d'écran tirée d'une vidéo de B'Tselem, des soldats israéliens arrêtent un mineur palestinien près d'Hébron, en octobre 2017.

Lorsqu'ils sont pris dans l'engrenage des appareils de sécurité israéliens ou palestiniens, les mineurs palestiniens sont souvent soumis à des abus ou à des procédures illégales. C’est ce que dénonce Defence for Children International.


Au cours des derniers mois, le cas d’Ahed Tamimi, une jeune Palestinienne de Nabi Saleh, a permis de braquer les projecteurs sur une réalité profondément enracinée : la détention politique de mineurs sous occupation militaire. C’est Ahed elle-même, une fois libre, qui l’a rappelé : je ne suis pas la seule, je ne suis pas la dernière. La section palestinienne de la Defence for Children International (DCI-PS), s’occupe de la question depuis près de 30 ans. Elle a été créée au début des années 90 par Rifat Kassis (dirigeant de la Première Intifada à Beit Sahour et ancien détenu politique d’une prison israélienne) : après sa libération, en 1991, il a fait le choix de se consacrer à la protection des enfants prisonniers.

Depuis lors, l’association a pris de l’ampleur, et un soutien juridique s’est greffé au contrôle des violations commises par Israël en prison et au dehors : assassinats, blessures, impact des check-points et des démolitions de maisons des enfants palestiniens. La DCI-PS surveille également les abus commis par des organes de l’Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie et du Hamas à Gaza, et fournit un soutien juridique à leurs prisonniers.

De 1967 à nos jours, un million de Palestiniens ont transité par un centre de détention israélien. On compte actuellement 5 640 détenus, dont 270 mineurs et 53 femmes. En Palestine, pas une famille n’échappe à l’emprisonnement de l’un de ses membres. Autant d’histoires, toutes similaires mais aux conséquences différentes. Surtout s’il s’agit d’enfants : « Il y a ceux qui après la prison arrêtent l’école, d’autres qui ont peur d’être de nouveau arrêtés et ne sortent plus de chez eux, d’autres encore s’endurcissent, s’imposent un objectif, reprennent leurs études et obtiennent leur diplôme », explique Ruba Awadallah, chercheur à la DCI-PS.

Parmi eux : H. A., arrêté à 16 ans, enlevé chez lui à 2h du matin dans le camp de réfugiés d’Aida à Bethléem, accusé d’avoir lancé des pierres : après deux ans de prison, il a quitté ses études et rêve aujourd’hui de partir à l’étranger. B. S. a une réaction opposée : habitant au sud d’Hébron, incarcéré pour avoir manifesté contre la menace de voir démolir des maisons, il affirme : « Je suis diplômé en droit, je ne veux pas partir d’ici parce que c’est ma terre ».

Le pire traumatisme – ajoute Ruba Awadallah – se produit au moment de l’arrestation et dans les jours qui suivent : ceux de l’interrogatoire et des audiences devant un tribunal militaire : « En Israël, il existe deux systèmes juridiques. Le système civil pour les citoyens israéliens, y compris les colons (dispersés en Cisjordanie – ndlr) et le système militaire pour les Palestiniens des Territoires occupés. Ce deuxième système s’applique également aux enfants : on compte chaque année entre 500 et 700 mineurs détenus et jugés par un tribunal militaire ».

« Dans 50% des cas, l’arrestation a lieu la nuit. Les personnes recherchées sont réveillées par 6-7 soldats armés. Le traumatisme est considérable : les jeunes se croient en sécurité chez eux, protégés par leurs parents, mais ce n’est pas le cas : les soldats enferment généralement le reste de la famille dans une pièce et quand l’enfant se réveille, il est seul. Si les parents sont présents, ils ne sont pas en mesure de le protéger, ce qui nuit gravement aux relations entre les parents et leurs enfants, ces derniers perdant souvent confiance en leur père et en leur mère ».

Les mineurs sont menottés, ont les yeux bandés et sont conduits dans un centre d’interrogatoire militaire. Selon la loi militaire, ils ont le droit de parler à un avocat mais, d’après les contrôles de la DCI, cela arrive rarement. Et quand c’est le cas, il ne s’agit que d’une assistance téléphonique : « L’enfant ne sait pas de quoi il retourne, ne fait pas confiance et souvent ne dit rien, alors que l’avocat, qui sait qu’il est entendu, se limite à des conseils d’ordre très général. » C’est à ce stade que les enfants subissent le plus d’abus : agressions verbales et physiques, intimidations, menaces contre leur famille, ce qui les pousse souvent à avouer des crimes qu’ils n’ont même pas commis.

« Ceux qui ne parlent pas – poursuit Ruba – subissent de nouvelles pressions ultérieurement. Chaque année, nous enregistrons des cas d’enfants placés à l’isolement : 11 cas cette année, 26 en 2017. En 2018, la durée moyenne des mesures d’isolement était de 15 jours, 26 maximum. Une terrible expérience, même pour un adulte, et lourde de conséquences, surtout à long terme ».

En général, explique la DCI-PS, les enfants sont condamnés à des peines qui courent entre 3 et 12 mois d’emprisonnement, mais il n’est pas rare que les sentences soient beaucoup plus lourdes. Dans 70% des cas, le délit présumé est le jet de pierres. Viennent ensuite les manifestations interdites, les insultes aux soldats ou les tentatives de coups de couteau. Le taux de condamnations est très élevé, plus de 99%, une réalité qui convainc les enfants et les avocats de négocier pour écourter une peine de prison presque certaine.

« Peu importe que l’enfant ou le jeune soit innocent ou coupable : selon la loi israélienne, il doit être protégé dans tous les cas – conclut Ruba -. Une protection qui pour les jeunes Israéliens est reconnue par les tribunaux pour mineurs et par les programmes d’éducation. Pour les Palestiniens, rien de tout cela n’existe : ils entrent dans un système de contrôle absolu, dans lequel le but n’est pas la punition, mais l’exercice d’un pouvoir sur l’enfant qui aura des effets durables et dangereux. Notre travail consiste à protéger l’enfant, toujours ». Aussi lorsque les violations ont lieu du côté palestinien.

Les derniers chiffres sont rapportés par la DCI-PS elle-même, dans un rapport de la mi-novembre : au cours des six premiers mois de 2018, au moins 22 mineurs ont été arrêtés par les forces de sécurité de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), en violation de ses propres lois. La législation entrée en vigueur en février 2016 exige qu’il revienne à la police des mineurs de gérer les cas concernant les enfants. Pourtant, sur les 82 mineurs arrêtés par la police palestinienne au cours du premier semestre 2018, au moins 22 ont été menottés par la police criminelle ou les services de sécurité : « La loi a mis en place des tribunaux pour mineurs et des unités de police spécialisées », souligne la DCI. Ce qui doit guider les principes de la loi, c’est le plein intérêt de l’enfant : la privation de liberté doit être utilisée en dernier recours ».

Il arrive souvent que des enfants soient transférés dans des prisons avec des adultes (19 cas recensés) et non dans des prisons pour enfants (autre violation), et qu’ils soient soumis à des actes de maltraitance et de torture : la DCI dénonce la violence physique, en particulier pendant les interrogatoires, sur au moins 23 mineurs. Des pratiques très similaires aux pratiques israéliennes.