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Israël gèle les visas des travailleurs humanitaires

Cécile Lemoine
19 mars 2024
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Israël gèle les visas des travailleurs humanitaires
Arrivée d'aide humanitaire dans un camp de l'UNRWA à Khan Younis, novembre 2023 ©Atia Mohammed/Flash90

Pas de renouvellement, pas de nouvelles entrées, expulsion du territoire... En Israël, les employés des ONG humanitaires et des agences de l’ONU subissent des restrictions de séjour qui affectent leur réponse à la crise humanitaire en cours à Gaza.


“Et toi, tu as un visa ?” La question est de toutes les conversations chez les humanitaires en poste à Jérusalem. Pour Emma* (le prénom a été changé), la réponse est non. Cette salariée d’une ONG est contrainte de travailler dans l’illégalité. Depuis le 7 octobre, aucune de ses demandes de renouvellement de visa de travail n’a abouti. “Il a été automatiquement prolongé jusqu’au 8 février, mais depuis cette date on n’a plus de nouvelles”, relate l’employée, dont le travail se trouve bouleversé : “Je dois être sur le terrain, mais je n’ose plus me déplacer en Cisjordanie, ni sortir du territoire. On est entravé au quotidien alors que la gravité de la crise humanitaire à Gaza exige une réponse optimum.”

Le cas d’Emma est loin d’être isolé. “Au total, 35 organisations et près de 150 postes sont touchés. Les visas de près de 57 travailleurs humanitaires sont arrivés à expiration à la mi-février, 40 autres le seront dans les semaines qui viennent, et plus de 60 nouvelles demandes sont en attente”, détaille Faris Arouri, directeur de l’Association des agences internationales de développement (AIDA) qui représente 85 ONG œuvrant dans les Territoires palestiniens occupés.

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Les salariés étrangers des ONG humanitaires sont ceux qui détiennent les postes de direction, de responsabilité et de coordination : près de 15 organisations se retrouvent sans directeur national en Israël, et 3 d’entre eux se sont vu refuser l’entrée à la frontière alors qu’ils détenaient un visa de travail valide, selon les données collectées par AIDA.

Règne de l’arbitraire

Mathilde*, dont le contrat avec une ONG a débuté en octobre, n’a pu entrer sur le territoire qu’en janvier par le biais d’un visa touristique de trois mois, et après quatre heures d’interrogatoire à la douane israélienne : “D’autres n’obtiennent qu’un mois, il n’y a aucune règle, c’est le règne de l’arbitraire”, s’insurge la jeune humanitaire.

Mary* s’est quant à elle vu adresser une lettre d’expulsion du territoire après une visite au ministère de l’Intérieur pour essayer de faire renouveler son visa à la mi-février. “J’ai eu deux jours pour quitter le pays”, souffle la jeune femme. Sur le document, il est indiqué qu’en l’absence de lettre de recommandation du ministère des Affaires sociales, la demande de renouvellement a été “purement et simplement rejetée”. 

Or, le ministère en question n’émet plus de lettres de recommandations depuis le 7 octobre. “En raison des nouveaux défis sécuritaires, il a été décidé de transférer le travail à une agence gouvernementale qui dispose des outils professionnels pour examiner ces demandes, justifie Gil Horev, porte-parole du ministère des Affaires sociales, qui précise : “Nous sommes en contact avec nos homologues des ministères concernés et le processus de transfert a commencé.”

Coordination paralysée

Les autorités évoquent des excuses administratives et sécuritaires, mais c’est politique, accuse Emma. Le gel de nos visas est une arme supplémentaire dans l’arsenal des punitions collectives infligées aux Palestiniens : les autorités continuent de délivrer des visas de travail dans d’autres secteurs.”

Dans un rapport publié le 15 mars, l’ONG Oxfam liste le “refus systématique des missions humanitaires et les restrictions d’accès aux travailleurs humanitaires” parmi les 7 façons dont le gouvernement d’Israël “bloque délibérément la réponse humanitaire internationale dans la bande de Gaza”. C’est la première fois qu’une organisation dénonce publiquement la problématique. “Avec cette politique, les ONG ne sont pas en mesure d’intensifier leurs opérations à Gaza. La coordination et la gestion des projets sont paralysés, et c’est aussi le cas en Cisjordanie”, souligne Faris Arouri d’AIDA.

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Les agences de l’ONU, qui dépendent du ministère des Affaires étrangères, sont soumises aux mêmes difficultés. Ainsi, la cinquantaine d’employés de l’Unrwa, en charge des réfugiés palestiniens, n’obtiennent des visas de travail que pour deux mois maximum. Une durée insuffisante pour obtenir les cartes nécessaires pour conduire les voitures diplomatiques auxquelles ils ont droit :“Ils font tout pour nous rendre la vie inconfortable, s’agace une employée de l’Unrwa. Cela complique le recrutement, d’autant que l’image de l’agence a été ternie par les accusations israéliennes.” Fin janvier, un rapport israélien révélait que 12 employés de l’Unrwa auraient pris part aux attaques du 7-Octobre. Philippe Lazzarini, le chef de l’agence a déclaré lundi qu’Israël lui a interdit d’entrer dans la bande de Gaza.

Lors d’un rendez-vous au ministère de l’Intérieur cette semaine, Emma a été informée que son visa avait été automatiquement prolongé jusqu’au mois de juillet : “C’est informatique. Ce n’est pas inscrit dans mon passeport. Et personne ne m’a prévenu.” Reste à savoir si la mesure a été étendue à tous les visas. “Le problème, c’est que ça n’apporte pas de solution à ceux qui sont partis, ou aux nouvelles recrues, souligne Yotam Ben Hillel, l’avocat israélien qui représente une dizaine de travailleurs humanitaires concernés. Je n’ai jamais vu de telles restrictions d’entrées pour les ONG.”